La Cnil dévoile ce mercredi 3 février un avis sur la proposition de loi sur la sécurité globale. Elle aborde en particulier le très critique article 24 sur la diffusion d’images de visages de policiers et fait observer que l’emploi malveillant de ces enregistrements est déjà réprimé par la loi.

C’est un avis qui apporte de l’eau au moulin des opposants de la proposition de loi sur la sécurité globale. Mercredi 3 février, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a rendu son analyse du nouveau texte sécuritaire défendu par la majorité présidentielle et encouragé par le gouvernement. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la Cnil est loin de se ranger du côté de l’exécutif.

Du fait de ses missions, à savoir l’encadrement de l’utilisation des données personnelles afin de prévenir et, le cas échéant, sanctionner les dérives, l’autorité administrative indépendante s’est surtout focalisée dans son avis sur l’usage des drones à des fins policières, ce qui constitue, observe-t-elle, « un changement de paradigme en matière de captation de données personnelles ».

Cette évolution, poursuit l’institution, doit donc aboutir à un « encadrement plus strict ». Si elle ne s’oppose pas par principe à leur emploi, notant les « impératifs légitimes de sécurité », elle rappelle qu’il existe un droit à la vie privée. Droit dont la vocation n’est pas de se faire piétiner à chaque nouvelle loi. En janvier, la Cnil avait dénoncé les abus de la police avec les drones, suivant les critiques du Conseil d’État.

Il y a des outils juridiques dans le droit pour punir les dérives

Mais au détour de son avis, la Cnil est aussi revenue sur le fameux article 24 du texte, qui est en cours d’examen au Sénat. Cette disposition, qui cristallise toutes les attentions, vise à punir la diffusion malveillante d’images de forces de l’ordre, notamment sur les réseaux sociaux, si celles-ci portent atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un policier ou d’un gendarme.

Bien que cet article de loi ne relève pas stricto sensu de son domaine d’intervention — la Cnil relève que l’article 24 est « principalement appréhendé » sous l’angle de l’atteinte à la liberté d’expression et non pas celui de la protection des données –, l’institution apporte toutefois une observation juridique générale dans laquelle elle fait comprendre que cette disposition est redondante.

Dans son avis, on peut en effet lire que « la Commission souligne que l’utilisation ou la réutilisation de ces enregistrements aux seules fins de nuire aux forces de l’ordre […] sont dès lors susceptibles d’être réprimées, tant sur la base de la loi du 6 janvier 1978 modifiée que sur celle des dispositions du code pénal  ». En clair, la loi est déjà outillée pour gérer l’utilisation malveillante d’images de policiers.

CRS gaz lacrymogène

Une opération de maintien de l'ordre.

Source : Philippe Leroyer

Au passage, la Cnil ajoute que ce cas de figure, à savoir l’utilisation malveillante de ces images, « ne saurait constituer des traitements poursuivant une finalité légitime au sens du RGPD ». En effet, ce type d’enregistrement « constitue des traitements de données à caractère personnel auxquels s’applique […] l’ensemble de la réglementation relative à la protection des données à caractère personnel.»

Les remarques de la Cnil sur l’arsenal juridique actuel pour traiter l’usage malveillant des images des policiers ne sont pas nouvelles dans le débat public. Plusieurs autres autorités et observateurs ont aussi mis en avant le fait que le droit fournit déjà tout ce qu’il faut en la matière. C’est le cas par exemple de la Défenseure des droits, qui a déjà pris la parole à deux reprises sur ce texte (la première fois, la seconde).

L’arsenal juridique en la matière est non seulement ancien, mais aussi opérationnel. C’est ce que fait observer l’avocat spécialisé dans les télécoms Alexandre Archambault, en relevant qu’un jugement rendu il y a près de dix ans par le tribunal de grande instance de Paris s’est appuyé notamment sur la loi Informatique et Libertés de 1978 pour aboutir au blocage du site Copwatch, accusé de nuire aux forces de l’ordre.

L’inquiétude autour de l’article 24 provient des risques que cette disposition pourrait engendrer sur la liberté d’informer, en ayant des effets désastreux sur le terrain, non seulement pour la presse mais aussi pour les citoyens voulant rapporter un abus de la part des forces de l’ordre. La levée de boucliers est quasi-unanime chez les journalistes, les juristes, l’opposition et même jusqu’à ONU.

Examen du texte au Sénat

Aujourd’hui, le sort de l’article 24 reste en suspens.

S’il a été adopté en même temps que le reste du texte à l’Assemblée nationale, la majorité de droite au Sénat a prévenu qu’il sera réécrit. À cela s’est ajouté un cafouillage politique : Jean Castex a annoncé une « commission indépendante », déclenchant une polémique sur le risque de voir une instance non élue réécrire un texte voté par le parlement. Et dans le même temps, la majorité à l’Assemblée nationale a donné le sentiment de vouloir revenir sur ce qu’elle a voté.

Désormais, le texte est entre les mains du Sénat. C’est au niveau de la commission des lois que les travaux se poursuivent pour l’instant, avec une audition le 12 janvier de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, qui est très favorable à cette proposition de loi et en particulier à l’article 24. Et ce mercredi 3 février, c’est la présidente de la Cnil qui doit être entendue. L’occasion pour elle de revenir sur l’avis de l’institution qu’elle dirige.

(mise à jour de l’article avec une précision jurisprudentielle)

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