Directeur créatif de l'extension Blood Dragon de Far Cry 3, Dean Evans a pitché chez Ubisoft le concept d'un jeu dont l'antisémitisme ne fait guère de doute. Mais il provoque une interrogation : pourquoi les minorités religieuses sont-elles quasiment invisibles dans les jeux vidéo, et ne faudrait-il pas qu'elles le soient davantage ?

En France, il aurait essuyé immédiatement les foudres judiciaires, et subi le lynchage médiatique que la culture européenne impose en de telles circonstances. Mais dans le monde anglo-saxon, où les Etats-Unis promeuvent une idée de liberté d'expression totale, l'affaire n'a pas fait scandale. En revanche, elle fait naître un débat intéressant sur la place accordée aux minorités religieuses dans les jeux vidéo.

Alors qu'il participait à la Design Academy d'Ubisoft, créée en interne par l'éditeur pour que les designers s'exercent à créer des mécaniques de jeux intéressantes, le directeur créatif de Far Cry 3 : Blood Dragon, Dean Evans, a pitché un concept de jeu qu'il décrit lui-même comme "incroyablement offensant".

C'est le moins que l'on puisse dire.

Le jeu, intitulé "Tellement Juif que vous voulez être un voleur ?", propose au joueur d'incarner un Juif hassidique qui doit passer son temps à voler les autres en toute discrétion. Le but du jeu est de disposer les objets volés dans son inventaire, matérialisé par une grille, de telle façon qu'ils n'attirent pas l'attention lorsque le voleur doit se mettre à courir. Par exemple, il faut éviter de mettre deux bouteilles côte à côte, pour ne pas qu'elles fassent du bruit en s'entrechoquant. "J'ai vraiment travaillé dur pour que le jeu soit fait et bien sûr, ça n'arrivera jamais", se lamente le créatif, qui regrette qu'aucun éditeur international ne se risquerait à sortir un tel jeu. Même s'il a imaginé un prétexte bidon pour se défendre d'antisémitisme. Il prétend que le héro ne vole pas parce qu'il est Juif, comme le laisse entendre le nom du jeu, mais simplement parce qu'il est atteint de kleptomanie.

Trop peu de minorités dans les jeux vidéo ?

Le journaliste spécialisé Jason Schreier, qui se revendique lui-même comme "assez grand Juif" sur Kotaku, "qui à la fois se moque et chérit sa culture", explique qu'il ne s'est pas senti particulièrement offensé par le concept du jeu. "Le stéréotype "les Juifs aiment vraiment l'argent !" est tellement banal et ennuyeux qu'il en faudrait beaucoup plus pour me mettre en colère", assure-t-il, avant d'engager une réflexion très pertinente.

"Ce qui m'ennuie beaucoup plus que la blague elle-même, c'est le fait que c'est l'une des toutes premières fois que je vois quelqu'un parler du judaïsme comme d'un sujet méritant d'être exploré dans un jeu vidéo. Et le résultat c'est… ça".

"Les jeux vidéo tendent à manquer de diversité raciale", constate-t-il. "Les développeurs de jeux et les éditeurs ne passent pas beaucoup de temps à parler publiquement des représentations minoritaires. Il y a très peu de héros juifs dans les jeux vidéo".

Jason Schreier cite quelques rares jeux mettant en scène des Juifs, comme The Shivah, un jeu d'aventure édité en 2006 dans lequel le joueur incarne un rabbin, ou Wolfenstein, dans lequel le soldat polonais William Joseph "B.J." Blazkowicz combat des nazis (mais même là, il n'est dit explicitement à aucun moment dans la série que le héro est effectivement juif). Mais c'est pour lui une rareté finalement assez normale.

"Il n'y a pas beaucoup de Juifs dans les jeux vidéo. C'est quelque chose que j'ai toujours trouvé intéressant, étant donné le nombre disproportionné de Juifs dans le monde du cinéma et de la télévision. Mais ça n'est pas particulièrement étrange. Les Juifs représentent moins de 0,2 % de la population mondiale, donc il est logique qu'ils ne soient que dans 0,2 % des jeux vidéos dans le monde".

Reste que de façon plus intelligente, les jeux vidéo pourraient sans doute contribuer à lutter contre le racisme et l'antisémitisme, s'ils intégraient l'éducation aux religions et les minorités dans leurs scénarios. Mais là encore, quel éditeur s'y risquerait ?

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