Du nouveau dans l’affaire Razorback ! L’association suisse qui administrait le serveur eDonkey éponyme (le plus gros du monde avant sa fermeture) nage toujours en plein imbroglio judiciaire, dans un méandre d’affaires et de tirs croisés. Elle nous apprend ainsi qu’elle vient de porter plainte contre l’expert judiciaire qui avait prétendu que Razorback facilitait activement la diffusion de fichiers pédophiles, et se fait débouter par ailleurs d’une action entreprise contre des majors du cinéma membres de la Motion Picture Association (MPA).

Cela fera bientôt deux ans que le serveur Razorback a été rayé de la carte du réseau eDonkey par l’action des autorités belges et suisses, sur plainte des majors du cinéma. Deux années pendant lesquelles l’association a bataillé sur tous les fronts et découvert jusqu’à l’invraisemblable. Loin de rester sur la défensive, l’association a sorti l’épée du fourreau et espère bien faire subir quelques échecs à la partie adverse, qui pourrait bien regretter de s’être attaqué à un intermédiaire technique coriace.

La première affaire fait suite à nos révélations du mois d’août dernier. Nous révélions en effet le contenu du rapport d’expertise remis par Romain Roubaty, Professeur au Laboratoire de Sécurité de la Haute Ecole, et vice-président de l’Association Francophone des Spécialistes de l’Investigation Numérique (AFSIN). Dans ce rapport, Le Professeur Roubaty chargeait sans mesure le service eD2K History fourni par Razorback, qui offrait pour chaque fichier diffusé identifié par sa signature numérique unique un historique de diffusion. L’auteur écrit notamment dans son rapport que « grâce à ce service, il était particulièrement aisé de trouver des images ou des films à caractère pédopornographique« . Or eD2K History n’était pas un moteur de recherche, il fallait déjà connaître le fichier pour obtenir les statistiques. Plus grave encore, il affirmait que « la disponibilité de ces fichiers sur les serveurs Razorback a été mise en évidence« , alors que le serveur n’hébergeait aucun fichier, mais listait simplement les fichiers disponibles en relation avec les utilisateurs qui les possède, tout comme Google indexe les contenus disponibles et les URL des pages qui les contiennent.
Furieuse, l’Association annonce qu’elle a décidé de poursuivre pénalement cet expert pour calomnie et diffamation. « Depuis ce rapport, nous avons déterminé que le 1er rapport remis par la Police était déjà orienté par l’étroite collaboration que celle-ci avait eu tout au long de l’enquête préliminaire avec ce même expert« , nous indique l’administrateur de Razorback. « Il ressort maintenant clairement qu’une grande partie des faits reprochés l’ont été sur la base de l’avis de cet expert ce qui nous encourage à dénoncer ses agissements devant la justice« . « Dans les affaires où les Juges ne comprennent pas les parties techniques des dossiers, elle doit pouvoir s’appuyer sur des expertises de confiance et neutre« , estime l’Association. L’affaire est en cours.

Une collecte massive d’adresses IP pour les majors du cinéma… ni autorisée, ni réprimée

La seconde affaire, en revanche, a déjà pris fin, au moins auprès des tribunaux suisses. Razorback annonce ainsi qu’elle a porté plainte « dans la plus grande discrétion » contre « les majors du cinéma pour surveillance illégale des télécommunications et violation de la vie privée ». « En nous appuyant sur un avis de droit établi par l’un des plus brillants experts suisses en matière de protection des données, qui est également co-auteur de la loi en question, Me Laurent Moreillon, et sur des preuves versées à notre dossier par les plaignants eux-mêmes, preuves qui vont jusqu’aux aveux signés de la main du président de la MPA, nous avons ouvert une action judiciaire en Suisse courant 2006« , annonce l’administrateur de Razorback, qui poursuit : « Il ressort de notre dossier que l’avocate des plaignants disposait d’un fichier important contenant un grand nombre d’adresses IP qui aurait pu servir d’éléments de preuve supplémentaire. Malheureusement, à notre plus grande déception, aucune instance judiciaire n’a ordonné la remise de ce fichier à cette avocate. Cette preuve d’une surveillance massive et disproportionnée a sûrement disparue à l’heure actuelle !« . Saisie d’une plainte, le Tribunal Fédéral a débouté l’association. Mais simplement pour une question de procédure.
Faute de saisie du fichier complet, l’association n’avait à sa disposition qu’un extrait, un fichier de 50 adresses IP provenant d’internautes domiciliés dans le Canton du Valais, siège de Razorback. Et aucune de ces adresses IP n’appartenait à un des membres de l’association. Or ne pouvaient porter plainte que les personnes à qui appartiennent ces adresses IP. « Vous devez être surveillé personnellement pour pouvoir dénoncer une activité illégale. Si aucun procureur ne décide d’ouvrir une enquête sur la base de votre dossier, aussi bien ficelé soit-il, celui-ci passe à la trappe« , regrette l’association. De plus, le tribunal chargé de l’affaire avait la faculté de se saisir d’office du dossier et d’intenter des poursuites au nom du parquet, dès qu’il a eu connaissance des preuves, mais Razorback a dû supporter seul les frais d’une procédure vouée à l’échec faute d’intérêt à agir, au sens de la loi.

Razorback pense désormais ouvrir une nouvelle action auprès de la Justice Européenne, et dénoncer la collecte auprès du préposé à la protection de données, l’équivalent suisse de la CNIL.

Et pendant ce temps, la Justice suisse n’a toujours pas dit si Razorback était ou non coupable de complicité de contrefaçon, comme le prétend l’industrie culturelle. Il faudra encore des mois voire des années avant qu’un jugement au fond n’intervienne…


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