Vendredi soir nous avions, avec ma copine, choisi d’aller diner au restaurant avant de poursuivre la soirée au cinéma. Comme les bureaux de Numerama sont à deux pas de la place de la République, et que c’est un quartier que nous chérissons, cela a été ma première idée quand elle m’a demandé de choisir un endroit où manger. C’est un pur hasard, et l’envie de changer, qui m’a fait choisir un restaurant inconnu recommandé par le Fooding plus au sud de Strasbourg Saint-Denis. Ce petit avis, cette recommandation sur un site qui aura réussi à me décider à ne pas aller où nous allons tous les vendredis soir ou presque, nous lui devons peut-être notre vie.
Nous descendons innocemment le Boulevard Sébastopol après un diner dans l’insouciance : notre séance n’est pas très loin, au MK2 Beaubourg. Après, elle irait danser vers le Canal Saint-Martin et je rentrerais chez nous finir le travail en retard de la semaine. Arrivé au cinéma, tout a changé.
Une jeune fille, Lara, était au téléphone, les larmes aux yeux. Elle parlait avec quelqu’un d’un attentat au Stade de France, d’une bombe qui aurait explosé. Au guichet, les deux employés du MK2 riaient encore avec les clients. C’est à ce moment-là que la soirée a basculé. Par réflexe, j’ai dégainé mon iPhone pour ouvrir Twitter, connaissant la capacité du réseau social à être informé en avance. En quelques secondes, j’ai eu le premier condensé de l’information : une bombe aurait explosé au Stade de France et des attaques seraient en cours partout dans Paris.
À ce moment-là, personne ne savait quelle serait l’ampleur, ni la géographie des attaques. Il n’y avait que Twitter, les comptes officiels des médias, des institutions et les journalistes sur place. J’ai immédiatement coupé court aux conversations des employés en leur signalant ce que je lisais, qu’une attaque massive était en train de se produire dans le centre de Paris et que la préfecture de police avait écrit un tweet qui demandait aux gens de rester chez eux ou à défaut, dans des espaces fermés et sécurisés. Nous avons pris la décision très rapide de boucler le cinéma, de fermer les portes à clef et d’éteindre le hall d’entrée pour nous camoufler, nous et les spectateurs encore dans les salles des séances précédentes qui n’étaient pas au courant.
Inconscients, nous restions dans les escaliers en face des portes en verre pour avoir du réseau 4G.
Nous nous sommes réfugiés au sous-sol du cinéma, vers un abri tout relatif : inconscients, nous restions dans les escaliers en face des portes en verre pour avoir du réseau 4G. Nous étions une dizaine dans ce couloir, appelant nos proches pour les rassurer — souvent en les informant par la même occasion que quelque chose se passait, eux qui étaient déconnectés des informations live. Les responsables du MK2, exemplaires, ont tout de suite appelé la direction qui était en lien direct avec la police qui a confirmé la bonne décision de fermer le cinéma avec les spectateurs à l’intérieur.
Pour autant, nous n’étions que deux à avoir des informations rapides, ou plutôt, une seule source d’information : Twitter. Et c’est dans une situation comme cela qu’on se rend compte à quel point l’accès à l’information est essentiel : il ne s’est pas passé une minute sans que nous cherchions à savoir ce qui se passait, seconde par seconde, pour nous protéger et protéger ceux que nous aimons.
C’est Twitter qui nous a tenu au courant des drames successifs qui se sont produits au Carillon, ce bar à la meilleure caïpi de Paris, dixit l’ami qui m’y a emmené la première fois, au Petit Cambodge, l’un de nos bo-buns favoris, à la Belle Équipe, le bar où une connaissance se rendait — en retard — à un anniversaire.
Dans le contexte de ce cinéma, tout cela était une masse d’information complètement invérifiable et qui arrivait dans un chaos indescriptible que j’étais bien incapable de trier pour les dix autres qui étaient dans le couloir. C’était pourtant assez facile de communiquer et de se rassurer, vu que nous étions peu et que tous jouaient au jeu de la tranquillité : ne pas céder à notre propre peur pour ne pas faire éclater la peur chez les autres. Quand le Bataclan a été évoqué la première fois, il y a eu les premières larmes, de tristesse, d’anxiété.
Cela devait faire une heure qu’on était là à ne pas vraiment savoir et à trop savoir ce qui se passait dans des quartiers tout proches, des quartiers qu’on aimait et qu’on luttait avec le réseau, la batterie de nos smartphones pour pouvoir garder un contact. Un précieux contact, avec tous ces inconnus et ces amis, au milieu du bruit, qui nous rassuraient et prenaient des nouvelles.
Les rumeurs
Et puis il y a eu les premières rumeurs. Difficile de faire le tri. J’ai vu passer des informations sur un début de fusillade rue Quincampoix, soit à quelques rues d’où nous étions. Quand le tweet sur une fusillade aux Halles a été publié et relayé, les premières réactions de panique sont apparues, le ton est monté : qu’est-ce qu’on foutait, ici, par terre, dans un couloir sans aucune porte de secours, dans un cinéma sans grille où les issues pour sortir ne sont même pas fermées, reposant sur un système de porte qui ne s’ouvre que d’un côté ? Les gens rassemblés ici ont commencé bien légitimement à se demander tout haut « et si » des terroristes arrivaient ici, qu’est-ce qu’on ferait ? Personne n’avait de réponse et l’heure de la sortie des séances approchait : on était 10, on allait être une centaine dans ce couloir.
Le personnel nous a demandé de les aider à prévenir ceux qui allaient sortir des salles que les accès étaient fermés. Il fallait alors résumer à des spectateurs hagards deux heures de drame en quelques mots, pour les informer au plus vite tout en remettant le masque de la confiance pour éviter les mouvements de panique. À ce moment-là, j’ai commencé à garder pour moi ce que je lisais sur Twitter et de faire ce qui avait été conseillé par la Préfecture de Police qui a joué un rôle essentiel : ne relayer que les informations officielles. Il n’a fallu que quelques minutes pour qu’un tweet parle d’une fusillade et d’une explosion à Beaubourg, à quelques mètres — j’ai reçu en même temps un SMS d’un proche qui me disait de faire gaffe, que ça arrivait vers nous.
Je n’ai pas eu le temps de chercher quoi que ce soit d’autre pour étayer l’info. Quelqu’un a crié « fusillade à Beaubourg ! » et a déclenché le premier mouvement de panique, accompagné d’un mouvement de foule dans ce petit couloir exigu. Cent personnes se sont précipitées dans les salles, l’angoisse au ventre. On s’est immédiatement demandé ce qu’on ferait, dans une salle de cinéma fermée, sous un siège, si des terroristes armés entraient et ouvraient le feu. Pas grand chose, à vrai dire, mais personne n’est préparé à des situations pareilles : ni moi, ni le jeune homme qui a lancé cette information pensant bien faire, pensant nous protéger tous. Car à ce moment-là, le réseau social, aussi imparfait soit-il devient la seule source d’information : pouvait-il la laisser passer et nous mettre en danger si elle se confirmait ? Non, bien entendu, il fallait qu’il la communique aussi vite que possible.
La panique aussi brève soit-elle a engendré l’angoisse. Et avec elle, la volonté de toujours plus savoir : c’est bien simple, Twitter était ce qui nous rattachait au dehors, notre seul lien avec l’extérieur et il ne pouvait pas être brisé. Sauf que dans la salle, il n’y avait pas de réseau. Nous nous sommes retrouvés par terre devant les toilettes, face aux sorties arrière du cinéma. Nous n’étions plus qu’une dizaine, séparés de l’autre groupe qui s’était réfugié dans la grande salle.
C’est à ce moment-là qu’on a commencé à suivre le hashtag #PorteOuverte
C’est à ce moment-là qu’on a commencé à suivre le hashtag #PorteOuverte, sur lequel de merveilleux Parisiens invitaient chez eux des inconnus qui n’osaient pas rentrer dans le onzième arrondissement. Comme l’atmosphère devenait irrespirable dans cette petite pièce et que les larmes commençaient à couler, nous avons pris la décision de sortir.
Lara a reçu le coup de fil d’un ami qui habitait à une rue et qui nous a proposé de nous accueillir. Les autres membres du groupe ont trouvé refuge ailleurs, certains ont repris leur vélo pour rentrer dans le sud de Paris. Nous avons été chez ce jeune homme et pour la première fois, le stress est redescendu, nous avons pu reprendre notre souffle et nos esprits.
Et retourner sur Twitter, avec du réseau et un chargeur, pour constater, minute après minute, l’horreur de ceux qui nous sont si proches et qui n’ont pas eu notre chance.
Trois jours après, je sais que je n’ai pas été en danger une seule seconde où j’étais, dans ce cinéma. Et pourtant, pendant cette soirée macabre, nous n’avions aucune certitude. Suivre la progression de l’attaque sur Twitter était nécessaire, c’était notre moyen de nous rattacher à l’humanité qui savait et notre seule source de savoir. Et dans ces instants, chaque information lue est devenue l’Information, la vraie, avant d’être confirmée ou réfutée — et nous avons eu authentiquement peur à chaque fois. Comment pouvait-on se dire que « ça ne pouvait pas nous arriver » quand on savait au fond de nous que seul le hasard nous avait éloigné ce soir-là qui du Stade de France, qui du Bataclan, qui du Carillon, qui du Petit Cambodge, qui de la Belle Équipe ?
On a du mal à le réaliser, mais ce soir-là, Twitter nous aurait peut-être sauvé la vie en nous permettant de savoir que quelque chose se passait, en nous offrant la possibilité de tout fermer avant une potentielle attaque et de nous tenir informé avant que quelque chose de terrible se produise.
En 1995, peut-être serions-nous allés insouciants au cinéma et insouciants nous serions rentrés chez nous, apprenant les informations tragiques le lendemain, à la radio, à la télévision ou dans les journaux. Ou alors, sans aucun moyen d’être prévenus de l’horreur qui se déversait sur Paris, nous nous serions rendus dans l’un de ces quatre lieux tragiques que nous fréquentions habituellement.
Car si Twitter a été, en pratique, la source de notre panique, de nos erreurs et de nos angoisses — et de notre réconfort — c’est parce que nous faisions partie de ceux qui, alors sans le savoir, n’avaient rien à craindre. C’est parce que le réseau social a été aussi merveilleux que terrifiant, qu’il a été, ce soir-là, profondément humain.
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