L’inquiétude grandit à propos d’un certain nombre de dispositions contenues dans la proposition de la proposition de loi relative à la sécurité, défendue par la majorité présidentielle et portée par le député Jean-Michel Fauvergue, ex-patron du RAID, l’unité d’élite de la police nationale. Plus particulièrement, l’article 24 du texte, dans sa rédaction actuelle, préoccupe de plus en plus.
Cette mesure prévoit de punir par un an de prison et 45 000 euros d’amende toute diffusion l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un policier ou d’un gendarme en mission, lorsqu’il est établi que cette diffusion a « porté atteinte à son intégrité physique ou psychique » (une condition qui pourrait toutefois sauter lors de l’examen parlementaire).
Officiellement, il n’est pas question de floutage dans le texte de loi — le mot n’apparaît pas.
Cependant, compte tenu des amendements déposés, la position du ministre de l’Intérieur sur ce sujet (« il faut interdire la diffusion des images des visages ») et de l’effet dissuasif et de l’inhibition que cette mesure est susceptible de provoquer dans la population, il est plausible que ce floutage s’impose de facto, et que les visages visibles entraînent des suites devant les tribunaux malgré tout, même si la volonté d’attenter à l’intégrité physique ou psychique est incertaine ou invérifiable.
Le droit autorise de filmer les forces de l’ordre
Une crainte exagérée ? Pour la Défenseure des droits, cette discussion ne devrait même pas avoir lieu. Dans un avis rendu le 5 novembre, l’autorité administrative indépendante relève que « la libre captation et diffusion d’images de fonctionnaires de police et militaire de gendarmerie en fonction […] est une condition essentielle à l’information, à la confiance et au contrôle efficient de leur action ».
La Défenseure des droits admet qu’il existe des circonstances dans lesquelles les forces de l’ordre ont le droit à des protections : quand elles ne sont pas en opération tout d’abord, dans le cadre du respect de leur vie privée. Et pour l’exécution de missions bien précises (comme le contre-espionnage ou la lutte anti-terroriste) ou parce qu’elles appartiennent à des unités spécialisées (GIGN, RAID…).
Mais Claire Hédon, qui est désormais à la tête de l’autorité, en remplacement de Jacques Toubon, rappelle aussi que « le droit au respect de l’intimité de la vie privée peut se heurter aux droits d’information du public et de la liberté d’expression ». Ainsi, « l’information du public et la publication d’images et d’enregistrements relatifs à des interventions de police sont légitimes ».
Elle pointe d’ailleurs diverses dispositions législatives et réglementaires, dont la circulaire de 2008 du ministère de l’Intérieur qui rappelle que la liberté d’information prime sur le droit à l’image et au respect de la vie privée (s’il n’est pas porté atteinte à la dignité). Elle rappelle aussi « le principe que tout agent public doit être identifiable », comme l’énonce code des relations entre le public et l’administration.
Le code de déontologie, aussi convoqué par Claire Hédon, relève que « le policier ou le gendarme est au service de la population », qu’il est « respectueux de la dignité des personnes », « veille à se comporter en toute circonstance d’une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération » et « n’a pas à craindre la diffusion d’images ou d’enregistrements relatifs à ses interventions ».
« Le principe est donc que [leur action fait à visage découvert, ce que le schéma national du maintien de l’ordre vient de rappeler », termine-t-elle. Elle prévient enfin que la précision sur l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique est un passage rédactionnel « bien trop imprécis pour ne pas entrer en contradiction avec le principe de légalité des délits et des peines ».
Crainte pour l’exercice du journalisme en France
Pour Reporters Sans Frontières, c’est l’exercice même du métier de journaliste qui est mis en péril : « Face à un journaliste en train de les filmer, des policiers pourraient présumer que ses images sont diffusées en direct dans le but de leur nuire et pourront alors procéder à son arrestation en flagrant délit pour qu’il soit poursuivi », prévient RSF. Même si l’instruction montre que ce n’était finalement pas le cas, l’objectif de ces agents aura été atteint en empêchant le reporter de couvrir un évènement.
L’intentionnalité de nuire est également une notion très difficile à caractériser et qui peut être fluctuante, alerte RSF. Un média critique sur l’action des forces de l’ordre pourrait-il être sur la sellette avec une interprétation extensive de l’atteinte aux policiers, par exemple ? « L’aléa judiciaire est réel, et le risque de condamnation existe », met en garde l’organisme de défense de la liberté de la presse.
Autre effet délétère, l’autocensure que cela pourrait instaurer dans la profession. Du fait des « possibilités d’arrestation et de poursuites », les journalistes pourraient lever le pied sur la couverture d’évènements publics, choisir de ne pas montrer certaines images qui pourraient pourtant être éclairantes sur une situation. Cela « affaiblirait sérieusement le droit du public à l’information ».
Rappelant que la France n’occupe pas un très bon rang dans le classement mondial pour la liberté de la presse (34e place), RSF appelle les députés à prendre des mesures pour d’une part empêcher des arrestations de journalistes en train de prendre des photos ou de filmer, mais aussi pour s’assurer qu’ils ne seront pas entravés dans leur mission d’information, qui requiert nécessairement de les diffuser.
RSF, en tant qu’organisme professionnel, concentre son propos sur les journalistes, sans évoquer le cas d’internautes qui diffuseraient aussi des images des forces de l’ordre en opération, visages apparents, et accompagnées ou non de commentaires. Ce cas de figure survient pourtant quand il s’agit de dénoncer d’éventuelles violences policières, survenant alors qu’aucun journaliste n’est dans les parages pour les relever.
C’est toutefois l’objet d’une pétition, aujourd’hui signée par plus de 34 000 personnes, qui demande de ne pas pénaliser ce type de diffusion sur les réseaux sociaux. Les « seuls moyens de médiatisation de ces affaires [de violence policière, NDLR] sont les réseaux sociaux », déplore l’autrice de la pétition, ajoutant que c’est indispensable : « Sans information, c’est l’impunité qui est une fois de plus renforcée ».
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