Les Français qui accepteront de se servir de l’application StopCovid pour faciliter la recherche de contacts en cas d’infection devraient-ils être avantagés par rapport à ceux qui ne l’utilisent pas ? C’est la piste de réflexion que défend un député de La République en marche (LREM), Damien Pichereau, dans un courrier adressé à Cédric O, le secrétaire d’État chargé du numérique, le 18 mai dernier.
Le parlementaire de la Sarthe a d’ailleurs une proposition très concrète : toutes les personnes utilisant StopCovid pourraient avoir droit à une augmentation du rayon dans lequel elles ont le droit de se déplacer sans attestation de déplacement dérogatoire. Cette limite est aujourd’hui fixée à 100 km autour du domicile. Mais avec StopCovid, elle pourrait passer à 150 km.
En mettant dans la balance une « contrepartie », l’élu est convaincu que cela va « inciter un plus grand nombre de nos concitoyens à télécharger l’application, renforçant ainsi notre capacité à retracer les chaînes de contamination ». Il explique dans son courrier que cette idée provient d’un débat qu’il a organisé et qu’il la juge « tout à fait pertinente » et « judicieuse » pour accompagner le déconfinement.
Une rupture d’égalité entre citoyens
Mais c’est accepter une rupture d’égalité. Depuis que StopCovid est apparue dans le débat public, plusieurs organisations se sont succédé pour émettre leurs recommandations pour rendre cette application acceptable et il s’avère que coupler l’emploi de StopCovid avec un allégement des consignes ne figure pas parmi les propositions courantes. Au contraire, c’est une approche à fuir.
Dans son avis remis le 21 avril, le comité d’éthique du numérique fait ainsi état d’un risque de discrimination sociale ou de stigmatisation envers « les personnes qui n’ont pas adhéré aux mesures de suivi ». Même son de cloche pour le conseil national du numérique (CNNum), qui a réagi quelques jours plus tard en plaidant pour « qu’il n’y ait pas de discriminations ou de conséquences négatives en cas de refus de télécharger l’application. »
Mais les refus les plus nets sont venus des autorités de contrôle.
Fin avril, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a prévenu que « l’utilisation d’une application sur la base du volontariat ne devrait pas conditionner ni la possibilité de se déplacer, dans le cadre de la levée du confinement, ni l’accès à certains services, tels que par exemple les transports en commun ». Et d’ajouter que « le volontariat signifie qu’aucune conséquence négative n’est attachée à l’absence de téléchargement ou d’utilisation de l’application ».
Et au niveau européen, le comité pour la protection des données (EDPB) ne dit pas autre chose : « les personnes qui décident de ne pas ou ne peuvent pas utiliser ces applications ne doivent subir aucun désavantage », lit-on dans ses recommandations, rappelées par le professeur de sociologie Antonio Casilli.
« Les personnes qui décident de ne pas ou ne peuvent pas utiliser ces applications ne doivent subir aucun désavantage »
L’un des piliers du règlement général sur la protection des données (RGPD), qui est le texte juridique de référence dans l’Union pour la protection des données personnelles, s’articule autour de la notion de consentement, qui doit être éclairé, libre, univoque et spécifique. Or, l’usage de StopCovid reposant sur le volontariat, chaque individu doit décider s’il consent à se servir de l’application. Mais ce consentement est-il vraiment libre si on fait miroiter un inconvénient ou un bonus en fonction de la décision qui est prise ?
Il existe un vrai enjeu autour de cette notion de consentement et de volontariat. Dans le cadre de la lutte légitime contre l’épidémie de coronavirus, le risque d’une dérive existe sur la façon de laisser le choix aux Français. On le voit avec la manière dont le sujet est évoqué dans la classe politique, avec des incitations pesantes, où l’on parle de « sauver des vies », d’aider la France face à la guerre contre la maladie. Bref, d’être en somme un bon citoyen, par rapport à d’autres qui ne participent pas à l’effort national. Cette piste d’octroyer plus de droits si l’on utilise StopCovid, si elle est innocente de prime abord, est en réalité un piège. Elle oriente le consentement.
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