Alors que Numerama était en congé nuptial, les députés ont achevé jeudi soir l’examen du projet de loi Création et Internet. Mais le feuilleton a trouvé un nouveau rebond avec l’affaire TF1-Bourreau, qui révèle davantage que la simple connivence entre le pouvoir et les grands médias.

L’affaire a éclaté mercredi grâce à Libération. Le journal a révélé que le responsable du pôle innovation web de TF1, Jérôme Bourreau-Guggenheim (31 ans), a été licencié par la première chaîne pour avoir envoyé fin février un e-mail contre la loi Hadopi à sa députée Françoise de Panafieu (UMP), qui l’a forwardé au cabinet de Christine Albanel, lequel s’en est ému auprès de la direction de TF1. Celle-ci a décidé de convoquer son employé pour lui notifier en avril son licenciement. Elle estime que bien qu’ayant agi dans un cadre de correspondance privée, en exposant ses propres opinions politiques, M. Bourreau-Guggenheim a joué contre les intérêts du groupe, qui défend la loi Hadopi.

L’employé a porté l’affaire devant les Prud’hommes et en sortira très certainement gagnant. Si le cabinet de Christine Albanel n’avait pas alerté TF1, en violant le droit à la correspondance privée, et à la confidentialité des opinions politiques, l’employeur n’aurait jamais su que son employé avait, en dehors de ses heures de bureau, des opinions contraires à celles qu’il défendait dans le cadre de son travail.

Or puisqu’il faut toujours un fusible dans ce type d’affaires, Christine Albanel a annoncé lundi matin qu’elle suspendait de ses fonctions Christophe Tardieu, le directeur adjoint de son cabinet, auteur de la fuite vers TF1. Le fonctionnaire est mis à pied pour un mois, le temps que la loi soit définitivement adoptée et que l’affaire soit passée aux oubliettes médiatiques.

Mais l’affaire ne doit pas en rester là. M. Tardieu a très certainement agi selon les habitudes de la maison, ou selon une certaine coutume gouvernementale, de connivence entre le pouvoir politique et le pouvoir médiatique. Voire, entre le gouvernement et les lobbys les plus puissants. Ca n’est de ce point de vue qu’un élément supplémentaire à ajouter à la longue liste de faits justifiant selon nous l’ouverture d’une enquête parlementaire, dont on se demande jusqu’où il faudra aller dans l’indécence pour qu’elle soit officiellement demandée.

Plus grave, l’affaire révèle les dysfonctionnements démocratiques de la France. Pour bien fonctionner, une démocratie doit être bien informée. Pour être libre de ses choix, un citoyen doit pouvoir faire un choix éclairé. C’est dans cet objectif démoratique que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) « veille au respect du pluralisme politique et syndical sur les antennes« , et se doit de « garantir le pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion« .

Or, depuis la signature des accords de l’Elysée qui ont présidé à l’élaboration de la loi Création et Internet, TF1 a manipulé l’opinion publique sur les véritables enjeux de la loi Création et Internet à travers son journal télévisé, le plus populaire de France.

D’abord avant le passage de la loi au Parlement, l’information fut minimum, pour ne pas dire inexistante. Comme si la loi, pourtant très débattue sur Internet, ne faisait pas débat. Ensuite, lorsqu’elle fut votée par l’Assemblée par 16 députés avant son passage en commission mixte paritaire, après un débat très animé pendant 41 heures, le reportage diffusé par le journal de 20 heures avait osé montrer les images d’une Assemblée pleine à craquer où des centaines de députés votaient avec enthousiasme. Et lorsque finalement le texte fut rejeté, donnant tort à l’illusion d’unanimité qu’elle avait créée, TF1 a diffusé un reportage mettant toute la responsabilité du rejet sur les épaules des députés socialistes. Elle n’a depuis jamais invité un seul opposant à la loi Création et Internet, notamment dans les rangs du Parti Socialiste, pour expliquer les raisons de leur vote… mais elle a accordé quatre longues minutes à Jack Lang pour dire pourquoi, lui, voterait en faveur de la loi… alors qu’il ne s’est jamais présenté une seule fois dans l’hémicycle.

Cette présentation de la loi Hadopi paraît peu conforme à la convention signée par TF1 le 31 mai 2008 qui impose à son JT de « respecter une présentation honnête des questions prêtant à controverse et à assurer l’expression des différents points de vue« .

Or le groupe TF1 veut l’Hadopi. En tant que producteur de cinéma et de programmes de télévisions, et éditeur de services de vidéo à la demande, la chaîne souhaite lutter contre le piratage, et limiter à la portion congrue la copie privée, au profit des DRM. Elle prend soin de ne pas présenter honnêtement le projet de loi, pour ne pas mettre au jour les questions qui font débat parmi ses contradicteurs, y compris au delà de l’opposition de façade « pour ou contre la copie », sur les questions fondamentales de respect des droits de la défense.

C’est une violation claire de ses engagements, d’autant plus pernicieuse qu’avant l’affaire Bourreau-Guggenheim, TF1 n’avait jamais dit explicitement qu’elle défendait la loi Création et Internet. Elle a donc manipulé l’opinion publique dans l’espoir de protéger ses propres intérêts. Pourtant la convention du 31 mai 2008, qui définit les conditions dans lesquelles le CSA cède à TF1 l’exploitation de certaines ondes hertziennes, impose à la chaîne de « veille(r) à ce que les émissions d’information politique et générale qu’elle diffuse soient réalisées dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses actionnaires« .

De quoi faire réagir l’excellent site Arretsurimages.net, fondé par Daniel Schneidermann, qui s’est fixé comme mission d’évoquer le traitement médiatique des questions d’actualité et de société. Mais il a lui-même été d’un relatif silence sur l’Hadopi pendant de longues semaines. Surprenant. Dans un édito publié samedi, Schneidermann écrit que « les internautes se sont intoxiqués à la gratuité universelle, et ce n’est pas ici, sur un site qui a fait le pari de vivre de ses seuls abonnements, que nous dirons le contraire« . Consciemment ou non, Arrêt sur Images, qui critique quotidiennement la partialité des médias, a lui-même été partial dans le traitement de l’information sur l’Hadopi, dont il dit pourtant qu’elle est « une mauvaise loi« .

Ce qui montre qu’aucun média, même parmi les meilleurs, n’est neutre et impartial.

C’est pourquoi sur Numerama, régulièrement critiqué pour ses prises de position, nous avons depuis le premier jour pris le partie d’afficher clairement nos opinions. Au moins ceux qui nous lisent savent d’où l’on parle.


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