Alors que certains se targuent en 2016 d’avoir remporté la bataille du mème, prétendant même que leurs images auraient permis à un certain président américain d’être élu, il est temps de revenir à des fondamentaux : le bon vieux mème qui fait rire gratuitement, incarné à merveille par les Respectful Memes.

Difficile de faire une généalogie morale du mème sur Internet : à peine inventé, il servait déjà les pires comme les meilleures intentions. Le mème, que l’on comprend comme un phénomène extra-linguistique, peut être autant une chanson, qu’un comportement, une image, un slogan ou tout autre matériel numérique, rarement noble en tant que tel, utilisé pour exprimer des sentiments ou des blagues et qui a une diffusion virale.

Un meme de 2016

Un mème de 2016

Il devient mème non pas par sa performativité mais par sa reconnaissance par des pairs en tant que référence commune. C’est donc un humour social qui se construit autour de lexiques partagés et cohérents : le mème est de fait, dépendant d’une lecture acquise et non innée.

De l’herméneutique du mème

Cette compréhension qui demande une culture précise fait échapper la grande majorité des personnes aux blagues des mèmes. Les gens ne les comprennent pas ou les rejettent, car le message profond du mème est sibyllin, peu intelligible. C’est une introduction difficile au mème mais qui permet de comprendre pourquoi le mème est très rapidement devenu une arme politique, bien plus rapidement que d’autres phénomènes de communication.

Car le langage du mème est un langage de conventions, qui sont adoptées par des individus partageant a minima un socle culturel commun. Et de fait, la lecture du mème est à elle-même une expérience herméneutique, dans laquelle le langage, l’image et l’histoire ont chacun un rôle déterminant.

Peppe, le suprématisme rendu cool

Pepe, le suprématisme blanc rendu cool

C’est ce que l’on comprend lorsque le scandale autour de l’utilisation de Pepe the Frog éclate. Le mème de la grenouille, tant apprécié par les suprématistes blancs américains qui militent pour Trump, semble être défini par ce groupe comme leur apanage exclusif. Si bien qu’ils imposent par leur nombre et la diffusion de leur présence culturelle une sorte de monopole d’interprétation de Pepe the Frog.

Alors que la grenouille était auparavant utilisée par différents groupes sociaux pour exprimer différents sentiments, soudainement, par une présence massive, les trolls pour Trump ont condamné Pepe à être leur symbole. Si bien que dans les institutions de luttes contre le racisme en Amérique,Pepe the Frog s’est vite vu référencé comme un symbole raciste, suprématiste et antisémite.

Est-ce une raison d’abandonner les mèmes ?

L’anecdote permet d’éclairer d’une nouvelle lumière les méthodes de l’extrême droite américaine, tout comme elle permet de redonner au mème une définition claire : il n’est et ne sera certainement jamais universellement intelligible. Le mème est un motif qui soutient ce que l’histoire et sa communauté lui attribue, jusqu’à en devenir condamné.

Est-ce une raison d’abandonner pour 2017 les mèmes et les fous rires qu’ils nous procurent ?

Peut-être pas. Plutôt que de nous indigner des années durant à cause de la perte d’Harambe et la conversion forcée de Pepe, nous pouvons nous tourner vers une tendance émergente à laquelle on promet de beaux jours : le respectful meme.

Ces nouveaux mèmes sont un retour à l’origine du mème : drôle, bête et instantané, ils ne nécessitent que rarement une culture précise pour les comprendre. Et surtout : ils ne sont pas politisés.

Un compte Twitter en rassemble un grand nombre et l’utilisateur derrière cette suite de mèmes gentiment niais écrit : « 1ère source de mèmes à montrer à votre grand-mère. » Or c’est précisément le défi du mème : devenir intergénérationnel voudrait dire qu’il est désormais plus explicite et dépend moins d’une culture de la lecture. Si votre grand-mère rigole, on doute qu’il soit question de grenouille hitlérienne, ou d’autres sujets discriminants.

Car enfin, le respectful meme semble aller de paire avec les nouveaux mouvements qui s’élèvent contre la violence (idéologique ou visuelle) qui se répandent sur les boards et les réseaux sociaux, dont le trigger warning fait parti. Ce dernier, souvent écourté #TW et donnant une alerte sur un contenu sensible, est également une réponse à la multiplication des trolls et des mauvais esprits sur le net. Une sorte de retour en grâce de la bienveillance efficace sur le wild web. Et si l’on rigole en lisant ces mèmes respectueux, c’est que le trop gentil et le kitsch ne sont jamais bien loin.

Ces tendances semblent être la réponse la plus naturelle, trouvée par les internautes, au retour de bâton qui semble frapper le politiquement correct sur le net. Entre la niaiserie bienveillante à peine ironique ou les avertissements que votre moral va bientôt vaciller à cause d’un mème triggering, le web finit par devenir un enfant qui sait, enfin, calmer ses pulsions.

Mais enfin malgré les perceptions de chacun, le web n’est définitivement à personne, ni à /the_Donald/ ni même aux social justice warriors : il est seulement l’arène des tendances que s’échangent des groupes socialement et culturellement relativement prédéfinis. Alors, réjouissons-nous, peuple d’internet, d’avoir enfin trouvé dans le Mème Respectueux un langage basique, non offensant, drôle et commun. Paix et amour sur votre routeur !


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