Le Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP) commence à prendre peur. Alors que le volontarisme de Nicolas Sarkozy sur ce dossier semblait acquis, et alors que la mission Olivennes s’est déroulée sans accroche, le projet de loi qui doit instaurer la riposte graduée pourrait ne pas être voté avant l’été comme Christine Albanel l’avait promis. Mardi, le SNEP a prévenu qu’il jugerait « inacceptable » un quelconque retard…

Après tout, le SNEP est dans son rôle. Mardi, en marge de la présentation des résultats toujours en baisse de l’industrie du disque (voir encadré), le Syndicat qui défend les intérêts des maisons de disques en France a demandé à nouveau que la loi instaurant la riposte graduée à l’encontre des abonnés à Internet soit examinée rapidement par le Parlement. Son directeur général Hervé Rony a jugé inacceptable que « le texte passe en première lecture à l’automne« . Promis pour avant l’été par la ministre de la Culture Christine Albanel, le texte devait être examiné en mai, mais il pourrait finalement être repoussé à la session parlementaire de rentrée… au plus tôt.

Exigeant, Hervé Rony juge qu’une première lecture au Sénat fin juin ou en juillet serait même trop tardive. « Il faut que la loi soit installée avant la fin d’année, ou le début d’année 2009« , a insisté le directeur général du SNEP, qui sent bien que le vent ne tourne pas en faveur de la riposte graduée qui, rappelons-le toujours, avait été retoquée une première fois par le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi DADVSI. C’est par une extraordinaire contorsion juridique que le gouvernement espère cette fois-ci contourner la foudre des sages.

Selon le schéma de la riposte graduée, les titulaires des abonnements à Internet dont l’accès est utilisé pour télécharger et mettre à disposition illégalement des œuvres seront par pénalement responsables de cette utilisation, y compris par un tiers. A la première infraction constatée, un e-mail sera envoyé par leur fournisseur d’accès. Puis en cas de récidive dans les six mois, c’est un courrier en lettre recommandée qui est envoyé. Et enfin, en cas de nouvelle récidive, l’abonnement à Internet est coupé et l’abonné est placé sur une liste rouge qui l’empêche d’aller souscrire un autre abonnement chez un FAI concurrent. S’il refuse cette mesure, l’abonné sera jugé par un tribunal.

Un contexte politique et économique défavorable

Mais le contexte est défavorable à l’adoption de la loi sur la Haute autorité pour la diffusion et la protection des œuvres sur Internet (loi Hadopi). Déjà impopulaire, la mesure a été sanctionnée par avance par le Parlement Européen, puisque les eurodéputés ont jugé dans leur majorité que le fait de couper l’accès à Internet d’un abonné était une sanction disproportionnée et contraire aux Droits fondamentaux. Le vote du Parlement n’a aucune valeur juridique, mais politique. La France doit prendre dans quelques semaines la présidence de l’Union Européenne, et il serait mal venu d’entamer la Présidence en déposant chez soi un projet de loi jugé contraire aux Droits de l’Homme par la représentation européenne.

De plus, comme le note La Quadrature du Net dans un communiqué, « les eurodéputés des pays classés dans le top 10 des nations les mieux adaptées à l’économie numérique, selon le World Economic Forum (Danemark, Suède, Finlande, Hollande), l’ont condamné explicitement, les trois premiers à plus de 80%« .

« Et le SNEP prétend qu’il est urgent de faire examiner ce texte par le Sénat à quelques semaines de la présidence française de l’Union Européenne, et alors que la France se traîne à la 21ème place du classement World Economic Forum ?« , demande le collectif.

Deuxième problème politique : « les caisses sont vides« . La révision générale des politiques publiques invite chacun des ministères à faire des économies et à rationaliser ses structures pour éliminer toutes les commissions dont l’intérêt est limité au regard de ce qu’ils coûtent. Or la loi Hadopi prévoit spécifiquement de créer une nouvelle Haute autorité simplement pour servir les intérêts des industries culturelles, avec un impact pour le moins incertain sur leur croissance. Ca n’est pas parce qu’ils ne pourraient plus pirater (ce qui reste à prouver) que les Français vont arrêter de s’acheter pain et fromage et de remplir leur voiture en Sans Plomb pour s’offrir des CD. De plus, Hervé Rony a prévenu. « Il ne faut pas envoyer 100 ou 500 messages, mais des dizaines de milliers de messages, et pour cela, il faut que l’autorité indépendante ait des moyens« . Or des moyens, l’Etat n’en a plus. Mais peut-être souhaite-t-il piocher dans la manne des très commodes irrépartissables ?

« Les caisses ne peuvent pas être vides pour tous à l’exception de l’industrie du disque, surtout quand elle exige des mesures aussi absurdes« , prévient Christophe Espern, porte-parole de la Quadrature du Net.

Le marché du disque en baisse de 17,8 %

Sans surprise, la dégringolade continue pour l’industrie du disque. Le SNEP annonce que le marché en France a baissé encore de 17,8 % en valeur au premier trimestre 2008 par rapport à l’an dernier, avec 141,8 millions d’euros en ventes de gros hors-taxe. Les ventes physiques reculent de 23,2 % sur un an, et le numérique qui part de beaucoup plus bas ne progresse que de 61 %.

Le numérique pèse désormais pour 12,4 % de l’ensemble du chiffre d’affaire du secteur. Mais dans le détail, on s’aperçoit que c’est toujours la musique sur mobile, éphémère sans doute, qui domine plus de la moitié des rentrées numériques (56 %), avec un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros.

Le téléchargement de musique sur Internet rapporte 6,9 millions d’euros aux maisons de disques au premier trimestre 2008 (+ 56 %).


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