2136279841-1. Voilà donc le tout nouveau plus grand nombre premier que l’on connait à ce jour. Sa découverte a été officialisée le 21 octobre 2024 sur le site GIMPS (Great Internet Mersenne Prime Search), mais on suspectait dès le 11 octobre qu’il s’agissait d’un nombre premier. C’est à partir du 12 octobre que son statut a été confirmé. D’autres vérifications ont suivi.
2136279841-1, que l’on appelle également M136279841, est colossal. Si on le dépliait intégralement, ce nombre serait constitué de 41 024 320 chiffres. L’écrire intégralement — c’est-à-dire en notant toutes les chiffres les unes à la suite des autres — ne serait pas impossible pour un ordinateur, mais cela donnerait un résultat indigeste.
Dans une page Google Docs classique, on peut placer 4 080 chiffres sur une seule page, avec la police d’écriture Arial et une taille 11, et cela, sans aucun espace (et si on conserve les marges habituelles). Si on notait ces 41 millions de chiffres, le document s’étalerait sur 10 055 pages. En taille, le document pèserait une dizaine de mégaoctets (Mo).
La particularité d’un nombre premier est de n’avoir aucun diviseur, hormis le chiffre un et lui-même (ce qui donne comme résultat soit le nombre, soit un). Il n’est pas le fruit de la multiplication de deux entiers naturels, comme six (deux fois trois). À l’inverse, 2, 3, 5 et 7 sont des nombres premiers, car on ne peut pas les diviser en deux autres entiers naturels.
Il existe une autre caractéristique des nombres premiers : il en existe une infinité. Cela signifie que M136279841, aussi gigantesque soit-il, n’est qu’une goutte d’eau dans un océan sans limites. Et surtout, cela suggère qu’il y a quelque part, dans certains coins reculés des mathématiques, des nombres encore plus vertigineux et incompréhensibles.
Quête pour trouver de nouveaux nombres premiers
Malgré un horizon à jamais inaccessible, les nombres premiers conservent une aura suffisante pour inciter à en trouver toujours. La compréhension et la quête des mathématiciens remontent à l’Antiquité, avec des avancées obtenues par Euclide ou Ératosthène. C’est d’ailleurs Euclide qui a posé le théorème initial démontrant l’infinité de ces nombres.
Au fil des siècles, des procédés ont été mis au point pour optimiser la quête de ces bizarreries mathématiques. Comme le rappelait The Conversation en 2018, lors de la trouvaille de M77232917, il y a eu notamment les travaux du Français Marin Mersenne (1588-1648), ce qui a fini par donner naissance aux « nombres de Mersenne premiers ».
Un nombre de Mersenne est un nombre de la forme 2n − 1 (mais aussi noté Mn), avec n étant un entier naturel non nul. Comme le pointe Avner Bar-Hen, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, dans l’article de The Conversation, « Mersenne cherchait une formule donnant tous les nombres premiers ».
Il s’avère qu’un nombre premier de Mersenne « est plus facile à trouver », relève le compte Fermat’s Library sur X (ex-Twitter), notamment en raison du développement de méthodes permettant de vérifier s’il s’agit bien d’un nombre premier. C’est le cas, par exemple, du test de primalité de Lucas-Lehmer (LLT) pour les nombres de Mersenne.
Cette approche LLT, inventée par Édouard Lucas puis démontrée plusieurs décennies plus tard par Derrick Henry Lehmer, est décrite par les mathématiciens comme « extrêmement rapide » et ayant « servi à montrer qu’un grand nombre d’entiers de la forme 2p-1, où p est premier, sont premiers ». Sur Wikipédia, le test de primalité est jugé « exceptionnellement simple comparativement à la taille des nombres considérés », et « très rapide ».
D’ailleurs, signe de l’importance de la méthode LLT, c’est avec elle que Luke Durant, chercheur américain et ancien employé de Nvidia, a pu valider et énoncer le 12 octobre M136279841. Cette vérification a eu lieu aux États-Unis, à San Antonio (Texas), avec le test de primalité exécuté avec une puce H100 de Nvidia.
La veille, c’est une puce A100 de Nvidia, à Dublin en Irlande, a signalé que M136279841 était probablement premier. Les puces H100 et A100 sont des matériels de pointe proposés par l’entreprise américaine. Le secteur de l’intelligence artificielle s’en sert et, signe de leurs capacités exceptionnelles, Washington ne veut pas les voir en Chine.
Des nombres très rares, difficiles à trouver
La nature même du projet GIMPS (Great Internet Mersenne Prime Search) montre d’ailleurs à quel point l’approche proposée par Marin Mersenne est toujours d’actualité. Cela, même si cela peut parfois prendre énormément de temps. Il a fallu six ans au projet GIMPS pour trouver un nouveau plus grand nombre premier connu, après celui repéré fin 2018.
Le site Mersenne.org recense 52 nombres de Mersenne premiers, signe que ces nombres sont extrêmement rares.
Les premiers ont été trouvés par les mathématiciens grecs de l’Antiquité, puis il faut patienter jusqu’à l’aube de la Renaissance pour dénicher quelques autres nombres. Cependant, la quasi-totalité a été trouvée aux 20e et 21e siècles. Depuis 1996, tous ces nombres ont été décelés dans le cadre du projet GIMPS.
Comme le pointe Avner Bar-Hen, la quête de ces nombres est parfois une source d’histoires surprenantes. En 2016, par exemple, on a pu dénicher une défaillance du processeur Skylake d’Intel, quand celui-ci était soumis à des calculs complexes. On vous le donne en mille : à ce moment-là, le CPU était sollicité pour trouver des nombres premiers.
Si le cœur vous en dit, sachez qu’il est possible de participer à la quête des nombres premiers de Mersenne. Il y a même une récompense de 3 000 dollars à la clé à chaque découverte. Il y a un logiciel gratuit que l’on peut télécharger (prime95, qui est d’ailleurs le responsable du bug repéré dans le CPU d’Intel). Sinon, il y a d’autres challenges.
Mais, attention, chaque nouveau lauréat est de plus en plus ardu à trouver, prévient GIMPS. De 1996 à 2008, on avait parfois quelques découvertes la même année, et au plus long, le temps d’attente n’excédait pas un à deux ans. Mais depuis 2008, on voit aussi apparaître des délais de trois, quatre, cinq et même six ans. Bon courage !
(mise à jour du sujet pour remplacer le terme décimal par chiffre, plus approprié)
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