Au début du mois d’août 2023, Hugo*, un vidéaste français, reçoit un appel particulièrement déstabilisant. Le youtubeur, qui avait remarqué quelques semaines auparavant que son agence ne lui avait toujours pas versé ce qu’elle lui devait pour sa dernière opération sponsorisée, commençait à s’inquiéter. Lorsque son agente l’appelle enfin, il compte bien profiter du coup de fil pour lui demander des explications. C’est tout l’inverse qui se passe. Sa manageuse lui annonce une très mauvaise nouvelle : son agence, Nevaly, est en faillite. Pour Hugo, cela veut dire qu’il ne récupérera peut-être pas son argent.
Il n’est pas le seul dans ce cas : les autres vidéastes représentés par l’agence n’ont également pas été payés depuis plusieurs mois, et se retrouvent dans des situations financières compliquées. Pour les créateurs de contenu, qui se reposent de plus en plus sur le travail d’agences pour la gestion de leurs partenariats avec les marques et leurs revenus, c’est le scénario catastrophe. Pour la première fois, une agence a fait faillite — et elle entraîne avec elle tous ses youtubeurs, victimes d’un statut très précaire.
Nevaly, une agence allemande de créateurs de contenus
Depuis quelques années, les créateurs et créatrices de contenus sur Internet font de plus en plus appel à des agences pour les aider à gérer leurs opérations sponsorisées. Que ce soit pour les influenceurs sur Instagram ou pour les jeunes stars de TikTok, le recours aux agences est presque une étape obligatoire. Ces entreprises sont de plus en plus nombreuses, et se développent de pair avec le métier d’influenceurs.
Cela faisait déjà quelque temps qu’Hugo, youtubeur depuis plusieurs années, souhaitait signer avec une agence. « C’est un autre vidéaste qui m’a recommandé cette agence, et qui m’a donné leur contact », raconte-t-il à Numerama par téléphone. « Le premier contact avec Nevaly s’est bien passé, pareil avec les manageuses, elles étaient vraiment à l’écoute de mes demandes. » Rassuré, il signe avec Nevaly.
Pendant plusieurs mois, tout se passe très bien avec Nevaly — Hugo tient d’ailleurs à souligner le bon travail de son agente, avec laquelle il s’entend très bien. Mais, durant l’été, il remarque qu’il n’a pas reçu des paiements qui lui étaient dus. « J’ai commencé à leur poser des questions, et ils ont répondu qu’ils attendaient qu’un client paie », se souvient-il.
« Au final, 15 jours plus tard, je reçois un appel de mon agente qui me dit que la maison mère de Nevaly est en insolvabilité. » Tous les comptes de l’entreprise sont gelés et il est impossible de réaliser des paiements. Pour Hugo, c’est le choc. « On nous a dit qu’on pourrait peut-être récupérer notre argent début octobre, mais ça n’est même pas sûr. C’est à condition que la boîte soit redressée. ». Pour l’instant, rien n’indique que cela pourrait bien être le cas.
Combostrike, la maison mère de Nevaly, est en faillite
Créée en 2015, Nevaly est une agence allemande, qui travaille avec une vingtaine de créatrices et créateurs de contenus de plusieurs nationalités, implantés aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. L’agence est relativement petite par rapport à d’autres acteurs du secteur, tels que Webedia, mais elle fait partie d’une plus grosse entité : Combostrike, une agence allemande de marketing esport.
Or, c’est justement Combostrike qui connait des difficultés financières et qui a fait faillite. L’entreprise n’a pas fait de déclaration publique à ce sujet, on ne trouve aucune information à ce sujet en ligne. Cependant, le site officiel allemand « insolvenzbekanntmachungen », qui regroupe les avis de faillite, indique bien que Combostrike a déposé le bilan le 21 juillet 2023.
Contacté par Numerama, Sebastian Roemling, le directeur des opérations de Combostrike, nous a répondu que « Combostrike et Nevaly ne sont pas autorisés à partager des informations sur la procédure avec des tiers. Il ne s’agit pas d’une procédure publique et nous ne sommes pas autorisés à partager des informations avec des parties qui ne sont pas concernées. »
Une telle incertitude est amère pour les vidéastes de l’entreprise. « On ne sait pas pourquoi il y a cette situation d’insolvabilité », regrette Hugo. « On se dit que c’est peut-être une histoire de mauvaise gestion, mais on n’est pas certains. Surtout, on n’a pas été prévenus à l’avance, on a juste été mis devant le fait accompli. »
Les créateurs, victimes de leur statut précaire
Pour les youtubeurs qui ont signé avec Nevaly, la situation est désastreuse. « Ils me doivent une somme à 4 chiffres », raconte Hugo, dépité. « Étant donné qu’ils ne m’ont pas payé depuis un certain temps, j’ai vidé ma trésorerie. Je dois retourner au RSA, alors que je commençais à peine à être rentable, et espérer trouver d’autres fonds ailleurs. Sinon, je fermerai boutique si je n’y arrive pas. »
Numerama a contacté d’autres youtubeurs qui ont signé avec Nevaly. Cependant, à part Hugo qui a souhaité témoigner anonymement, aucun n’a souhaité répondre à nos questions, par peur des représailles de l’entreprise. « Je connais quelques personnes de l’agence, et on est dévasté », indique néanmoins Hugo.
Ce n’est pas tout : Hugo raconte que l’entreprise aurait incité les créateurs à continuer de faire des vidéos sponsorisées — qui seraient, elles, payées en temps et en heure — afin que les sommes perçues aident à redresser Nevaly. « Qu’ils nous demandent de faire ça alors qu’ils ne nous ont pas payé depuis des mois, c’est juste pas possible. Je ne peux rien produire en l’état actuel des choses. » La situation rappelle également que « sans nous, il n’y a pas de partenariats, et pourtant, c’est à nous qu’on demande de faire les efforts », reprend Hugo.
Pour le youtubeur, la position de Nevaly est un dur rappel de la précarité du métier de créateur de contenu. « Le problème vient en partie du statut d’auto-entrepreneur, qui ne nous protège pas assez », tempête Hugo. « On n’a pas de filet de sécurité, on est à la merci des entreprises qui veulent rattraper leurs dettes sur nos fonds, et on ne peut rien faire, à part envoyer des mises en demeure de payer. On peut vraiment nous marcher dessus. On est démoralisé, ça n’est pas un métier facile à rendre pérenne, et si on ne peut plus compter sur les entreprises qui sont censées nous aider, on se sent abandonnés. »
* Le prénom a été changé afin de préserver l’anonymat.
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