Un imaginaire esthétique
Avant toute chose, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer, sur votre site, que vous teniez un podcast.
Oh ! Ca c’est Le Palais des déviants, avec Laurent Queyssi. Il est en sommeil prolongé depuis un certain temps. On voulait enregistrer nos conversations, sur le ton du bavardage, et discuter avec des gens qui nous intéressaient ou avec qui on voulait passer un moment. Pas de ligne directrice, pas de réelle construction.
Ca se voulait ludique dans la forme comme dans le fond et ça pouvait durer une demi-heure comme une heure. Il est à l’arrêt car nous sommes très pris… faire un podcast demande de faire un montage, de gérer le site, son suivi, etc. On joue régulièrement avec l’idée de recommencer.
C’est quelque chose qui vous intéresse, le medium podcast ?
Oui, oui. Je suis un grand consommateur de podcasts. J’écoute quasiment pas la radio en direct, et ne l’écoute qu’en différé, quand je veux, avec l’attention que je veux. La radio publique, des émissions anglo-saxonnes. Je me promène énormément selon les sujets, je navigue dans iTunes, je tape les mots-clé qui me plaisent… des fois, j’écoute pendant un mois puis je me lasse et je passe à autre chose.
Qu’est-ce qui a marqué votre imaginaire depuis les Utopiales 2015 ?
La chose qui m’a le plus frappé, c’est sans doute ce qui n’existe pas encore. L’annonce de Peter Jackson, de produire une série de films qui seraient des adaptations jeunesse tirées des romans de Philip Reeve. Le premier, c’est Mécanique Fatale. Dans son communiqué, Peter Jackson emploi spécifiquement le mot steampunk. Ca m’a fait pétiller l’esprit, c’est peut-être la première œuvre qui va toucher le grand public avec une masse de visuels, une proposition cinématographique qui risque de faire passer le steampunk dans ce champ, et de donner « le film steampunk » que l’on attend tous.
… et devenir une nouvelle véritable référence des années 2010 ?
Cela pourrait. C’est Peter Jackson ! Il arrive avec un savoir-faire, des équipes, une capacité de rendre compte l’univers des romans. Dans Mécanique Fatale, les villes sont devenues mobiles et se dirigent à la surface de la planète. Elles se livrent des combats les unes avec les autres. Un roman d’initiation, où on suit le jeune héros dans une quantité d’aventures et de mystères à résoudre.
La chose qui m’a le plus frappé, c’est sans doute ce qui n’existe pas encore
C’est extraordinairement visuel et je pense que c’est exactement ce à quoi le steampunk est voué – apporter des solutions visuelles en utilisant une grammaire passée. Actuellement, si on regarde la science-fiction cinématographique, on est dans un état de bégaiements, de motifs intérieurs. Les Star Wars continuent d’explorer la même veine avec énormément de succès mais sans proposer aux gens quelque chose qui parlent de leur époque ou qui parlent d’eux. Là, on tient peut-être quelque chose.
C’est peut-être dommage qu’un cinéaste européen ne s’en soit pas occupé avant… mais c’est pas grave.
Toujours dans cette perspective, en accord avec le thème « Machines », voudriez-vous mettre quelque chose en emphase ?
En télévision, il y a ce que peut proposer la série Westworld. Ils tentent le grand écart avec le matériel-source de Michael Crichton et une ambition qui touche à Phillip K. Dick, avec la machine qui accède à la conscience et la vie. C’est une série qui débute juste, mais qui fait des proposition visuellement enthousiasmantes. C’est une série HBO, donc une série premium en matière de production et un gage de qualité en général.
La machine dans la pop culture
Quelle est la place, ou l’image, de la machine dans la pop culture et l’imaginaire à l’instant T ?
On traîne les mêmes motifs et archétypes de la science-fiction. On a la machine amie et la machine ennemie. Le robot au sens large, le robot domestique comme le robot industriel. Il se révolte ou il passe à notre service.
Une image constante depuis l’avènement du rétrofuturisme ? Les années cinquante, soixante…
Ah, oui. Si on remonte à la pièce de théâtre R.U.R. qui a donné le mot « robot », nous avons cette question de la métaphore du robot comme esclave de l’humain. Et depuis Spartacus, on sait que les esclaves ne le restent jamais longtemps. Nous sommes à une époque intéressante où tous les motifs de science-fiction se rejoignent. On regarde un épisode de Star Trek ? Ils tiennent des tablettes tactiles, ils ont des téléphones portables… il ne nous manque que les vaisseaux spatiaux et les vulcains.
L’utopie de la machine qui libère l’homme n’a jamais eu lieu
Avons-nous arrêté de voir la machine comme une menace ?
Non. Maintenant, on a compris qu’elle est aussi une menace en termes écologiques et pour l’emploi. L’utopie de la machine qui libère l’homme n’a jamais eu lieu et le déploiement « machinique » peut être inquiétant. Fabriquer ces machines a un coût pour la planète et un impact pour nous vies.
Et en termes d’intelligence artificielle ? « Remplacement » est devenu un terme très connoté mais la singularité nous guette-elle toujours ?
D’une façon ou d’une autre, on y tend. Que cela prenne dix, trente ou cinquante ans, ça va être quelque chose de plus en puls habituel. Nous avons des assistants numérique, que ce soit pour donner un numéro de téléphone à une hotline ou dans notre téléphone, pour papoter avec Siri et Cortana. Il est fascinant de voir des gens se mettre en colère contre Siri. Ca m’est déjà arrivé… il y a une sensibilité et une empathie qui se pose là.
Ces assistants ne sont pas des AI mais ils nous font oublier que ce sont des programmes. Ils ont un sens de l’humour qui, pour l’instant, n’est qu’une arborescence. Mais tout est fait pour gommer l’artifice et nous faire croire à l’illusion.
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Aux origines
Nous sommes à Nantes, ville de Jules Verne, comme chacun sait. Peut-on revenir les liens de parentés, très discutés, entre ce dernier et le steampunk ?
En premier, le steampunk n’est pas une mode. Ce n’est pas récent, il a plus de 30 ans.
Rappelons que c’est K. W. Jeter, qui, dans une lettre au magazine Locus en 1987, adresse le terme ironiquement…
…oui. Pour définir les romans étranges qu’il écrivait avec James Baylock et Tim Powers. « On va appeler ça du steampunk. » Le mot ne veut rien dire, et c’est simplement une parodie d’une forme de science-fiction alors récurrente, le cyberpunk. Des univers sombres et politisés. On a le mot… et il va définir ces formes romanesques et artistiques qui sont là depuis les années 70. Des fictions qui se déroulaient à l’époque Victorienne, qui mélangeaient la fiction et la science-fiction.
C’est une uchronie — « que se serait-il passé si ? » — qui cherche à comprendre comment serait le monde si la science avait suivi un déroulé différent. On peut penser à la Machine à Différences, où les auteurs se demandent ce qu’il se serait passé si Charles Babbage avait créé ce qui aurait été le premier ordinateur de l’histoire humaine. Il avait les plans, le financement a été coupé court. Néanmoins, Ada Byron, la fille de Lord Byron, avait écrit le premier langage informatique de l’histoire. Ce n’est que bien plus tard, de manière récente, que des universitaires on fini ce projet.
Le steampunk est donc un genre qui n’existe pas, qui n’a jamais eu d’école ou de manifeste
Avec l’uchronie, on peut dériver sur la technologie, une source d’énergie alternative. Là où le steampunk varie ? Il ajoute des éléments de science-fiction qui peuvent aller des extraterrestres aux biomécanismes aux robots géants : tout ce que vous voulez, même des éléments de fantasy. Des elfes, des créatures magiques, il n’y a aucune limite. À tout cela, le steampunk va réintégrer tout l’imaginaire de l’époque dans une démarche rétrofuturiste. C’est-à-dire qu’on va pouvoir faire une histoire à l’époque du capitaine Némo à bord de son Nautilus, et il pourra y rencontrer Jules Verne.
C’est un imaginaire extrêmement vaste, celui de la fin du 19e siècle et du début du 20e. Avec H.G. Wells et Verne va naître la science-fiction, et va naître le fantastique et quantité de formes artistiques et littéraires. Tous les germes de notre culture sont alors en développement. Le steampunk est donc un genre qui n’existe pas, qui n’a jamais eu d’école ou de manifeste, c’est une esthétique, une boîte à outils. Elle crée des univers rétro pour parler de notre présent. Ce n’est pas faire du Verne à la manière de Verne, mais se servir de l’imaginaire Vernien, son héritage, pour le revisiter avec une sensibilité contemporaine.
Vous avez parlé de La Machine A Différence et soulevé un point sur la création de l’ordinateur. Dans The Imitiation Game, que pensez-vous de cette affirmation comme quoi la machine de Turing est le premier proto-ordinateur ?
C’est un raisonnement logique dans le sens où c’est le premier qui a fonctionné. La machine de Babbage n’a jamais été construite de son vivant, et c’est ce qui la rend fascinante, elle est source de rêveries. Dans le roman éponyme, Sterling et Gibson placent cette machine-là dans la naissance de l’intelligence artificielle. Je ne voudrais pas spoiler la fin du livre…
Vous avez dit que le steampunk n’était pas une mode. Pourrait-on dire que cet imaginaire a été plus mobilisé en début de décennie avec des œuvres comme Sucker Punch, pour être moins mobilisé dans l’imaginaire fictionnel populaire ?
De 2000 à 2010, on a eu une montée en puissance considérable. Même Prada sortait des collections frappés de signes steampunk. Des paliers s’expliquent. L’effet de surprise n’est plus là, mais la production continue. Les communautés steam sont arrivées à un premier pallier de masse critique, et il y a eu un renouvellement générationnel. Aussi, l’idée, à tort, que ça allait être un raz-de-marée. C’est sans doute une phase transitoire. Les genres de l’imaginaire marquent le pas dans le domaine littéraire mais parlent moins au grand public, avec la difficulté de toucher un nouveau lectorat. Le steampunk voulait parler à tout le monde, il marche énormément en bande-dessinée. Il redonne force à des figures éculées comme le savant fou, par exemple. Pensez à James Bond : à l’époque de Sean Connery, un savant fou c’était formidable, chez Daniel Craig, ça fait hors-sujet. Il revivifie une histoire nationale. Ca peut servir à introduire un renouvellement des formes et des motifs.
L’avenir du steampunk
Une transition, donc… mais vers quoi ?
Les gens aiment ce genre car il rend heureux. Il est cool, beau, séduisant, élégant. Le costume steampunk en convention fait se retourner les gens. Il apporte cet élément de surprise qui fait beaucoup de bien, mais on ne peut pas passer dix ans encore à revisiter le passé. La mine va s’appauvrir. Je vois un glissement vers le dieselpunk, s’intéresser au rétrofuturisme juste après la seconde guerre mondiale et le retour du pulp.
Les films Marvel produisent-ils un émerveillement ? Je ne pense pas
En espérant que ce ne soit pas le film Wild Wild West qui le codifie… (rires)
Ouhla, non. Mais on peut penser à À la recherche de demain dont c’était la thématique. C’était la problématique : l’appauvrissement de l’imaginaire. Il m’a parlé puisqu’il y a une séquence dans la Tour Eiffel qui remet le steampunk où il est. Le propos du film est de trouver l’énergie qui permet de raconter à nouveau des choses enchanteresses dans le sens le plus noble : retrouver le sensé of wonder. Les films Marvel, actuellement, produisent-ils un émerveillement ? Je ne pense pas. Ils distraient, mais n’émerveillent pas. Ce sont des produits de consommation de masse, avec un calibrage extrêmement fin.
Alors quel est le ____punk dont l’imaginaire se fomente aujourd’hui ?
Je pense que nous allons vers la disparition de la notion de genre. Prenons un exemple simple. Michel Houellebecq utilise explicitement des codes de science-fiction et sera toujours publié en littérature « blanche ». Le polar flirte aussi avec la science-fiction, façon Maurice Dantec. Les passerelles vont se multiplier de plus en plus.
Des œuvres emblématiques pour découvrir le steampunk, en général, le kit du débutant ?
En dehors de tout ce qui a été évoqué, il ne faut pas hésiter à aller voir les auteurs français. La Trilogie de la lune de Johan Heliot chez Mnemos. Le cycle d’Ecryme de Mathieu Gaborit, Fabrice Colin, tout une génération de jeunes auteurs français. N’hésitez pas à aller voir Olivier Gechter également.
Photographies : Benjamin Benoit, Utopiales 2016
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