Le 30 juillet, la responsable commerciale d’Activision, Frances Townsend, partage sur son compte Twitter un article du magazine américain The Atlantic. Intitulé « The New Moral Code of American Elite » (le nouveau code moral des élites américaines, ndlr), l’article raconte l’histoire d’Amy Chua, une professeure de la très réputée école de droit de Yale, qui aurait été visée par des révélations bancales de la part de lanceurs d’alertes, selon l’autrice de l’article. Dans son tweet, Frances Townsend accompagne l’article d’un court message : « Amy Chua, Yale, et le problème avec les lanceurs d’alerte ».
https://twitter.com/FranTownsend/status/1421087212456882176
Un tel tweet ne pouvait pas arriver à un pire moment. En effet, depuis le 22 juillet, Activision Blizzard est visée par une plainte pour « harcèlement sexuel permanent » et « discriminations », déposée par l’état de Californie. Une plainte et une enquête qui ont été rendues possibles, en grande partie, par des lanceurs d’alerte.
Des agressions sexuelles à répétition
La plainte déposée contre Activision, que le site américain The Verge a pu consulter, détaille les agressions que de nombreux personnes employées de l’entreprise auraient subies pendant des années. Les comportements inappropriés de la part des employés envers leurs collègues femmes auraient été nombreux, de même que les propos choquants, dont certaines blagues sur le viol. Le document comporte également de nombreux témoignages de femmes se plaignant d’attouchements sexuels de la part de leurs collègues masculins.
Mais la plainte parle également de l’inaction de certains managers, qui n’auraient pas cherché à aider les victimes alors qu’ils auraient été au courant de certaines situations. Elle indique également que certains responsables très hauts-placés de l’entreprise auraient eux-mêmes agressé des employés. L’ancien directeur artistique de World of Warcraft, Alex Afrasiabi est ainsi décrit comme ayant un comportement très « sexuel » avec les employées de Blizzard, et aurait essayé d’embrasser plusieurs d’entre elles lors de soirées.
Les accusations, gravissimes, n’ont cependant pas fait réagir la direction de l’entreprise de la manière souhaitée par ses employés. Depuis le début de l’affaire, Activision Blizzard a accumulé les erreurs, et le tweet de Frances Townsend constitue pour beaucoup une preuve supplémentaire de l’indifférence du management de l’entreprise.
Activision accumule les erreurs
Tout a commencé lors de la première réponse officielle de l’éditeur : au lieu d’annoncer de nouvelles mesures, l’entreprise a tout d’abord choisi de critiquer les services de l’état californien en charge de l’enquête contre elle. Activision avait notamment accusé l’agence d’avoir « manipulé » des témoignages, ou bien d’en avoir inclus certains qui ne représentaient pas l’entreprise d’aujourd’hui. Activision Blizzard a également accusé l’agence d’avoir été de mauvaise foi, et affirmé que ce genre de comportement « pousse les entreprises à partir de Californie. »
La réponse avait horrifié les employés, et plus de 2 000 d’entre eux ont signé une lettre ouverte dans laquelle ils critiquent ouvertement les actions d’Activision. « Nous ne faisons pas confiance aux dirigeants pour placer la sécurité de leurs employés devant leurs intérêts », peut-on lire dans la lettre ouverte. « Affirmer que cette plainte est ‘sans fondement et irresponsable‘, alors que tant de personnes anciennement ou actuellement employées dénoncent des faits de harcèlement et d’abus, c’est tout simplement inacceptable ».
Le tweet de Frances Townsend, massivement critiqué de toute part, n’a donc fait que rajouter à la très mauvaise ambiance qui règne d’ores et déjà au sein des studios. En dénonçant ce qu’elle appelle le « problème avec les lanceurs d’alerte », la cheffe des opérations du groupe s’est mis à dos bon nombre d’employés et d’internautes.
Mais surtout, au lieu de prendre le temps de leur répondre, ou de supprimer son tweet, Frances Townsend aurait, selon le média Kotaku, bloqué toutes les personnes critiques à son égard. « Toutes les personnes un tant soit peu critiques de sa décision de publier un article sur les dangers que représentent les lanceurs d’alerte ont été systématiquement bloquées », explique l’article. De nombreux journalistes auraient été ainsi été bloqués, de même que des professionnels du secteur des jeux vidéo — et même certains employés d’Activision.
Grève et boycott
Une première grève a été organisée par les employés d’Activision Blizzard le mercredi 28 juillet, un fait assez rare pour être souligné. Le secteur des jeux vidéo n’est en effet pas encore très syndicalisé, et aux États-Unis les grèves sont, depuis longtemps, un sujet tabou. Le fait que les employés soient allés jusqu’au bout montre leur détermination à faire entendre leurs revendications.
Mais il n’y a pas que les employés d’Activision Blizzard qui ont décidé d’agir. Après les employés d’Ubisoft, qui ont publié une lettre de soutien à leurs consoeurs et confrères, c’est au tour des joueurs de se mobiliser.
Le média spécialisé Millenium rapporte que des joueurs de Call of Duty Warzone, édité par Activision, ont décidé de boycotter le jeu. Pour l’instant, il est difficile de se rendre compte de l’influence de l’appel au boycott sur le jeu. La publication a reçu 2000 upvotes sur Reddit en quelques heures, sur un groupe comprenant au total plus de 740 000 membres — et elle a depuis été supprimée par les équipes de modération du forum.
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