L’actualité rattrape le travail parlementaire. Au Sénat, un amendement a été déposé dans un projet de loi sur la régulation du numérique. Son but ? Obtenir un retrait en 2 heures de tout contenu incitant à l’émeute.

L’affaire Nahel rebondit au Parlement. Alors que le Sénat débat en ce moment du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, un élu a saisi cette occasion pour suggérer un tour de vis sur ce qui circule sur Internet. Sa proposition ? Que les réseaux sociaux soient tenus de retirer des contenus en 2 heures quand ils incitent à l’émeute et à la violence.

Déposé le 3 juillet 2023 par le sénateur Patrick Chaize, l’amendement n’a pas encore été discuté. Il prévoit un an d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende en cas de manquement à cette obligation. Cette proposition d’ajout législatif, repérée par la journaliste Laura Kayali, est pour l’heure la seule qui a un lien avec la mort du jeune homme de 17 ans, survenue le 27 juin dernier.

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Un texte de loi sur la sécurisation et la régulation du numérique pourrait être influencé par l’actualité récente. // Source : Romain Vincens avec Canva

L’amendement vise à instaurer un régime particulier lors d’émeutes ou de mouvements populaires, lorsque ces évènements portent « atteinte à l’ordre public ou à la sécurité publique » et incitent « de façon manifeste à la violence contre des personnes dépositaires de l’autorité publique, à la dégradation des bâtiments ou des installations publics ou à l’intrusion en leur sein ».

Dans ce cas, une autorité administrative émet des injonctions à l’encontre des réseaux sociaux pour qu’ils retirent ou bloquent l’accès aux contenus signalés. Les sites communautaires ont alors un délai de 2 heures pour agir, à compter de la réception des notifications. Quant aux modalités d’application de cette disposition, ce sera au Conseil d’État de les fixer.

Cet amendement survient dans la foulée de la mort de Nahel, tué à Nanterre par un policier lors d’une interpellation, alors qu’il conduisait une voiture, sans détenir de permis et n’ayant pas l’âge requis pour ce modèle. Les causes du décès — un tir fatal à bout portant pour un refus d’obtempérer — ont été le point de départ de grandes émeutes.

Les images d'émeutes sur les réseaux sociaux ont menée à des arrestations // Source : Photo de Flavio sur Unsplash / Modifiée par Numerama
Source : Photo de Flavio sur Unsplash / Modifiée par Numerama

Le rôle des réseaux sociaux dans l’ampleur de ces violences urbaines a été mis en cause : dès le 30 juin, Emmanuel Macron a plaidé pour que l’on identifie sans tarder les fauteurs de trouble sur TikTok et Snapchat — un objectif repris depuis par Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice. Les jeux vidéo ont également été mis sur le banc des accusés.

L’exposé des motifs, dans lequel le sénateur explique l’objectif de son amendement, pointe justement la « passivité des réseaux sociaux », qui oblige le législateur à une « réponse plus ferme ». Les réseaux sociaux ont des « effets amplificateurs », avec une « démultiplication » des contenus litigieux (images, vidéos, messages, directs, rediffusions), associée à une hausse du « niveau de violence ».

Un amendement en réaction à l’actualité

L’amendement, à supposer qu’il soit approuvé au Parlement, pourrait se fracasser toutefois durant l’examen du Conseil constitutionnel, si l’institution est amenée à analyser le projet de loi. Un précédent législatif donne un éclairage sur la lecture que peut avoir l’instance chargée de veiller à la conformité des textes avec la norme juridique suprême.

Du temps de la loi dite Avia, surnom donné à la proposition de loi contre la haine en ligne, il existait une mesure semblable, qui visait à obtenir des plateformes en ligne le retrait en 24 heures des contenus litigieux qui leur ont été signalés. Le texte avait été très controversé à l’époque, s’attirant de nombreuses critiques. Or, cette mesure avait été censurée par le Conseil constitutionnel.

Loi haine internet
La loi Avia avait été pulvérisée au Conseil constitutionnel. // Commission des lois

L’institution avait d’ailleurs largement fracassé le texte, ne laissant plus grand-chose de valide dans le texte défendu par la majorité présidentielle. Le Conseil avait pointé un délai « particulièrement bref » et souligné la conséquence évidente d’une mesure associée à une menace de sanction : retirer les contenus signalés, « qu’ils soient ou non manifestement illicites ».

Du fait des « difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti », « de la peine encourue dès le premier manquement » et « de l’absence de cause spécifique d’exonération de responsabilité », la mesure portait « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression qui n'[était] pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».

Et, il s’agissait de l’analyse du Conseil constitutionnel pour un délai de 24 heures. Dès lors, la constitutionnalité d’une mesure identique, avec un délai encore plus serré (2 heures), paraît bien improbable.

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