Ce serait une découverte majeure pour l’énergie : une supraconductivité à température ambiante. Certes, dit ainsi, cela semble obscur. En fait, il s’agit tout bonnement d’un type de matériau qui n’oppose aucune résistance électrique, et qui ne connaît donc aucune perte d’énergie durant le transport et le stockage. Or, les matériaux supraconducteurs connus n’entrent dans cet état qu’à des températures extrêmement basses.
Des chercheurs sud-coréens affirment, dans une étude de juillet 2023 encore en prépublication (non publiée dans une revue scientifique reconnue, et donc non vérifiée par d’autres scientifiques du même secteur), avoir découvert un matériau capable d’être supraconducteur à température ambiante — une température normale donc. Si c’est vrai, cette découverte serait « une nouvelle ère pour l’humanité », selon les auteurs.
Mais encore faut-il que cela confirme bel et bien. Actuellement, aucune réponse définitive n’est fixée. Le monde de la recherche se divise entre doutes et espoirs. De premières recherches complémentaires ont été lancées pour confirmer ou infirmer cette étude sud-coréenne. Pour vous aider à y voir, on décrypte dans la situation dans une vidéo de 5 minutes, et dans la suite de cet article.
Diamagnétisme imparfait
Du côté des critiques, des chercheurs et chercheuses relèvent notamment que le LK-99 ne semble pas remplir totalement le critère du diamagnétisme. Ce mot très technique fait référence à l’effet Meissner, quand l’objet entre en lévitation. Dans le cas de l’étude sud-coréenne, la vidéo montrant l’expérience n’affiche pas un diamagnétisme parfait, puisqu’une partie de l’échantillon ne s’élève jamais totalement.
Se pose ensuite la question des matériaux. Le LK-99 repose essentiellement sur de l’apatite, qui est un minéral et non un métal. Malgré les modifications apportées à la structure, notamment avec l’apport de plomb, « vous avez un caillou, et vous devriez toujours vous retrouver avec un caillou », indique Michael Norman, un spécialiste qui répondait à Science. Un minéral n’est pas très engageant pour créer un supraconducteur. D’autres observateurs y voient par ailleurs des données quelque peu « négligées », c’est-à-dire incomplètement détaillées, même si la méthode est tout de même bien décrite et suivie sérieusement.
Ce champ de recherche est par ailleurs d’autant plus prudent qu’une affaire, en 2020, avait secoué le milieu de la science des matériaux: une étude proclamant la découverte d’un matériau supraconducteur à température ambiante avait été publiée dans la prestigieuse revue Nature, avant d’être finalement rétractée à cause de nombreuses erreurs dans les données et la méthode.
En résumé, deux éléments demeurent nécessaires pour valider une telle « découverte » :
- Une relecture des données par les pairs, c’est-à-dire d’autres scientifiques experts du champ d’étude, dont une publication dans une revue scientifique suivrait ;
- Que cette publication débouche sur une reproductibilité de la découverte, par d’autres équipes, dans plusieurs contextes, confirmant ainsi l’étude initiale (avec, bien sûr, l’absence de défauts amenant à une rétractation).
Pour l’instant, ces deux critères ne sont ni remplis… ni exclus. Des équipes de recherche, en laboratoire, se penchent activement sur la question (certains l’ont même mis en scène sur Twitter et Twitch, bien que ce contexte ne soit pas le plus favorable à des résultats crédibles).
Les premières reproductions de LK-99 sont… ambivalentes
Une semaine après la publication initiale, de premières équipes ont mis en ligne des résultats (via la plateforme arXiv — la même que l’étude initiale, en dehors de toute revue scientifique avec comité, donc). On y trouve du positif et du négatif. Commençons par le négatif.
Un premier papier de recherche mis en ligne le 31 juillet en arrive à la conclusion que leurs résultats « ne confirment pas pour l’instant l’apparition d’une supraconductivité globale à température ambiante », tout en précisant cependant que « d’autres études avec différents traitements thermiques sont cependant en cours. »
Un second papier de recherche, diffusé le même jour sur la même plateforme, indique ne pas avoir observé la fameuse lévitation dans le matériau. « Ces résultats impliquent que l’affirmation d’un supraconducteur à température ambiante dans l’apatite de plomb modifiée pourrait nécessiter un réexamen plus attentif, notamment en ce qui concerne les propriétés de transport électrique. »
Une réfutation ? Pas encore. Une spécialiste du domaine, Sinéad M. Griffin, a, elle aussi, mis en ligne — encore le même jour — sa propre recherche sur LK-99. De son côté, elle a procédé à une simulation informatique visant à rationaliser le mécanisme qui pourrait expliquer la supraconductivité d’un tel matériau. La simulation fut un succès, mettant en avant la façon particulière dont l’électricité semble circuler au sein de LK-99. C’est, de ce côté, assez prometteur. Mais les bases de la simulation posent à leur tour un grand nombre de questions, sur lesquelles des spécialistes du domaine s’interrogent. Une autre équipe cependant, chinoise, a aussi procédé à une simulation et diffusé le papier qui en découle… et elle a abouti également à la conclusion de propriétés électriques très particulières chez LK-99 en termes de supraconductivité.
Enfin, ce 1er août en fin de journée, une université chinoise (Qufu Normal University) aurait réussi à reproduire le phénomène de LK-99. Des vidéos ont été diffusées, mais pas encore de papier de recherche. Ces images sont importantes en ce qu’elles montrent le LK-99 agir tel qu’on l’attendrait d’un supracondcuteur. « Le flocon de LK-99 lévite légèrement dans les deux orientations du champ magnétique, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas simplement d’un morceau de fer magnétisé ou d’un ‘matériau magnétique’ similaire », explique Andrew Cote, ingénieur. Attention toutefois, en l’absence de publication, les données ne peuvent pas être vérifiées : il pourrait s’agir de simple diamagnétisme, non accompagné de supraconductivité.
Quelle conclusion tirer de la situation ?
Si vous avez l’impression que l’analyse de cette étude est dans une forme de flou, c’est normal : la méthode scientifique implique ces questions et expérimentations variées. En clair, oui, à l’heure actuelle, on ne sait pas réellement si LK-99 est un matériau supraconducteur à température ambiante valide ou invalide.
Les premiers papiers sortis en « réponse » à l’étude initiale, qui n’est elle-même qu’au stade de pré-publication, sont assez ambivalents. Cela ne sert à rien de forcer une conclusion à ce stade : tout est encore possible.
Mais l’enthousiasme, qui pousse d’ailleurs ces chercheurs à s’y intéresser si rapidement, se comprend. La découverte d’un tel matériau utilisable pourrait bel et bien changer des choses dans la gestion et le transport de l’électricité. Reste à connaître l’étendue de ces changements, car là encore, des scientifiques n’hésitent pas à tempérer nos ardeurs. Sur Twitter, la physicienne Inna Vishik, spécialiste du domaine, avertit qu’un supraconducteur à température ambiante, si découvert, « ne changera probablement pas l’humanité par le biais d’une application directe. Il pourrait la changer grâce aux effets secondaires de la science fondamentale qu’il engendre. »
Côté énergie, il existe plusieurs axes de recherche perçus comme des « Graal ». La fusion nucléaire reste la plus importante dans cette sphère, avec une énergie propre et illimitée. Mais son obtention est une aventure de tous les instants, loin d’être gagnée à ce stade.
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