Selon Elon Musk, SpaceX pourra envoyer une première colonie d’une centaine d’humains sur Mars dès 2022. Ce qui laisse six ans pour répondre à des questions fondamentales sur la gouvernance de la colonie, son mode de fonctionnement économique, le sort qu’elle devra réserver aux délinquants et aux malades, etc.

Avec son très impressionnant Interplanetary Transport System, que l’on aurait tort de prendre pour de la science-fiction, Elon Musk ambitionne de déplacer 1 million de terriens vers Mars d’ici une centaine d’années, en commençant par 100 candidats « prêts à mourir » dès l’année 2022. Pour ce faire SpaceX veut construire des centaines de navettes réutilisables qui seront capables de faire le voyage en partant par grappes, tous les deux ans, lorsque s’ouvriront les fenêtres géospatiales permettant de rejoindre Mars en moins d’une centaine de jours. Mais 1 million d’êtres humains qui vont coloniser Mars, sont-ce encore des Terriens qui doivent être gouvernés par les lois terriennes, ou s’agit-il d’un peuple nouveau qui aura une totale autonomie ?

Les questions éthiques et juridiques posées par le projet de colonisation de Mars sont innombrables, elles plongent dans des problématiques que l’on croyait encore réservées aux romans SF, ou aux livres d’histoire qui parlent de la découverte des terres inconnues par les grands explorateurs.

De quelle nationalité seront les humains martiens ?

Personne n’a jamais imaginé qu’en allant sur la Lune, Neil Armstrong perde sa nationalité américaine. Même s’ils étaient restés sur le rocher lunaire, la poignée d’astronautes qui ont pu fouler le sol du satellite seraient toujours restés des Terriens, qui auraient gardé leur attache nationale. Mais qu’en est-il lorsque l’on devient des milliers, des centaines de milliers voire des dizaines de millions à quitter la Terre et ses gouvernements terriens pour créer une colonie spatiale qui donnera naissance à des petits Martiens ?

C’est un véritable peuple nouveau qui s’apprête à être créé, avec son propre territoire, à la manière des peuples nés des explorations de l’homme sur Terre. Nous avons vu que dans l’Histoire, l’attache s’est généralement faite avec le pays d’origine des explorateurs, avant que naissent des revendications d’autonomie voire d’indépendance, et que même que des guerres éclatent pour l’obtenir.

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Juridiquement toutefois, le Traité de l’ONU sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique prévoit en son article 2 que « l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen ». Mais il n’interdit pas l’appropriation privée et d’ailleurs les États-Unis ont promulgué en 2015 un « Space Act » qui autorise les entreprises américaines comme SpaceX à s’approprier des ressources de l’espace.

Théoriquement, les individus resteront régis sur Mars par les lois de chacun de leurs états terriens respectifs, tandis qu’ils seront régis par les lois américaines tant qu’ils seront à bord des navettes SpaceX battant pavillon américain. On pressent bien toutefois que l’absence d’uniformité du droit rendra impossible la constitution d’un peuple organisé paisiblement, et qu’il faudra bien qu’une seule loi s’impose à tous, sauf à se risquer à adopter un modèle anarchique.

Dès lors, il faudra peut-être inventer une nationalité martienne, avec un système juridique martien.

Comment seront adoptées les lois sur Mars ?

Si l’on part donc du postulat que les lois terriennes ne s’appliqueront plus, faut-il faire perdurer sur Mars les modèles de gouvernance terriens qui aboutissent à l’élaboration des lois, ou faut-il inventer une toute autre manière de définir les règles de vie commune ? Elon Musk lui-même avait répondu à cette question en se prononçant contre les règles de la « démocratie représentative » qui font que sur Terre, dans la plupart des pays du monde, les Terriens se déplacent quelques fois dans leur vie pour choisir dans une liste fermée les quelques uns d’entre eux qui doivent prendre des décisions sur la vie de la Cité.

« La forme la plus probable de gouvernement serait une démocratie directe, pas une démocratie représentative. Donc nous aurions des gens qui votent directement sur les sujet. C’est probablement mieux, parce que le risque de corruption est sensiblement diminué », avait-il plaidé. Il se disait favorable à certaines règles constitutionnelles inédites comme la possibilité qu’une minorité qualifiée (par exemple 40 %) puisse obtenir la suppression d’une loi qui ne leur va pas, ou que les lois aient systématiquement une date d’expiration pour éviter qu’elles s’accumulent avec le temps. Seules celles qui sont jugées toujours utiles seraient prolongées.

Faut-il une prison ou la peine de mort sur Mars ?

Avoir des lois, c’est bien. Les faire respecter, c’est mieux. Il n’y a pas d’État qui puisse fonctionner sans police et sans justice. Et il faudra bien qu’elle puisse fonctionner dès les toutes premières colonies d’une centaine de personnes. Dans ses navires spatiaux, SpaceX sera maître à bord. C’est la compagnie qui devra faire respecter la loi américaine. Faudra-t-il, pour le bon déroulement de la mission, qu’elle prévoit une prison à bord de la navette, voire qu’elle puisse appliquer la peine de mort pour dissuader complètement toute infraction ?

Et sur place, une fois les premiers terriens devenus martiens, qui devra avoir les pouvoirs de police et de justice qui permettront d’établir la souveraineté martienne et de faire que tous ces humains se comportent dans le respect de l’intérêt du plus grand nombre ?

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Que faire des malades contagieux ?

Créer une colonie sur Mars, c’est forcément vivre en vase clos dans des structures très petites, qui seront étendues au fur et à mesure des générations et des apports de matériel. La promiscuité sera favorable à la transmission des germes entre humains, et donc au développement de maladies contagieuses qui peuvent mettre en péril l’ensemble de la mission colonisatrice. Il faudra alors choisir que faire des malades. Les placer en quarantaine ? Les laisser mourir s’il n’y a pas de médecine adaptée ? Les tuer pour éviter tout risque de contagion ?

La chance, c’est que le voyage est long. Selon la disposition des planètes, il faudra entre 80 jours (en 2035) et 150 jours (en 2027) pour se rendre de la Terre à Mars. C’est normalement suffisant pour que les premiers signes de maladies apparaissent. Mais alors se posera la question du traitement des humains qui arrivent sur Mars, s’ils ont été potentiellement en contact avec des malades pendant le trajet. Là encore, faudra-t-il les placer en quarantaine comme on le faisait aux ports au temps de la peste noire, ou ne prendre aucun risque, et éliminer toute la cargaison au nom de l’intérêt supérieur de la mission colonisatrice ?

Comment s’organisera la vie économique sur Mars ?

Elon Musk a estimé qu’il faudra payer environ 200 000 dollars pour acheter un billet qui permettra de quitter sa Terre natale pour devenir un colon martien, soit l’équivalent du prix d’une petite maison. C’est encore très cher pour la grande majorité des ouvriers et salariés terriens, mais cela devient accessible aux économes et aux membres de la classe moyenne inférieure qui seront prêts à tout vendre pour le Grand Voyage. Il n’y aura donc pas que de riches rentiers dans les colonies martiennes, loin de là.

Mais une fois sur place, comment vivre ? Quelle sera l’économie marchande, ou non marchande, de la planète Mars ?

En tant qu’exploitant des ressources, SpaceX sera-t-il de fait l’employeur des premiers Martiens qui seront payés (ou pas ?) pour construire la colonie ? Y aura-t-il une monnaie martienne qui permettra à certains de réaliser leur petite entreprise pour proposer tels ou tels services, qui seront autant nécessaires sur Mars que sur Terre ? Et alors, quel sera le système économique ; plutôt libéral, plutôt communiste ?

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