Selon une étude menée l’an dernier, les internautes s’informent très majoritairement sur des sites avec lesquels ils ont une affinité de pensée, qui les renforcent dans leurs convictions.

Le politologue Thierry Vedel a publié un article très intéressant dans le Monde sur les résultats d’une enquête réalisée dans le cadre du projet Mediapolis « Information politique et citoyenneté à l’ère numérique », menée par le Centre de recherches politiques (Cevipof) de Sciences Po et le Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias (Carism) de l’Institut français de presse. Il y décrit le creusement d’une « fracture civique », entre ceux qui s’informent et participent au débat politique notamment grâce à Internet, et ceux qui profitent de la multiplication des sources de divertissement offerts à l’ère numérique pour éviter au contraire les discussions politiques :

Les citoyens les plus intéressés par la politique ont des pratiques informationnelles singulières : ils se tournent davantage que les autres vers la presse quotidienne nationale, l’Internet et la radio ; s’ils regardent moins la télévision que le reste de la population, ils regardent davantage les émissions politiques ; sur l’Internet, ils sont les principaux visiteurs des sites, des blogs et des forums politiques ; enfin, ils discutent de politique plus souvent et avec un plus un grand nombre de personnes que les autres citoyens.

A l’inverse, les citoyens non politisés (qui s’intéressent peu ou pas à la politique et ne se sentent proches d’aucun parti) reçoivent l’essentiel de leur information politique par la télévision. Ils utilisent moins l’Internet et, lorsqu’ils sont internautes, ils ont très peu d’activités politiques en ligne, même ludiques (voire aucune pour la moitié d’entre eux).

Le phénomène est d’autant plus préoccupant pour la richesse du débat politique que l’enquête montre qu’il y a plus encore sur Internet qu’ailleurs le phénomène d’une « dissonance cognitive », qui pousse les internautes à l’aller consulter que les sources d’information avec lesquelles ils sont en accord. Le mécanisme était déjà connu sur les radios, journaux et télévisions, mais est il est plus fort encore avec Internet :

S’il existe une exposition sélective pour les grands médias, celle-ci est nettement plus forte pour l’Internet. 72 % des personnes interrogées disent qu’elles utilisent surtout des sites qui partagent leurs points de vue, alors que cette proportion n’est que de 46 % dans le cas des médias traditionnels. L’Internet permet sans doute de choisir, mieux que les médias, l’information qu’on veut consulter.

Dès lors, il faut se demander si paradoxalement, en multipliant à l’infini les sources d’informations disponibles, Internet n’a pas favorisé un appauvrissement de la pensée politique, de plus en plus radicale parce que nourrit par un cercle vicieux. Les réseaux sociaux eux-mêmes, en faisant que « les amis de mes amis sont mes amis », mettent entre soi ceux qui pensent la même chose, qui ont la même vision du monde et de la société.

Ce constat, s’il est vrai (et nous pensons qu’il l’est pour une grande partie), doit pousser à renforcer bien davantage l’éducation aux médias, largement déficiente à l’heure actuelle. Mais sera-ce suffisant pour inciter les citoyens à aller au delà de leur zone de confort, rechercher des analyses avec lesquelles ils ne sont pas d’accord, pour enrichir leur propre raisonnement ?

Ou sommes-nous en train de revenir, par l’effet combiné de la « fracture civique » et de l’abstention croissante, à une forme de démocratie à suffrage censitaire ?

Un large débat qui mérite d’être ouvert.

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