Après Friends, Matthew Perry a tenté de prolonger le succès pendant une décennie, mais toutes ses séries ont fini au cimetière. Histoire d’une lente désillusion, au rythme d’une carrière étouffée par les comédies aseptisées.

On prend le même, et on recommence. Dans le cercle fermé des sériephiles aguerris, Matthew Perry a trainé pendant des années une réputation de chat noir. On dit « fermé », car les néophytes ne se doutent pas que l’acteur, mort le 28 octobre à 54 ans, a enchainé durant une décennie les tentatives de comeback sur le petit écran.

Comment (se) reconstruire après un tsunami ? De 1994 à 2004, Perry était, avec ses cinq comparses, au sommet du monde audiovisuel. Dix années de tournage en public, d’improvisation en plateau, de photoshoots pour apparaitre en une de tous les magazines du pays et d’ailleurs, de négociations salariales mirobolantes. Et après, quoi ? On se quitte sur le palier en placo d’un appartement new-yorkais et il n’y a plus qu’à entamer le reste de sa vie.

studio 60 matthew perry
Matthew Perry dans Studio 60 on the sunset strip

Et maintenant, quoi ?

Friends est terminé. Matthew Perry a 35 ans, des millions de dollars en poche et traine derrière lui déjà dix ans de bataille contre une addiction tenace à l’alcool et aux opiacés. La suite commence pourtant bien : il arrive en 2006 dans le Studio 60 On The Sunset Strip d’un Aaron Sorkin idolâtré pour ses sept années à la tête d’À la Maison Blanche. Le rôle lui va à merveille : un scénariste de génie qui pense cacher son besoin de poésie derrière une carapace de sarcasme, mais ne dupe personne. La production de NBC enflamme la planète des critiques, jamais lassée des walk and talk et autres grands discours politisés d’hommes sensibles qui tapent du poing sur la table. Perry y est excellent, comme Bradley Whitford, Sarah Paulson, Amanda Peet et le reste du casting de rêve qui avait poussé les networks américains à se jeter des millions de dollars à la tête pour en emporter les droits de diffusion.

Mais s’il y a bien un adage sur la planète des séries, c’est que la volonté du public est plus forte que les éloges des critiques : les audiences ne sont pas merveilleuses, et la série coûte très cher à produire. Studio 60 est annulée après 22 épisodes. Perry entame une première traversée du désert : cinq années loin des écrans, petit comme grand.

Il réapparait avec un projet tout en mise en abyme : Mr Sunshine est une série de network (ABC) sur le gérant d’une salle de sport de seconde zone en pleine crise de la quarantaine. On retrouve un Perry cynique, distant et débraillé ; un aperçu de ce qu’aurait pu devenir Chandler sans Monica. Le résultat est triste, mais surtout sans âme — le pire qu’il soit pour une série comique. Annulation.

Un an plus tard vient Go On. Matthew Perry fait son retour sur NBC. Il a boutonné sa chemise, mais la rengaine est la même : un quadra sardonique essaie de se sortir de sa tristesse. Ici, il est un animateur de radio frappé par le décès abrupt de sa femme. Mais avec ses faux airs de Community, la production s’essouffle à la vitesse de l’éclair. Go On est une série plutôt douce, mais il faut se rendre à l’évidence : on s’ennuie. Perry est bon, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il serait temps de le sortir du gouffre des comédies dramatiques multicaméras, qui transforment les meilleures intentions en grossièretés faussement sentimentales.

Personne, au sein de l’industrie, ne le laissera devenir ce que Ricky Gervais est parvenu à incarner quelques années plus tard avec After Life ; un humain qui se transforme et apprend des épreuves qu’il traverse. Personne ne le laissera explorer le drame, le vrai, celui qu’on ne peut maquiller derrière la politesse du désespoir.

Trois saisons et puis s’en va

Et voilà que Perry, comme s’il avait lui-même baissé les bras, s’enfonce encore un peu plus dans les décors en carton-pâte. Il débarque sur CBS en 2015 pour sa dernière série, et probablement la pire. The Odd Couple, un remake qu’il tient à adapter lui-même, durera pourtant trois saisons — encore une fois, le cœur du public a ses raisons, surtout lorsqu’il s’agit du public de CBS (Two and a half men, The Big Bang Theory). C’est nul, laid et régulièrement offensant : la carrière de Matthew Perry ne s’en relèvera pas. Mais était-ce vraiment l’objectif ? Ou n’était-ce là plus qu’une manière de payer ses factures en se reposant sur ses acquis et ceux des téléspectateurs, maintenant habitués à le voir en bonhomme acariâtre, la main dans le slip sur un fauteuil ? Le parallèle est cruel : vingt ans plus tôt, c’est dans ce mobilier de salon qu’il étincelait, drôle et émouvant, cinglant et bien entouré.

On pourrait se dire qu’il s’agit d’une malédiction collective ; qu’après Friends, aucun des anciens amis ne pouvait décemment se relancer sur le petit écran. Ce serait oublier Matt LeBlanc, qui a brillamment endossé son propre rôle dans Episodes (2011-2017), série mordante sur les coulisses d’une industrie sans pitié. Sans compter Courtney Cox et son excellente Dirt (2007-2008), suivie de Cougar Town (2009-2015).

Il y a également l’incontournable Lisa Kudrow, qui a porté avec tant de second degré sa propre série Web Therapy (2011-2015) — Matthew Perry y a d’ailleurs passé une tête en guest. Cheveux gominés ramassés vers l’arrière, l’acteur semble débarrassé de ses mimiques surexcitées : il joue l’homme d’affaires mythomane agaçant à la perfection. « Je suis sobre depuis 13 ans », affirme-t-il. « Mais je vois plein de bouteilles, derrière toi… Il y a carrément un bar rempli, en fait », lui répond Lisa Kudrow. « Ah oui, c’est parce qu’on me demande constamment de baptiser des bateaux. Je dois me tenir prêt », conclut Matthew Perry.

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