« Est-ce que quelqu’un a remarqué que la famille n’est plus vraiment comme dans nos souvenirs ? » Jason Bateman hérite, comme d’habitude, d’une des blagues les plus méta d’Arrested Developement, celles qui nous rappellent que la série adore faire le pont entre la réalité et la fiction. Ici, Michael Bluth, le fils « qui n’a pas d’autre choix que de réconcilier toute sa famille », parle évidemment de la difficulté de faire revivre la série culte pour une saison 5.
Et Michael n’a jamais eu autant raison. Les huit premiers épisodes de ce nouveau volet, mis en ligne le 29 mai 2018 par Netflix, sont un calvaire à regarder. On oscille entre nostalgie éculée, crispation et ennui, le tout sur fond d’une extrême déception. Le sentiment est amer : on se prend à se demander comment on a bien pu en arriver là.
Une usine à recycler les blagues
On avait pourtant pardonné les égarements de la quatrième saison, alors que le chevalier blanc Netflix avait décidé de réanimer la production, sept ans après qu’elle avait été annulée par la chaîne américaine FOX. À l’époque, il était impossible de réunir tous les acteurs sur le même plateau de tournage, ce qui avait donné lieu à des épisodes saccadés, car centrés sur un seul personnage à la fois, leur enlevant une grande partie de leur saveur. Le créateur Mitch Hurwitz a beau les avoir redécoupés et remontés en 2018, on ne gardait que peu de souvenirs de cet objet creux et maladroit.
La véritable chute d’Arrested Developement, elle, arrive maintenant, alors que Netflix n’a mis en ligne que la première moitié de la saison 5 sur sa plateforme — dans l’espoir assumé d’obtenir des nominations aux Emmy Awards, dont la date limite de dépôt de candidature est le 31 mai.
On assiste alors impuissants à ce qui ressemble à une usine à recycler des blagues et broyer le rire. Hurwitz nous jette au visage des références aux premières saison pêle-mêle, tel un ex largué convaincu de pouvoir reconquérir son amour perdu en lui envoyant des anciennes photos. Tout y passe : le clignement d’œil si particulier de Lucile, le suspense autour de « Mister F », les shorts trop courts de Tobias, le « marry me! » de Maybe… La moulinette marche à plein régime, jusqu’à être utilisée comme élément de communication par Netflix (non, personne n’avait besoin d’un filtre « I just blue myself » sur Facebook).
Une déchéance inévitable ?
Il y a quinze ans (!), Arrested Developement survolait le paysage des comédies avec un flegme que beaucoup lui enviaient. Lancée par FOX, une chaîne traditionnelle qui a pourtant régulièrement donné leur chance à des comédies audacieuses (Bob’s Burgers, Brooklyn Nine-Nine, Family Guy), elle a débarqué en 2003 comme un bulldozer avec son narrateur omniscient, ses moqueries réfléchies et ses jeux de mots envoyés en rafales.
Mitch Hurwitz y contestait la notion préétablie de cool en imposant une série à l’allure geek et maladroite, dans un paysage encore peu habitué à l’esthétique des mockumentaires (The Office, Veep, Modern Family). Cette pépite à l’audience confidentielle a peu à peu gagné en réputation, devenant culte bien après son annulation en 2006.
Marqueur d’une époque désormais lointaine, elle semble être complètement passée à côté de notre présent, pourtant en demande de nouvelles comédies de qualité. Avec ses airs de boy’s club à peine déguisé et des blagues d’une lourdeur qu’on n’imaginait pas possible, elle devient au mieux soporifique, au pire exaspérante. Car on s’énerve plus d’une fois devant tant de facilité et de répétitions, de dialogues qui tirent en longueur — un comble pour la série épileptique des débuts — et de l’immense gâchis d’acteurs talentueux.
David Cross, l’un des comédiens les plus brillants de la série, est ainsi relégué au rang de comic relief agaçant, forcé d’endosser un large panel de déguisements, officiellement pour justifier la place de son personnage au sein de la famille Bluth, officieusement pour lui donner du temps à l’écran dans une saison qui n’a visiblement pas été écrite pour lui. Ne parlons même pas de Portia de Rossi, qui a tourné ses scènes en différé et a été gauchement rajoutée dans les plans avec toute la famille. « Elle est quasiment à la retraite », justifiait récemment un journaliste américain. Était-ce une raison de sortir les rames ? Il n’y a guère que le trio Alia Shawkat (Maybe), Jessica Walter (Lucile) et Michael Cera (George Michael) qui tirent leur épingle du jeu au sein de cette masse plus étouffante que le grenier de la maison des Bluth.
Circonspects, on finit par binge-watcher mécaniquement ces nouveaux épisodes, espérant que la machine va se mettre en marche, que le rire va arriver, que l’on retrouvera celle qui était sans conteste la meilleure série comique des années 2000. Mais on sait pertinemment qu’Arrested Development a perdu la guerre, à l’instar de cette stupéfiante interview du New York Times, sortie 6 jours avant la diffusion de la saison 5, qui montrait des acteurs à l’image de leur série : sur la défensive, dépassés, incapables de se remettre en question. Du gâchis.
https://www.youtube.com/watch?v=gXg2_yExgVY
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