Depuis plus de vingt ans, des messages sont passés pour dissuader les internautes de pirater des contenus culturels protégés par le droit d’auteur. Y compris en France. Mais il apparaît que certaines de ces opérations produisent plutôt l’effet inverse.

Le piratage est un acte courant (14 millions de pirates en France en mars 2020) qui pénalise de nombreux secteurs, aux premiers rangs desquels figurent les industries musicale et cinématographique, ou encore les producteurs de jeux et de logiciels. Les estimations montrent que 37 % des logiciels dans le monde sont piratés, ce qui représente un manque à gagner qui dépasse les 46 milliards de dollars. Face à ces pratiques illicites, les professionnels et le régulateur ont conçu et mis en place des stratégies, parfois agressives, visant à décourager de tels comportements.

En mai 2023, le Centre national du cinéma et de l’image animée CNC et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ont lancé une campagne de spots radio pour appeler à soutenir la création en évitant les pratiques illégales.

Depuis les années 2000, il est ainsi fréquent que les utilisateurs soient exposés à des messages anti-piratage dans les médias ou au début d’une œuvre. Or, en dépit des intentions claires des concepteurs de ces messages, les effets de ces derniers sont parfois atténués ou, pire, contre-productifs.

Voici donc toute l’ironie de la situation : certaines campagnes visant à décourager le piratage contribuent peut-être finalement à l’encourager. La raison ? Une méconnaissance de certains ressorts du comportement humain.

« Voleriez-vous une voiture ? », annonçait une campagne anti-piratage en 2000

Comment dès lors concevoir une campagne pertinente sur un tel sujet ? Les sciences comportementales viennent au secours des secteurs concernés en mettant en évidence trois erreurs fondamentales susceptibles de favoriser le piratage au lieu de le décourager. Ces trois erreurs fréquentes reposent sur le raccourci mental qui laisse penser que « plus est toujours préférable à moins ».

La première de ces erreurs est d’asséner au public une longue liste d’arguments contre le piratage. Les concepteurs de ces messages pensent que les arguments s’additionnent les uns et aux autres et donc qu’un plus grand nombre d’arguments sert mieux la cause défendue. Malheureusement, l’audience a plutôt tendance à adopter un raisonnement à la moyenne : les arguments les plus forts en termes de pouvoir persuasif sont dilués par la présence simultanée d’arguments faibles.

Par exemple, le spot vidéo « Le piratage, c’est du vol », diffusé au Royaume-Uni au début des films dans les années 2000 commençait par « Voleriez-vous une voiture ? Jamais ! » En comparant le piratage à des exemples raisonnablement pertinents (voler un DVD) tout en y ajoutant des exemples a priori incongrus comme voler une voiture, le message s’en trouvait dilué. Ce spot a ainsi par la suite donné lieu à de nombreuses parodies ou détournements qui le tournent en ridicule.

Spot « Piracy it’s a crime » (Le piratage c’est du vol) diffusé dans les salles de cinéma au Royaume-Uni dans les années 2000.

Une deuxième erreur consiste, comme le fait la campagne actuellement en cours au Royaume-Uni, à expliquer l’impact du piratage au moyen de nombreux chiffres, comme le nombre d’emplois perdus ou le montant des dommages causés aux industries concernées. Ces statistiques sont souvent froides, incapables de susciter des émotions et, d’une certaine façon, déshumanisantes.

Une citation attribuée à Staline résume bien cette idée :

« La mort d’un homme est une tragédie, celle d’un million d’hommes est une statistique ».

Le fait que les gens ne puissent s’identifier à une victime bien définie et ressentir des émotions prive certains messages anti-piratage d’un pouvoir émotionnel pourtant bien nécessaire.

« Tout le monde le fait ! » : en somme, on fait comme les autres

La troisième erreur consiste à souligner à quel point le piratage est répandu. Affirmer, comme l’a fait récemment une publicité en Lettonie que « 46 % de la population a déjà piraté des films sur Internet » signale involontairement une norme sociale. Le pirate potentiel peut donc juste sentir qu’il se comporte comme tout le monde.

Au bilan, ne pas pirater « comme tout le monde » reviendrait à être « le dindon de la farce ». Récemment, une expérience édifiante l’a encore montré : en cherchant à diminuer le vol de bois fossilisé, le parc national de la « Petrified Forest » en Arizona a en réalité conduit à une augmentation du nombre de vols lorsque les pancartes mentionnaient qu’un grand nombre de visiteurs volaient.

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Qui plus est, la figure du pirate peut avoir une certaine aura romantique, au lieu d’être un repoussoir. // Source : undefined

Même si ces erreurs sont très répandues, des tactiques relativement simples permettent de les corriger. Une première piste serait de sélectionner les arguments les plus puissants. Une autre piste serait de remplacer ou de combiner les statistiques souvent arides avec des récits de victimes du piratage bien identifiées, capables d’éveiller des réactions émotionnelles fortes. Enfin, pour éviter le piège de la norme sociale, il semble souvent préférable d’insister sur l’injonction à ne pas pirater ou de mentionner le nombre de personnes ayant décidé de ne plus pirater.

Le comportement humain est complexe et les raccourcis habituels du type « plus est préférable à moins » peuvent sembler convaincants. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’influencer efficacement le comportement humain, les sciences comportementales peuvent aider à concevoir des campagnes plus efficaces. Il apparaît donc comme urgent de les intégrer à la réflexion de manière précoce, y compris pour d’autres enjeux cruciaux comme le changement climatique ou la lutte contre la pauvreté.

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Gilles Grolleau, Professor, ESSCA School of Management et Luc Meunier, Professeur de Finance, ESSCA School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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