Publiée mercredi, la proposition de directive sur le droit d’auteur pour le marché unique numérique a reçu un accueil très critique, en particulier pour deux aspects qui viendraient obliger les plateformes à filtrer les contenus uploadés, et les moteurs de recherche ou réseaux sociaux à payer pour présenter de cours extraits d’articles de presse.

La Commission européenne a présenté mercredi sa proposition de « directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique », qui se veut être évolution positive pour l’adaptation des droits de propriété intellectuelle aux pratiques sur Internet. Mais malgré tous les efforts mis par Bruxelles pour défendre son texte, la proposition reçoit un accueil extrêmement critique de la part des défenseurs des libertés numériques et des observateurs.

« On n’aurait pas pu imaginer pire », s’est ainsi étranglé Joe McNamee, le directeur exécutif de European Digital Rights (EDRi). « Nous avons besoin d’une réforme du droit d’auteur qui rend l’Europe adaptée au 21e siècle. Nous avons maintenant une proposition qui est un poison pour la liberté d’expression, un poison pour les entreprises européennes, et un poison pour la créativité ».

Sur Ars Technica, le journaliste Glynn Moody — qui est un très bon connaisseur des sujets liés au droit d’auteur — n’a pas un jugement beaucoup plus tendre. Il estime que la proposition de directive est une « implémentation de la liste de vœux des vieilles industries du droit d’auteur, avec peu de réponses aux besoins des utilisateurs en ligne ».

Deux nouvelles obligations de protection du droit d’auteur sont particulièrement redoutables :

Une obligation de filtrage automatisé

Selon les propres mots de la Commission, « la directive sur le droit d’auteur vise à renforcer la capacité des titulaires de droits à négocier et à être rémunérés pour l’exploitation en ligne de leurs contenus sur les plateformes de partage de vidéos telles que YouTube ou Dailymotion ». Pour ce faire, « ces plateformes seront tenues de déployer des moyens efficaces tels que des technologies permettant de détecter automatiquement des chansons ou des œuvres audiovisuelles identifiées par les titulaires de droits et devant être soit autorisées, soit supprimées ».

Actuellement, les plateformes comme YouTube ou Dailymotion n’ont aucune obligation de filtrage. Considérés comme des hébergeurs (pour les vidéos publiées par les internautes), ils n’ont que l’obligation de retirer les vidéos qui leur sont signalées par les ayants droit. Depuis des années, les producteurs militent pour que les plateformes n’aient pas seulement l’obligation d’agir a posteriori, mais a priori, en se voyant infligés une obligation de moyens, selon l’état de l’art des technologies de filtrage. C’est très exactement ce qu’ils ont obtenu, pour neutraliser la jurisprudence Sabam de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Or imposer un tel filtrage a plusieurs effets négatifs qui ont jusqu’à présent convaincu de s’abstenir. Tout d’abord, il met fin à la sécurité juridique des hébergeurs, qui se voient infligés une obligation de surveiller ce que leurs utilisateurs font de leurs services, ce que la CJUE avait jugé dangereux pour le respect de la liberté d’expression et de la vie privée.

Par ailleurs, les technologies de filtrage comme le Content ID de Youtube coûtent cher à développer, ou font l’objet de contrats de licence coûteux (comme la technologie de l’INA). Imposer de recourir à de tels filtrages, c’est nécessairement augmenter la barrière à l’entrée pour les startups qui voudraient se lancer sur le marché.

Enfin, et peut-être surtout, le droit d’auteur n’est pas absolu, et il existe de nombreuses exceptions auxquelles les utilisateurs peuvent prétendre pour justifier de mettre une œuvre ou un extrait en ligne (parodie, pastiche, actualité, …). Imposer une technologie de filtrage, nécessairement idiote et binaire, c’est renoncer à toute la nuance apportée jusque là au droit d’auteur par le législateur, et  prétendre que la diffusion est soit autorisée soit interdite, sans zones grises possibles. C’est faire une confiance aveugle et peu démocratique à la technologie.

Un droit spécifique pour les éditeurs de presse

L’autre point très contesté de la proposition de directive concerne le droit « auxiliaire » créé pour les éditeurs de presse, qui bénéficieraient d’un droit voisin du droit d’auteur, pour une durée de 20 ans.

« Les journaux, magazines et autres publications de presse ont bénéficié du passage de la presse écrite aux services numériques et en ligne comme les médias sociaux et les agrégateurs d’informations. Cette évolution leur a permis d’élargir leur lectorat, mais a également eu une incidence sur leurs recettes publicitaires et a rendu le respect des droits dans ces publications de plus en plus difficile », explique Bruxelles.

Le droit spécifique qu’elle propose d’accorder aux éditeurs de presse viserait donc à reconnaître « le rôle important que jouent les éditeurs de presse en termes d’investissements et de contribution à la création de contenus journalistiques de qualité » en étant « juridiquement reconnus comme des titulaires de droits, ce qui les placera dans une meilleure position, d’une part, pour négocier l’utilisation de leurs contenus avec les services en ligne qui les utilisent ou en permettent l’accès et, d’autre part, pour lutter contre le piratage ».

C’est donc le grand retour de la « taxe Google », déjà mise en place en Espagne. où Google a préféré fermer son service Google News. En conséquence, les visites sur les sites d’actualité ont baissé. Mais ce résultat mécanique n’a pas empêché des éditeurs de réclamer eux aussi que les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux soient obligés de payer pour afficher un résumé de l’article accompagné d’un lien. Le sujet fait actuellement l’objet d’une procédure judiciaire en Allemagne.

La proposition de directive devrait donc provoquer d’intenses débats lorsqu’elle sera examinée au Parlement européen. L’occasion est manquée, en tout cas, pour réellement moderniser le droit en accordant des droits nouveaux. Seule une exception pour le data mining a été accordée (aux chercheurs et non aux entreprises), et des progrès sont faits pour l’utilisation des oeuvres dans le cadre de l’éducation, ou par les personnes handicapées.

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