Ce mercredi 11 octobre, plusieurs proches de Jean-Luc Mélenchon doivent présenter leur future web TV, Le Média, dont le lancement est attendu en janvier. Elle s’inspire directement d’une émission YouTube américaine à succès, The Young Turks, qui a ouvertement soutenu le démocrate Bernie Sanders pendant la dernière campagne présidentielle.

Vaste plateau au décor soigné, débat animé, bandeaux contextuels réguliers… En apparence, rien ne distingue The Young Turks (TYT) d’une émission de télévision. Pourtant, le programme présenté quotidiennement par l’animateur vedette Cenk Uygur, un Américain d’origine turque de 47 ans, existe uniquement sur le web.

C’est de cette formule à succès, dotée d’un site dédié et de vidéos en replay, dont compte s’inspirer plusieurs membres de la France insoumise, le mouvement politique de Jean-Luc Mélenchon, pour leur future web TV indépendante, Le Média. La présentation de cette émission quotidienne ouverte à tous les « progressistes » est attendue ce mercredi 11 octobre à 20 heures, quelques mois avant le lancement prévu en janvier 2018.

Comme le confiait récemment au Monde le psychanalyste Gérard Miller, proche de Jean-Luc Mélenchon, TYT fait figure de modèle pour cette web TV française : « Nous nous sommes inspirés de The Young Turks, un collectif de jeunes Américains qui, pendant la campagne de Bernie Sanders [candidat à la primaire démocrate], avait créé un média alternatif diffusé sur Internet et qui a joué un rôle important dans l’élection américaine. Nous voulons être indépendants financièrement et politiquement. »

Cenk Uygur, fondateur et animateur vedette de The Young Turks.

Cenk Uygur, fondateur et animateur vedette de The Young Turks // CC tytvault

Un discours critique des « médias dominants »

S’il est encore trop tôt pour savoir quelle forme concrète prendra Le Média, le succès durable de The Young Turks offre un aperçu du type de format envisageable sur cette future web TV. TYT, qui a d’abord vu le jour en 2002 — et pas pendant la campagne présidentielle de 2016 — sous la forme d’une émission de radio créée par Cenk Uygur, s’est très vite réorienté vers le format vidéo. Adepte du live vidéo dès 2005, TYT y prône sa liberté de ton sur tous les sujets : politique, actualité, société…

Pour Cenk Uygur, il s’agit du principe fondateur à l’origine du succès de l’émission : « On reçoit souvent des mails ou des tweets qui nous disent ‘wahou, vous parlez comme de vraies personnes’. C’est en partie dû au fait que [CNN et les autres médias les plus connus] paraissent irréels notamment à cause de leur fausse voix. Mais aussi parce qu’il y a tellement de production derrière et qu’ils sont tellement prudents quand ils parlent que vous avez l’impression qu’ils ne parlent pas comme ça à leurs proches. Ça transpire juste l’artificialité. »

Le langage souvent trivial — à base de « fuck you » adressé aux grands médias — de TYT fait en effet partie de son ADN. Le nom de la chaîne fait d’ailleurs référence à l’expression anglophone « Young Turk », désignant des « jeunes personnes qui se rebellent contre l’autorité ou les attentes de la société ». Cenk Uygur a toutefois été vivement critiqué pour avoir choisi ce nom, qui renvoie aussi à un mouvement politique turc nationaliste lié au génocide arménien — dont Uygur a questionné la véracité à l’université avant de reconnaître son erreur et d’éviter, depuis, ce sujet polémique.

https://www.youtube.com/watch?time_continue=1&v=5_W5Q7X05hk

Aujourd’hui, l’émission, dotée de son propre studio d’enregistrement, revendique près de 3,5 millions d’abonnés et des des dizaines milliers de vues à chaque nouvelle vidéo. La chaîne continue de dénoncer les discours des « médias dominants », à l’instar de la France insoumise qui fustige la même cible, « sous la coupe », selon elle, de « l’oligarchie ».

Chaque jour, les internautes sont nombreux à suivre le présentateur vedette au cœur de ces deux heures d’émission bien segmentées : la première heure s’intéresse essentiellement à la politique américaine. En deuxième partie, Cenk Uygur, épaulé par un(e) collègue, se penche sur différents sujets de société, qu’il s’agisse de la polémique entourant le dernier Wolfenstein à une publicité Dove jugée raciste. Enfin, une fois par semaine, The Young Turks invite des personnalités venues de différents horizons : journalisme, politique, culture, sport…

Une plateforme de soutien pour Bernie Sanders

Sans surprise, The Young Turks a connu son pic de popularité pendant la campagne présidentielle américaine. Analyse du déroulement de la campagne État par État pendant les primaires, critique des analyses fournies par les « spécialistes » des chaînes traditionnelles, pronostics personnels… Cenk Uygur et ses collègues ont profité de cette période rêvée pour se faire connaître et expliquer pourquoi leur poulain, Bernie Sanders, pouvait gagner la primaire démocrate et représenter le parti à la place d’Hillary Clinton, candidate prétendument « désignée » des médias dominants.

Si les électeurs ont finalement donné tort à TYT, la chaîne a bénéficié d’une exposition inédite pendant ces mois de débat politique. Son coup d’éclat reste la venue de Bernie Sanders sur le plateau, en mars 2016. De quoi enregistrer un pic d’audience pendant la diffusion en direct, avec 70 000 spectateurs connectés — contre 15 000 habituellement — et une grande résonance sur les réseaux sociaux.

Le candidat démocrate n’a pas non plus manqué de faire l’éloge de la chaîne quelques mois plus tard : « Nous vivons dans un monde où les médias grand public, les personne qui possèdent notre pays, nous donnent leur définition de la réalité. Cenk et quelques autres tentent de nous donner un autre point de vue sur la réalité, la réalité qui concerne la classe moyenne et les travailleurs. »

Pour sa part, Cenk Uygur est convaincu de poser les bases d’un mouvement naissant : « À l’époque, la télé avait un grand pouvoir, mais les choses sont en train de changer. On a donc tout intérêt à comprendre comment utiliser ce pouvoir pour les causes qui nous sont chères, parce que la TV câblée est pire que de la propagande : c’est du marketing pour les riches et les puissants. »

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Vidéos anti-Trump

Malgré la défaite de Bernie Sanders, TYT poursuit son activité à un rythme soutenu. En janvier 2017, la chaîne a ainsi annoncé la création de l’organisation Justice Democrats, composée d’anciens membres de l’équipe de Sanders comme de membres éminents des YTT, dont Cenk Uygur. Les causes défendues par ce groupe sont multiples : nécessaire réforme électorale, fin de la corruption à Washington, augmentation du salaire minimum, nouvelle régulation de Wall Street, défense de la liberté d’expression, etc.

Elles les amènent souvent à s’opposer à « l’establishment démocrate » même si aujourd’hui, TYT publie surtout des vidéos anti-Trump, à un rythme assez soutenu. Avec, toujours, son savoir-faire établi pour réagir rapidement aux sujets d’actualité les plus porteurs.

De fait, il n’y a rien de bien surprenant à voir des proches de Jean-Luc Mélenchon — dont Sophia Chikirou, sa conseillère en communication — créer une  web TV, un moyen idéal de se faire entendre pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron. D’autant que Jean-Luc Mélenchon a déjà prouvé, à titre personnel, que YouTube pouvait offrir une importante caisse de résonance à son discours politique grâce à ses fameuses revues de la semaine.

« Ce ne sera pas le média de Jean-Luc Mélenchon »

La France insoumise s’était aussi fait remarquer, pendant la campagne, en chiffrant son programme politique lors d’un direct YouTube de 5 heures, qui n’est pas sans rappeler le live de 10 heures réalisé par TYT en 2015 pour fêter son 10e anniversaire dans le domaine.

Reste à savoir comment sera accueilli Le Média en France, dont les spectateurs pourront devenir propriétaires « en achetant des parts sociales » dès ce 11 octobre. Il sera animé par la journaliste Aude Rossigneux, qui a déjà revendiqué son indépendance auprès de France Info : « Ce ne sera pas le média de Jean-Luc Mélenchon. […] À titre personnel, je ne suis pas à La France insoumise, je ne cache pas mes convictions, je suis de gauche, humaniste, écolo, féministe, mais je suis journaliste d’abord. Et je vais être rédactrice en chef d’un média qui va bien au-delà de tout ça. »

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