Depuis la saison 6 de Game of Thrones, les lecteurs des romans ont vu l’histoire de George R.R. Martin devancée par la série TV. Comment vivent-ils cette inversion des rôles qui se poursuit avec la saison 7, eux qui avaient jusque-là toujours de l’avance sur les spectateurs ? Nous avons interrogé une partie de la communauté.

Les lecteurs de Game of Thrones — ou plutôt de A Song of Ice and Fire, le titre original de la saga — de la première heure n’ont pas attendu que l’univers imaginé par George R.R. Martin devienne un phénomène mondial grâce à la série HBO pour se passionner pour les intrigues politiques de Westeros. D’autres ont découvert la saga grâce à son adaptation TV mais l’ont ensuite devancée en se plongeant dans les romans déjà parus.

Mais aujourd’hui, alors que la très attendue saison 7 — l’avant-dernière — est sur le point de commencer (le 16 juillet aux États-Unis), ces fans se trouvent dans une situation particulière : depuis la saison 6, l’adaptation télévisée de Game of Thrones a en effet dépassé les romans.

Son dernier volume en date, A Dance with Dragons, est paru en 2011. En cause : le retard chronique de George R.R. Martin (alias GRRM), qui reconnaît lui-même son incapacité à achever ses intrigues dans les temps, alors qu’il doit encore achever les deux derniers tomes de la saga, The Winds of Winter et A Dream of Spring.

Avant le lancement de la saison 6, l’auteur s’excusait de ce nouveau report et tentait par la même occasion de rassurer ses fans : « Vous trouverez inévitablement [dans cette saison] des rebondissements et des révélations qui ne se sont pas encore produits dans les livres. […] Mais certains de ces ‘spoilers’ n’en seront pas car les livres et la série divergent, et continueront de le faire. » D’autant que certains personnages sont morts dans la série et pas dans les livres (et vice-versa).

Comment les lectrices et lecteurs de Game of Thrones vivent-ils ce revirement de situation parti pour s’aggraver au fil des années ? La peur d’être spoilé(e) peut-elle les inciter à éviter cette nouvelle saison ? Les réponses des principaux intéressés retracent, par extension, leur rapport personnel à l’adaptation télévisée.

Attention, spoilers sur les 6 saisons de Game of Thrones comme sur tous les livres parus en VF et en VO.

« On se doutait que la série irait plus loin que les livres »

Pour Virginie, 32 ans, qui a découvert la saga littéraire en 2006 et soutient la maison Greyjoy, l’inquiétude à l’idée de voir les livres devancés par la série TV remonte à loin : « Tous les lecteurs qui ont suivi comme moi [le sujet] dès les annonces de l’adaptation en série télé se sont posés la question. Le rythme télévisuel est exigeant et fixe : la plupart des séries doivent faire une saison par an, or GRRM n’est pas un auteur prolifique, on se doutait donc que la série irait plus loin. »

Elle était effectivement loin d’être la seule, comme le confirme Michaël, 31 ans : « Je me suis vite rendu compte que la série dépasserait les livres au vu de la vitesse d’écriture de George R.R. Martin, et j’ai […] eu des craintes. »

D’autres, comme Fabienne, 40 ans, n’ont pas eu à se poser la question : elle a découvert les livres grâce à son mari qui regardait la saison 2, et si elle ne regarde pas la série TV — à l’exception de quelques passages de la saison 5 –, elle suit de près sa progression grâce aux retours de son époux et aux comptes-rendus de fans publiés sur le web.

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De fait, la saison 6 a-t-elle marqué une véritable rupture pour les lecteurs jusqu’ici habitués à devancer la série TV ? Pas pour Sylvain, 35 ans, qui s’est intéressé aux livres — et à la famille Stark — après avoir découvert Game of Thrones grâce à l’adaptation de HBO: « J’ai vécu [ce changement] sans difficulté car on avait déjà vu à ce moment-là que la série s’était irrémédiablement écartée des livres. »

Michaël l’a bien plus « mal » vécu, lui qui a désormais « l’impression d’être [spoilé] par des résumés vidéo du livre » lorsqu’il regarde la série. Benjamin, 24 ans, parle pour sa part d’une « déception », exemple à l’appui : « [Pour moi], la mort de Rickon est un moyen de s’en débarrasser car les scénaristes ne savaient pas quoi en faire ».

Des fans en désaccord sur la question du spoiler

Quant à savoir si la série spoile désormais les lecteurs, la question divise les fans interrogés. Virginie se montre catégorique : « Non, on ne peut absolument pas affirmer que la série spoile les livres. Les différences sont devenues tellement énormes qu’il est impossible de savoir si un élément de la série sera le même que dans les romans. J’appelle ça un spoiler de Schrödinger : on ne peut pas savoir si c’est un spoiler ou non tant qu’on n’aura pas lu tous les livres. »

Sylvain abonde dans le même sens : « Comme on ne sait pas ce qui est respecté et ce qui est modifié, ça ne spoile pas vraiment. »

J’appelle ça un spoiler de Schrödinger : on ne peut pas savoir si c’est un spoiler ou non tant qu’on n’aura pas lu tous les livres

Benjamin est loin d’être d’accord : « Je me souviens d’avoir été spoilé par un synopsis d’épisode avant sa première diffusion, où HBO présente le chef des marcheurs blancs comme étant le Roi de la Nuit, un personnage à peine évoqué dans les livres, et jamais dans la série… Là, je me suis senti frustré ! Sinon, on sait que l’origine du nom Hodor sera la même [dans le livre], mais le contexte sera, d’après George R.R. Martin, totalement différent, donc cela gardera toute la saveur de la nouveauté. »

Pour Olivia, 22 ans, fervent soutien de la famille Martell, le constat est clair mais pas dérangeant : « La saison 6 a spoilé […] mais ça ne spoile pas de nombreuses intrigues, donc le [futur] bouquin sera quand même plein de surprises. Personnellement, ça ne me gêne pas, je sais que le point de vue de GRRM sera différent, qu’il aura un ressenti [propre]. »

Fabienne est dotée de deux certitudes : « Les scénaristes de la série n’ont rien spoilé avec exactitude et aucun des événements qui a eu lieu (ou aura lieu) dans la série ne sera le même que dans le livre. […] Il me semble que les scénaristes ont remarquablement bien compris l’œuvre de GRRM et qu’ils en ont repris de grands thèmes sur lesquels ils mettent davantage l’accent : GRRM a éparpillé ses thèmes sur beaucoup plus de personnages là où la série a dû les concentrer. »

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« La confirmation de la théorie R + L = J a ulcéré certains lecteurs »

Pour Virginie, qui est aussi une membre active de la Garde de nuit, la communauté francophone de référence sur l’œuvre de George R.R. Martin, il existe aujourd’hui deux camps distincts au sein du forum : « Les lecteurs sont partagés entre crainte des spoilers et indifférence. La plupart des gens sont complètement conscients du fait que, même dans le cas où la série spoilerait un élément, celui-ci serait forcément présenté différemment dans le livre. »

Elle poursuit : « Mais les divergences se situent plutôt au niveau de la tolérance de chacun au spoiler : certains sont ulcérés que la série ait confirmé la théorie R + L = J avant le livre. Ceux qui apprécient encore la série et la regardent toujours disent souvent la regarder comme un produit dérivé, une histoire alternative. »

Du côté des passionnés anglophones, les avis sont encore plus tranchés, selon Fabienne : « De mon expérience de lectrice et participante occasionnelle à Westeros.org, […] la pensée dominante sur le forum de la saga [littéraire] est que le canon de la série et celui de la saga sont différents, voire en opposition, et il ressort pas mal d’hostilité et de mépris par rapport à la série. Essentiellement vis-à-vis des théories qui prétendent expliquer la saga en analysant la série. »

Elle nuance toutefois : « Je n’arrive pas à savoir si c’est vraiment représentatif. Il y a peut-être moins de pudeur chez les anglophones à exprimer ses préférences de manière radicale, et moins de crainte de se faire taxer d’élitiste, [en partant du principe caricatural] que la saga c’est pour l’élite et la série pour le peuple ».

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« Deux façons différentes de raconter une histoire dans le même univers »

En substance, on retrouve chez chaque fan interrogé le même constat : les livres et la série de HBO sont aujourd’hui deux formats complètement distincts, qui connaissent chacun une évolution différente.

Marc-Édouard, 38 ans et partisan de la maison Stark depuis qu’il a découvert Westeros grâce aux livres, a ainsi appris, avec le temps, à nuancer son rapport aux deux œuvres : « Au tout début de la série, je m’attendais à une adaptation ‘pure et dure’ et les petites libertés prises [par HBO] m’énervaient un peu au départ. Mais aujourd’hui, je considère les deux médias comme deux façons différentes de raconter une histoire se déroulant dans un même univers. »

Les lecteurs qui apprécient encore la série et la regardent toujours disent souvent la regarder comme un produit dérivé, une histoire alternative.

Benjamin pense lui aussi que les parcours que les deux œuvres peuvent encore emprunter seront forcément différents : « Il suffit de regarder les intrigues des deux, que ce soit avec les îles de Fer ou à Dorne, même à Mereen : il est impossible que cela se déroule de la même façon. » Virginie est on ne peut plus d’accord : « Même si la finalité d’un élément de la série se retrouve à être le même que dans les livres, les circonstances qui auront mené à cette finalité seront amplement différentes. Je pense notamment à Sansa dont le parcours est radicalement différent. […] La toute fin de l’histoire sera peut être vaguement similaire… mais avec un chemin emprunté très différent. »

Fabienne y va de sa propre théorie : « Je suis arrivée à la conclusion que quand les scénaristes se sont rendus compte que GRRM ne terminerait pas sa saga avant la série, il y a eu un accord tacite — ou non — pour que la série ne spoile pas le livre. Et qu’ils se sont trouvés dans la situation d’inventer une histoire qui ne soit pas tout à fait la même. »

 Les dernières saisons, jugées décevantes

Tous les lecteurs consultés qui suivent la série comptent regarder la nouvelle saison. Virginie, elle, poursuit son renoncement entamé il y a quelque années : « J’ai arrêté de regarder la série après la fin de la saison 4 car je sentais que je n’y prenais plus de plaisir. En saison 4, on commençait à sentir que les scénaristes se perdaient lorsqu’ils ont dû commencer à faire des choix pour s’éloigner des livres. Or les choix qu’ils ont fait ne me paraissaient pas cohérents, et la série perdait petit à petit la qualité de l’intrigue qui fait l’intérêt des romans. »

Tous les fans sollicités tombent d’accord sur un point : la baisse de qualité de l’adaptation télévisée au fil des saisons, avec un consensus qui établit le point de rupture à la saison 5. Un ressenti également partagé par Fabienne, et ce malgré la distance qu’elle maintient avec la série : « Quand, dans la saison 5, j’ai aperçu Jaime avec Bronn en road–movie à Dorne avec des images pas terribles, j’ai fui. Et j’entendais mon mari ricaner, ce qui n’est pas bon signe si la série n’est pas délibérément comique »…

Si la plupart estiment que qualifier les dernières saisons de Game of Thrones de « série B » reste exagéré pour autant, Michaël trouve cette comparaison justifiée : « Les premières saisons étaient très fidèles à la chronologie des livres, il était possible de mettre face à face les épisodes avec les chapitres. Les dernières saisons sont beaucoup remaniées pour simplifier l’histoire et réduire le nombre de personnages. »

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La fin des livres ? « Pas avant une décennie »

Reste une question essentielle pour la communauté : George R.R. Martin achèvera-t-il bel et bien son œuvre, même après la fin de la série ? Les opinions, souvent tranchées, divergent à nouveau. Marc-Édouard compte parmi les lecteurs pessimistes : « Je ne suis malheureusement pas sûr que Martin terminera un jour son oeuvre — ni qu’il en ait véritablement l’envie d’ailleurs — car j’ai l’impression qu’il s’en sent prisonnier […] et qu’il laissera la série conclure pour lui car il a livré une fin pour les studios. » Michaël pense, lui, que l’auteur ira au bout, mais pas avant « une décennie ».

Virginie fait confiance à l’auteur : « Contrairement à ce que beaucoup trop de gens lui reprochent, GRRM travaille beaucoup sur son livre. Le Trône de fer est une oeuvre extrêmement complexe et riche, avec une intrigue parfaitement huilée, et un texte rempli d’indices et de références. Ce n’est pas ‘juste une histoire’ qu’il suffit de raconter. C’est tout l’intérêt de ce livre par rapport à d’autres oeuvres de fantasy : rien de ce que GRRM n’écrit est laissé au hasard, c’est d’ailleurs pour cela qu’on arrive à établir autant de théories sur les nombreux secrets disséminés dans l’oeuvre. »

Si personne ne sait quand George R.R Martin achèvera sa saga, ce dernier avait au moins vu juste lorsqu’il tentait d’anticiper la réaction de ses fans face ce renversement des rôles entre lecteurs et spectateurs : « Pendant des années, mes lecteurs avaient de l’avance sur les spectateurs. […] L’inverse sera [désormais] vrai pour certains éléments. Comment comptez-vous gérer ça… tout dépend de vous. […] Vous préférerez peut-être l’un à l’autre mais vous pouvez toujours prendre votre pied avec les deux. »

 


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