Plusieurs sites et comptes sur les réseaux sociaux ont rapporté la mort d’un étudiant algérien après son interpellation par la police, après une manifestation pro-palestinienne. Il n’en est rien : le prétendu étudiant n’existe pas et plusieurs observateurs indiquent qu’il s’agirait d’une opération de déstabilisation, qui pourrait être liée à la Russie.

C’est un « acte choquant de violence policière » qui aurait eu lieu à Paris selon Media Alternatif, un site à la crédibilité douteuse. D’après le site, le dénommé Samir Hamdaoui, « un étudiant algérien venu faire ses études en France, a participé à une manifestation pro-palestinienne organisé par les étudiants devant l’université Sciences Po à Paris », et aurait été arrêté par la police. Toujours d’après le site, quelques jours plus tard, Samir serait « décédé », après avoir été battu par des policiers. Une photo représentant un jeune homme souriant accompagne l’article, comme une stèle commémorative.

Numerama et d’autres médias ont pu vérifier que cette histoire n’était pas vraie, notamment auprès du Parquet de Paris, qui nous a confirmé que la police n’avait pas arrêté de personne sous ce nom. Des recherches sur Internet montrent également qu’aucun étudiant sous le nom de Samir Hamdadoui ressemblant à la photo n’existe. De nombreux éléments permettent de conclure qu’il s’agit d’une fake news — et de nombreuses sources pointent vers une origine russe.

Vraie manif, fausse arrestation

Deux sites ont partagé en particulier cette fake news. Le premier, Mali Jet, est un site d’information malien qui reprend régulièrement des informations et des dépêches russes, indique Libération. Dès le 28 mai 2024, un article est publié sur le site, deux jours avant Media Alternatif. Le texte est le même sur les deux sites.

Le montage partagé par les deux sites ayant relayée la fake news // Source : Capture d'écran Numerama
Le montage partagé par les deux sites ayant relayée la fake news

« Le 7 mai, Samir Hamdaoui, un étudiant algérien venu faire ses études en France, a participé à une manifestation pro-palestinienne organisé (sic) par les étudiants devant l’université Sciences Po à Paris ». L’étudiant aurait ensuite été placé « en garde à vue au commissariat du 7ème arrondissement de Paris », pendant au moins 24 heures. « Après avoir été relâché, Samir se plaignait constamment sur son état de santé, ce qui, selon lui, était dû aux coups qu’il avait reçus au commissariat », expliquent les deux sites.

« Après deux jours passés à la maison, l’état de santé de Samir s’est détérioré. Selon ses proches, il parlait à peine et restait constamment au lit. À un moment donné, les proches ont remarqué que le jeune homme avait perdu connaissance, les médecins arrivés sur place ont déclaré sa mort. »

Les deux sites racontent également qu’une autopsie sur le corps aurait été réalisée, mais aurait conclu que l’accident était dû à un accident vasculaire. Leur réponse n’aurait pas satisfait la famille de Samir Hamdaoui, qui serait « sûre qu’il s’agit d’un meurtre. »

L’article se termine en expliquant que « s’il s’avère que l’étudiant est réellement mort entre les mains de la police, les coupables doivent être punis avec la plus grande sévérité ». La famille de Samir Hamdaoui aurait « apporté des œillets et des bougies devant l’université Sciences Po pour commémorer le défunt », avec un portrait photo du jeune homme. C’est cette photo qui a été depuis massivement partagée, que ce soit sur YouTube, Facebook ou TikTok.

De l’intelligence artificielle utilisée pour créer une vidéo

Un extrait de la vidéo, probablement un deepfake généré avec de l'intelligence artificielle // Source : Capture d'écran Numerama
Un extrait de la vidéo, probablement un deepfake généré avec de l’intelligence artificielle // Source : Capture d’écran Numerama

Les articles sont accompagnés par une vidéo, censée provenir du frère de Samir Hamdaoui, visionnée 13 000 fois depuis sa publication le 28 mai 2024. On peut le voir expliquer d’une voix monotone et robotique, avec des tics de prononciations étranges, qu’il est persuadé que son frère a été abattu par des policiers. Le haut de son visage est très immobile et il ne cligne presque pas des yeux, des signes faisant penser que la vidéo pourrait être un deepfake réalisé avec de l’intelligence artificielle.

La supposée photo de Samir Hamdaoui ne comporte pas, elle, de signe pouvant laisser supposer qu’elle a été générée par intelligence artificielle. Même si le fond de la photo est flouté, ce qui est généralement un marqueur des images générées par IA, les détails de la photo restent cohérents, notamment la transparence du cadre et les couleurs des vélos en arrière-plan.

Enfin, il est également probable que tout ou une partie du texte des articles ait été rédigé par de l’IA : il contient certaines formulations et tournures de phrase très alambiquées, ce qui est un signe distinctif.

Une intox partagée par des comptes pro-russes

Plusieurs indices peuvent laisser penser qu’il pourrait s’agir d’une opération de désinformation en ligne avec la Russie. Tout d’abord, le Parquet de Paris, contacté par Numerama, nous a conformé qu’il n’y avait « pas de garde à vue ce nom le 7 mai », ni de « de décès suspect à ce nom », ni de « de signalement IGPN au parquet à ce nom. »

Le Parquet détaille également que « les 2 gardes à vue qui avaient été prises devant sciences po avaient donné lieu à un défèrement devant le délégué du procureur en vue d’une contribution citoyenne, pour participation à une manifestation avec le visage dissimulé et refus de donner son code de téléphone ; une convocation devant le délégué du procureur en vue d’un dessaisissement de son téléphone, pour refus de donner son code de téléphone. »

D’autres observateurs ont également souligné que les premières personnes à avoir partagé l’intox sur les réseaux sociaux étaient des comptes pro russe. Comme le note le journaliste Louis Witter sur X, le tout premier compte à en parler est celui d’AussieCossack, « un ultranationaliste russe connu pour son partage de désinformation dès avril 2024 », notamment après une attaque au couteau à Sydney.

En faisant une recherche image inversée, on retombe également sur des chaînes Telegram russophones partageant la fausse photo de Samir Hamdaoui et la fake news. C’est notamment le cas de « La voix du Mordor », qui rapportait dès le 28 mai 2024 la photo et l’histoire de la famille de Samir. Le compte rajoutait par ailleurs une dose de désinformation, en expliquant que « plus de 100 personnes » auraient été arrêtées lors de la manifestation devant Sciences Po Paris. Ces chiffres sont incorrects : seuls deux étudiants ont été interpelés le 7 mai devant les locaux de l’école.

Il n’est pas étonnant de voir des fake news s’inspirer de faits réels pour gagner en crédibilité.

La police est notamment pointée du doigt depuis plusieurs années pour des violences sur manifestants, qui ont déjà conduit à des morts. Un rapport de l’IGPN pointait que 38 personnes étaient décédées en 2022 suites à des missions de police. Avec le meurtre de Nahel M. par un policier en juin 2023, le sujet est encore plus sensible, et susceptible d’embraser la société française — d’autant plus que l’histoire de Samir Hamdaoui rappelle celle, vraie et tragique, de Malik Oussekine.

C’est exactement les mécanismes à l’œuvre ici : s’inspirer de faits qui sont déjà arrivés pour en inventer d’autres, similaires, tout en attisant les tensions dans le pays. Si les observateurs pointent du doigt la Russie, c’est parce que ce n’est pas la première fois que le pays est accusé de lancer des opérations de déstabilisation. Le 21 mai 2024, le pays était accusé d’être à l’origine des graffitis de mains rouges sur le mémorial de la Shoah, à Paris. La Russie serait également derrière une opération de tag d’étoiles de David, et est accusée d’avoir ordonné le dépôt de faux cercueil sous la tour Eiffel.

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