Une nouvelle étude établit un taux de disparition anormal, qui ne concerne pas seulement les espèces, mais des genres entiers dans l’arbre de la vie. Cette publication, qui atteste encore une fois de la 6e extinction de masse, en appelle à des actions à la hauteur.

« C’est une menace irréversible pour la persistance de la civilisation et la viabilité des environnements futurs pour Homo sapiens. » L’alerte est (une nouvelle fois) donnée, dans une étude publiée le 18 septembre 2023. La 6e extinction de masse, soit la disparition à grande échelle d’espèces entières en raison des activités humaines, bien au-delà du taux normal de disparition, est déjà un sujet scientifique bien connu.

Ces nouveaux travaux pourraient faire date dans l’ampleur de ce qu’ils démontrent : une métamorphose de l’arbre de la vie. Reprenons plutôt le terme utilisé par les auteurs : une « mutilation » de l’arbre de la vie.

L'aigle impérial fait partie des espèces menacées, en raison de la destruction de son habitat et de la chasse. // Source : Canva
L’aigle impérial fait partie des espèces menacées, en raison de la destruction de son habitat et de la chasse. // Source : Canva

73 genres de vertébrés éteints : c’est bien au-delà de toute normalité

Bien que la 6e extinction de masse corresponde avant-tout à une perte inhabituellement rapide d’espèces, cet épisode est « beaucoup plus menaçant » encore, écrivent les auteurs, car « au-delà de cette perte, il entraîne une mutilation rapide de l’arbre de la vie, où des branches entières (collections d’espèces, de genres, de familles, etc.) et les fonctions qu’elles remplissent sont en train de disparaître ».

En biologie, le « genre » est la catégorie au-dessus des « espèces » : chaque genre regroupe plusieurs espèces différentes, parfois plusieurs centaines à lui seul, qui ont des caractéristiques génétiques communes, et des rôles relativement proches dans les écosystèmes.

Les auteurs ont examiné 5 400 genres de vertébrés — exception faite des poissons –, lesquels comprennent, ensemble, 34 600 espèces. Au total, 73 genres ont disparu à l’échelle des 500 dernières années. Les oiseaux sont ceux qui ont subi le plus d’extinctions sur cette période — une quarantaine de genres éteints à eux seuls.

Pour comprendre si ce chiffre est élevé et si l’on peut parler d’extinction de masse, il faut la comparer au taux normal d’extinction, une sorte de taux « de fond » qui advient inévitablement dans l’évolution. C’est ce qu’ils ont fait : sur 500 ans, la disparition de 73 genres est un taux 35 fois plus élevé que la normalité des derniers millions d’années. Pour illustration : si le taux d’extinction était « normal », ces 73 genres disparus en 500 ans auraient mis 18 000 ans à s’éteindre.

Taux de disparition des genres de vertébrés.  // Source : PNAS/sept2023/Gerardo Ceballos, Paul R. Ehrlich
Taux de disparition des genres de vertébrés. // Source : PNAS/sept2023/Gerardo Ceballos, Paul R. Ehrlich

Quelle est l’implication de la disparition d’un genre, à la différence d’une espèce ? La réponse est à trouver dans le rôle rempli au sein des écosystèmes. La disparition d’une espèce supprime des êtres vivants qui remplissent un rôle clé, mais d’autres espèces peuvent prendre le relai, sans compter que les espèces sont génétiquement cousines, le potentiel évolutif n’est donc pas totalement perdu. À la différence, la perte d’un genre laisse un trou béant, la fin de certains services rendus aux écosystèmes et aux autres espèces ; ce qui entraîne des déstabilisations majeures. L’image de l’arbre reste la plus pertinente pour le comprendre : la disparition d’une espèce fait tomber une brindille, la disparition d’un genre fait tomber la branche entière.

« Annihilation biologique »

Le papier de recherche est clair : c’est une « annihilation biologique » qui est en cours. « Il ne fait aucun doute que la sixième extinction de masse provoquée par l’être humain est plus grave que ce que l’on avait évalué précédemment et qu’elle s’accélère rapidement », alertent les auteurs.

Le taux d’extinction pourrait accélérer encore durant les prochaines décennies en raison « des facteurs qui accompagnent la croissance et la consommation ». Ces facteurs sont déjà connus :

  • La destruction des habitats
  • Le commerce illégal
  • La perturbation climatique

« Cette mutilation de l’arbre de vie et la perte des services écosystémiques fournis (…) constituent une grave menace pour la stabilité de la civilisation. »

Si les humains sont la cause, ils font aussi partie des victimes. « Cette mutilation de l’arbre de vie et la perte des services écosystémiques fournis par la biodiversité à l’humanité qui en résulte constituent une grave menace pour la stabilité de la civilisation. »

Il est normal de trouver ce type de travaux angoissants : les mots choisis sont lourds. On parle d’extinction, d’annihilation. Les auteurs eux-mêmes en ont conscience, mais mettent aussi l’accent sur l’importance des constats, comme ils l’expliquent dans un communiqué : « En tant que scientifiques, nous devons veiller à ne pas être alarmistes », admet l’un des auteurs, Gerardo Ceballos. Mais, c’est la gravité des résultats qui implique ce langage : « Ce serait contraire à notre éthique si nous n’expliquions pas l’ampleur du problème, puisque nous et d’autres scientifiques sommes alarmés. » En clair, s’il y a une alarme, il faut être alarmiste.

Représentation de l'« l'arbre de la vie » dans l'étude, pour illustrer l'implication de l'extinction de certaines branches.  // Source : PNAS/sept2023/Gerardo Ceballos, Paul R. Ehrlich
Illustration de l’« l’arbre de la vie » dans l’étude, et de l’importance des branches. // Source : PNAS/Gerardo Ceballos, Paul R. Ehrlich

La raison d’être de cette alarme n’est autre que le déclenchement de l’action. « Des efforts politiques, économiques et sociaux immédiats d’une ampleur sans précédent sont essentiels si nous voulons prévenir ces extinctions et leurs impacts sociétaux. » C’est le rôle, notamment, du secteur de la conservation des espèces, qui vise à préserver ou restaurer des habitats, notamment. Mais, pour qu’elle puisse le faire pleinement, des politiques publiques et des fonds doivent suivre. C’est là que tirer l’alarme ne doit jamais être sous-estimé à du simple pessimisme : sauver le vivant passe nécessairement par informer sur l’état du vivant — même si son état, peu glorieux, peut effrayer.

Pour Paul R. Ehrlich, co-auteur, l’humanité est dans l’illusion si elle s’imagine que la poursuite d’une consommation croissante et inéquitable est ne serait-ce que possible. « C’est comme s’asseoir sur un membre et le scier en même temps. » La remarque n’est pas absurde : il est rarement viable de scier une branche sur laquelle nous sommes assis.

Le podcast « La 6e extinction »

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