Face à la multiplication des images violentes sur les réseaux sociaux comme dans les journaux TV, Numerama a cherché à savoir quel impact cela pouvait avoir sur notre santé mentale. Il est question de traumatisme vicariant ou secondaire.

Sur son téléphone, des images défilent. Une fenêtre explose. Un immeuble s’effondre. Des cris se font entendre.  Dans une autre vidéo, ce sont des corps morts qui apparaissent. « Ce qui se passe à Gaza me choque beaucoup, commente Amélie*, 23 ans. Mais ces images je les vois et les partage pour éviter l’oubli. C’est ma façon à moi de militer. » Comme elle, de nombreuses personnes voient et partagent des images des affrontements entre Israël et la Palestine ou entre la Russie et l’Ukraine.

C’est le cas de Lou*. Elle documente beaucoup cette violence sur son compte Insta. « Je suis et je relaie depuis le début ce qu’il se passe à Gaza, après l’attaque du Hamas en Israël. Un soir, j’ai dû partir en urgence chez ma psy parce que je me sentais vraiment mal et je ne comprenais pas pourquoi. » Elle décrit une angoisse grandissante et la sensation de revivre un événement qu’elle ne connait pas. « Ce qu’il s’est passé c’est que ma famille a vécu la guerre et cette guerre à Gaza a réactivé ce traumatisme dont j’ai hérité. »

Un traumatisme qui peut se transmettre

Ce que décrit Lou* a un nom. Le traumatisme vicariant ou traumatisme secondaire. Cela concerne les personnes qui n’ont pas été touchées directement par un événement traumatique, mais qui subissent du stress post-traumatique. Ces traumatismes peuvent se transmettre sur plusieurs générations. Ils peuvent aussi naître par la lecture ou le travail avec des personnes ou des sources d’images traumatiques.

Cela arrive, par exemple, à celles et ceux que l’on nomme, les « nettoyeurs du web ». À force de voir des images de violences (viols, exécutions, terrorisme, etc.), celles et ceux qui modèrent les plateformes comme Facebook, X (anciennement Twitter) ou Insta, peuvent développer une forme de traumatisme vicariant. En 2018, une nettoyeuse du web avait porté plainte contre Facebook. 

« Facebook ignore son obligation de créer un environnement de travail sécurisé. Au lieu de ça, l’entreprise se repose sur un enchaînement constant de travailleurs indépendants qui sont traumatisés à vie par ce qu’ils ont vu à cause de leur travail », expliquait-elle dans sa plainte dont Numerama s’était fait le relais.

Une recherche sur les attentats du 13 novembre

Pour évaluer l’influence que pouvaient avoir les violences sur toute une population, des chercheurs et chercheuses travaillent sur l’impact des attentats du 13 novembre 2015 sur les victimes, leurs proches mais aussi des personnes plus lointaines qui n’ont pas vécu ce vendredi sanglant à Paris. « L’objectif : étudier la construction et l’évolution de la mémoire après les attentats, et en particulier l’articulation entre mémoire individuelle et mémoire collective », explique l’Inserm. Les premiers résultats de cette étude ont fait l’objet d’une publication dans la revue Science en 2020.

« Depuis 2015, nous avons interrogé environ 350 personnes », détaille Jacques Dayan, professeur de pédopsychiatrie et chercheur à l’Inserm sur le programme du 13 novembre. « Bien entendu, certaines victimes ont développé des troubles post-traumatiques, mais nous avons aussi découvert que les personnes qui étaient en charge de ces interviews ont aussi fait des décompensations. »

Après la lecture des propos des victimes, plusieurs personnes de l’équipe de recherches ont été confrontées à des cauchemars, des troubles du sommeil, des sautes d’humeur, une hypersensibilité, etc. « Ce qui peut déclencher un syndrome vicariant c’est le côté répétitif », souligne Jacques Dayan, plus que la violence. « Cela vient réactiver des éléments traumatiques du passé. Le stress post-traumatique peut se déclarer même pour un traumatisme de moindre violence. »

paris-attentat
Stéphanie Renard

Un traumatisme collectif

Dans une seconde étude à paraître, le chercheur et son équipe ont aussi analysé le rôle de la presse et des réseaux sociaux dans ce déclenchement du syndrome vicariant. « On a montré que les attentats du 15 novembre étaient un traumatisme collectif et que même des personnes qui habitent à Caen, Montpellier ou Metz et qui n’étaient pas en région parisienne à ce moment-là, ont développé du stress post-traumatique. Plus ils ont consommé des médias, plus certaines personnes ont développé un syndrome post-traumatique », reconnaît Jacques Dayan. « Attention, je ne dis pas que les médias sont responsables, je dis que cette violence vue à travers le prisme des médias vient réactiver des traumatismes passés. »

Dans cette étude à paraître, le traumatisme vicariant via les médias concernerait 6 % de la population très éloignée et 12 % de la population qui habitent ou travaillent dans les quartiers visés par les attentats mais qui n’étaient pas sur place le 13 novembre. 

Se préparer pour ne pas s’effondrer

Alors que faire ? Pour répondre à cette question, Amnesty International a publié un guide à destination des personnes qui militent pour les droits humains, mais aussi pour les journalistes. L’ONG conseille de se préparer à la violence que l’on va voir ou lire, d’identifier ses proches signaux d’alerte et quand cela est possible de faire des pauses.

« Chez le personnel soignant et les policiers qui ont développé un traumatisme vicariant, on sait que l’absence de reconnaissance du travail effectué a aussi joué un rôle de déclencheur », conclue Jacques Dayan. « Il y avait ce sentiment d’avoir tenu face à l’indicible, et de ne pas être considéré par la hiérarchie. Ce décalage a été un des facteurs de déclenchement. » Un décalage que peuvent aussi ressentir les militants et militantes face à leurs proches moins engagés. C’est pourquoi, Amnesty recommande de verbaliser cette détresse afin d’obtenir du soutien et de pouvoir continuer d’avancer sans s’effondrer.

*Les prénoms ont été changés à la demande des personnes interrogées pour respecter leur demande d’anonymat.

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