Le Club parlementaire du numérique a eu l’occasion de s’entretenir avec le directeur de l’Autorité de la concurrence. L’occasion de l’interroger sur la question de la neutralité du net et sur les différences de vues entre les fournisseurs d’accès et les opérateurs, en charge des tuyaux.

Avant-hier, nous commentions la polémique issue des propos tenus par la secrétaire d’Etat à l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet. Celle-ci avait indiqué lors d’une conférence être en faveur d’un « Internet à plusieurs vitesses » afin de régler le problème de la congestion des réseaux des fournisseurs d’accès. Un discours qui a pu surprendre, malgré sa mise au point concernant le « réseau public qu’est Internet » où « les contenus doivent être traités à égalité« .

Si depuis cet épisode, NKM a eu l’opportunité de préciser sa pensée, expliquant qu' »il n’est pas question d’avoir un Internet à deux vitesses« , cette polémique a remis en selle la question de l' »Internet a plusieurs vitesses », véritable épouvantail des défenseurs de la neutralité du net. L’occasion de s’intéresser à la position de l’Autorité de la concurrence, interrogée par le Club parlementaire du numérique.

Au cours de son entretien, Bruno Lasserre est revenu sur la question de la gestion des réseaux par les opérateurs. Une telle maitrise suscite une grande inquiétude du côté des fournisseurs de contenus, complètement dépendants du bon vouloir des gestionnaires de tuyaux.

À cette question, le directeur de l’Autorité de la concurrence estime qu’il n’est pas « illégitime » qu’un « opérateur souhaite gérer le trafic qui passe sur son réseau pour l’optimiser et éviter la saturation« . Toutefois, dans la mesure où « Internet est aujourd’hui devenu un instrument d’expression, d’échange, de commerce (c’est notamment un support publicitaire en pleine expansion), d’accès à l’information et au savoir tout à fait essentiel dans notre société« , il convient de manœuvrer avec prudence.

« La régulation sectorielle peut sans doute être une réponse pertinente pour éviter des pratiques opaques ou discriminatoires de la part des opérateurs dans la gestion du trafic » a-t-il expliqué. Une solution qui pourrait rassurer les fournisseurs de contenus, premiers à appeler à un encadrement en la matière.

Toutefois, comme le souligne l’entretien, cette « distinction des rôles » entre fournisseurs et opérateurs est moins perceptible qu’auparavant. Désormais, les opérateurs n’hésitent plus à fournir du contenu, avec le risque évident que ces derniers privilégient leurs contenus au détriment d’autres acteurs. Et de poser la problématique économique, intimement liée à la question de la neutralité du réseau.

Pour Bruno Lasserre, « les opérateurs souhaiteraient que les acteurs de l’Internet participent au financement de la mise à niveau des infrastructures nécessaires à l’accroissement du trafic sur les réseaux. Un tel principe n’est pas forcément choquant : les acteurs de l’Internet utilisent les réseaux, au même titre que les consommateurs, et peuvent dégrader la qualité collective du réseau par des échanges de données excessifs (ils créent une « externalité négative »)« .

Dans cette optique, le directeur de l’Autorité de la concurrence avance l’idée du « paiement d’un tarif d’accès » afin d’initier « les bonnes incitations et réguler la charge du réseau« . Toutefois en la matière, le temps est encore aux discussions. Il n’est donc pas opportun que le gouvernement tranche en faveur de tel ou tel modèle, pour ne pas « cristalliser prématurément cette réflexion » a-t-il ajouté.

Sur la problématique économique liée à la neutralité du net, nous avions noté que « les opérateurs justifient le plus souvent leur volonté d’atteinte à la neutralité du net par l’obligation qui leur est faite de gérer leur réseau pour éviter les congestions dans les heures de pointe« .

Or comme nous l’avions expliqué avant-hier, « s’il faut désengorger le réseau, alors la solution n’est pas de brider ou surfacturer l’accès aux contenus les plus consommateurs, mais de facturer la consommation au volume indépendamment du type de contenu consommé. Façon EDF, qui ne facture pas différemment selon que son électricité alimente un réfrigérateur ou un téléviseur« .

« La concurrence continuera alors à jouer son rôle entre les opérateurs, pour savoir qui offre le meilleur débit et le plus de volume de données au prix le moins cher, sans que ça porte atteinte à la neutralité du réseau« . Toutefois, cette piste a un inconvénient certain : si elle règle le problème de la congestion des réseaux sans toucher à la neutralité du réseau, elle remet sur le devant de la scène le problème de la fracture numérique entre les internautes. Car tous ne pourront pas s’offrir un accès totalement débridé.


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