En dépit des efforts fournis par les autorités et les ayants-droits, le piratage de contenus audiovisuels ne cesse de se renouveler. Le recours à l’Internet protocol television (IPTV) constitue ces dernières années une nouvelle brèche pour les pirates de l’audiovisuel.

C’est par un communiqué diffusé le 26 janvier que l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA), qui regroupe des organisations professionnelles du cinéma et des chaînes de télévision, a annoncé « le blocage de huit services illégaux de télévision par internet ». Ces derniers, tels que Iptv-teli ou King 365, proposaient des accès à des flux piratés. Par cette décision rendue en décembre dernier par la justice, les principaux fournisseurs d’accès à internet (FAI) sont désormais tenus de suspendre l’accès à ces noms de domaines durant 18 mois. Le nombre d’utilisateurs concernés reste inconnu.

La technologie de l’IPTV n’est pas récente, mais son utilisation, pas illégale en soi, constitue un nouveau business pour les pirates. Face à la fragmentation de l’offre SVOD (Netflix, Disney+, Salto…) et de chaînes payantes (BeIn, RMC sport…), des réseaux se sont organisés entre fournisseurs d’accès à un ou plusieurs serveurs, revendeurs et clients.

Pour l’expliquer simplement, l’Internet Protocol Television désigne le mode de transmission de programmes TV et de films via internet, sans antenne ni décodeur, et accessibles grâce à un navigateur, une smart TV ou une box Android.

« J’achète des accès et je les revends »

Pour arrondir ses fins de mois, Arnaud* vend des accès à des chaînes françaises et étrangères en direct, des compétitions sportives, ou encore à Netflix et à des catalogues de films et séries à faire pâlir les plus grosses plates-formes légales. Le tout est accessible sur tous les écrans, au sein d’un même interface, et à des tarifs bien en dessous de la concurrence légale. « J’achète des accès et je les revends, c’est tout. Ce sont juste des codes à rentrer. La plupart des gens ont déjà le matériel, que ce soit un boîtier, une télé connectée ou un smartphone », explique cet habitant de la région toulousaine.

Les contenus sont en HD, voire en 4K, et comme la majorité des revendeurs, Arnaud propose plusieurs offres d’abonnement, au mois ou à l’année.

Marketplace, pub sur les réseaux sociaux et SAV

Pour trouver leurs clients, les revendeurs n’hésitent pas à proposer leurs produits sur les marketplaces ou à communiquer ouvertement leurs tarifs sur les réseaux sociaux. Le bouche à oreille fait le reste. « Je ne fais même plus de pub », lâche Arnaud. « Avant je grattais sur Facebook, maintenant les clients viennent tout seul ». En cas de pépin, il assure même le service après-vente. Les transactions se font essentiellement via les plates-formes dématérialisées. Si ses profits se comptent en quelques centaines d’euros par mois, ceux captés par les gros réseaux peuvent atteindre des millions. Arnaud préfère miser sur la prudence et se contenter d’une clientèle restreinte. « Je suis petit, mais je ne veux pas grossir, car c’est risqué. Certains ont plusieurs serveurs, donc plus de choix. Ça ne m’intéresse pas.» Comme pour le streaming et le téléchargement illégal, le recours à l’IPTV pirate est passible en France de 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende.

Une télévision. Image d'illustration. // Source : Pxhere

Une télévision. Image d'illustration.

Source : Pxhere

Plusieurs démantèlements en Europe, mais peu de condamnations en France

Le blocage des noms de domaines par les FAI peut paraître léger face à la capacité de résilience des pirates, mais l’ALPA se montre confiante. « Nous ne sommes pas naïfs, il y a toujours moyen de contourner ce blocage, quelles que soient les mesures que l’on prend, mais ça n’est pas forcément à la portée de tout le monde », assure Frédéric Delacroix, délégué général de l’ALPA. « Le but c’est d’abord de faire comprendre aux gens qui s’abonne à ces services que c’est une pratique illégale. Il est évident que, fort de cette jurisprudence, on va la décliner de manière plus importante sur d’autres services ».

Bloquer l’accès aux sites est une chose, mettre la main sur les personnes qui sont derrière en est une autre et suppose une enquête de police. Plusieurs démantèlements coordonnés par Europol ont eu lieu en Europe ces derniers mois. En novembre 2020, L’Unité de coopération judiciaire de l’Union européenne Eurojust annonçait avoir mis la main sur 5 500 serveurs répartis dans plusieurs pays et appartenant à un réseau qui aurait généré 10,7 millions d’euros. Plus tôt, en juin, onze membres d’un réseau basé en Espagne ont été arrêtés pour avoir donné accès à 40 000 chaines, séries et films à 2 millions de clients. En France, où 5 % des internautes ont recours à l’IPTV illégale (selon une étude menée par la Hadopi et l’Ifop en 2018), un premier procès a mis en cause en juin 2019 deux revendeurs d’abonnements et de boîtiers importés de Chine. Depuis, les condamnations se font rares.

De son côté, la Hadopi, compétente essentiellement sur le peer-to-peer, ne peut que constater l’évolution des pratiques. « L’un des plus gros défi, dans ce domaine-là, c’est que les pirates sont très habiles », souligne Pauline Blassel, secrétaire générale de la Hadopi. « Cela demande une grande vigilance pour qu’on ne soit pas en retard face à des gens qui s’adaptent très vite. Il faudrait que nos moyens soient renforcés ». Sa fusion avec le CSA pour donner naissance à l’Arcom et le projet de réforme de l’audiovisuel, repoussé en raison de la crise sanitaire, devraient lui en donner. La Hadopi estime le manque à gagner des ayants-droits en 2019, toute technique de piratage confondue, à 1,03 milliards d’euros.

*Le prénom a été modifié pour garantir l’anonymat de la personne.

Source : Montage Numerama

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