EA bloque désormais l’accès à son service Origin aux joueurs qui, même lorsqu’ils ont acheté des jeux sur la plateforme, se trouvent dans des pays qui font l’objet de sanctions diplomatiques par les USA. Steam peut activer une clause identique à tout moment. Comme tout service en ligne américain.

Sur PC, ou même sur consoles, il est devenu de plus en plus rare d’acheter des copies physiques de jeux vidéo que l’on peut conserver et installer à loisir. De plus en plus de joueurs passent désormais par des plateformes de téléchargement comme Steam ou Origin, où l’on n’achète pas tant un jeu que le droit d’accéder à un jeu vidéo… tant que l’on reste membre de la plateforme. Perdez votre accès à Steam ou à Origin, ou refusez les mises à jour des contrats qui vous sont imposées, et vous perdez l’accès à l’ensemble des jeux vidéo que vous pensiez avoir achetés.

Or cette situation peut poser problème lorsque l’on habite dans un pays en froid avec les États-Unis. Les règles américaines de contrôle des exportations prévoient en effet que les logiciels font partie des produits dont la commercialisation doit être interdite à destination de certains pays sujets à des sanctions.

Nous l’avions déjà vu en 2012 avec Blizzard qui avait bloqué l’accès à ses jeux en Iran, pour respecter les sanctions économiques décidées par l’administration Obama. Il en est de même aujourd’hui de même pour Origin dans cinq pays.

« Conformément aux lois américaines sur les embargos et les sanctions, Origin n’est pas disponible à Cuba, en Iran, au Myanmar, en Corée du Nord, au Soudan et en Ukraine (région de Crimée) », avait ainsi expliqué le mois dernier un employé d’EA. L’éditeur de jeux vidéo a décidé de faire respecter l’embargo américain en bloquant les adresses IP, et il a fallu que des joueurs du Myanmar réagissent pour qu’EA s’aperçoive que les USA avaient en fait levé les sanctions économiques contre l’état asiatique, où la population peut de nouveau jouer à Battlefield, Battlefront, FIFA, ou aux Sims.

Vous reconnaissez également ne pas être une personne avec laquelle EA n’est pas autorisée à effectuer de transactions

Jusqu’au mois dernier, les joueurs pouvaient encore contourner les sanctions en utilisant une carte de crédit étrangère pour leurs achats, et en déclarant une fausse adresse postale. Mais le blocage de plages d’adresses IP oblige désormais aussi à utiliser des VPN pour que le trafic internet ait l’air de provenir d’un autre pays.

Contractuellement, les joueurs qui se trouvent dans des pays en conflit dur avec les USA doivent s’abstenir d’eux-mêmes d’utiliser les plateformes de téléchargement, ou risquer de tout perdre si le prestataire s’aperçoit qu’ils contournent la loi. Sur Origin, l’article 13.C des conditions d’utilisation stipule que « vous reconnaissez également ne pas être une personne avec laquelle EA n’est pas autorisée à effectuer de transactions selon les lois sur le contrôle des exportations ». Si vous voyagez, il faut faire aussi attention. L’article 6 dit que « vous acceptez de ne pas (…) utiliser un Service EA dans un pays où EA n’a pas le droit d’offrir de tels services en vertu des lois applicables en matière de contrôle des exportations ».

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De même sur Steam, l’article 12 final impose aux joueurs de savoir s’ils sont dans un pays sanctionné par les États-Unis, et de s’abstenir alors d’acheter des licences des jeux :

« Vous acceptez de vous conformer à toutes les lois et réglementations en vigueur en matière d’importation et d’exportation. Vous vous engagez à ne pas exporter les Contenus et Services ou le Matériel ni à autoriser l’utilisation de votre Compte par des individus appartenant à des pays encourageant les activités terroristes et pour lesquels les exportations de technologies de cryptage au moment de l’exportation sont contrôlées par le service américain d’administration des exportations (U.S. Bureau of Export Administration). Vous déclarez et garantissez ne pas être résident ou citoyen de l’un des pays soumis à l’embargo, ou sous le contrôle de l’un de ces pays ».

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De quoi faire réfléchir sur les conséquences de l’archi-domination économique américaine sur le Web

Il semble qu’actuellement, Valve ne fait pas appliquer cette clause de son contrat, et laisse les joueurs libres de lancer leurs jeux vidéo s’ils sont en Iran ou en Crimée. Mais cela peut changer à tout moment, et en particulier si l’administration américaine menace Valve de sanctions si l’entreprise continue à violer les décisions diplomatiques américaines.

On parle ici de jeux vidéo, mais le raisonnement serait strictement le même pour tout service en ligne. Des Google, Microsoft, Amazon, Apple, Facebook et tant d’autres pourraient se trouver un jour dans l’obligation de cesser du jour au lendemain d’offrir leurs services aux Français, si l’on se trouvait pour une raison ou pour une autre du mauvais côté de la barrière diplomatique. De quoi faire réfléchir sur les conséquences de l’archi-domination économique américaine sur le Web, qui se traduit aussi et de plus en plus par une dépendance diplomatique.

Toute guerre, même non-militaire, avec les États-Unis, pourrait faire perdre l’accès à des services numériques dont des centaines de millions d’individus et d’entreprises se sont rendus dépendants (Google, Gmail, Facebook, Android, iCloud, Office 365, …). Une sorte de dissuasion nucléaire d’une nouvelle ère, largement théorique pour la plupart des pays du monde, mais déjà bien réelle pour une poignée d’entre eux. À la différence près que s’il a été relativement aisé pour la Russie, la France, Israël, la Grande-Bretagne et quelques autres pays de développer leurs propres bombes nucléaires pour participer à la dissuasion mutuelle, il semble beaucoup plus difficile de faire émerger des services en ligne aussi puissants à l’échelle internationale que ceux des Américains.

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