C’est peu dire que Bruno Le Maire voit d’un très mauvais œil Calibra, le porte-monnaie numérique de Facebook prochainement disponible dans ses applications (Messenger, Instagram, WhatsApp) et qui servira à faire des transactions. Dès l’annonce du projet Libra, sur lequel repose Calibra, le ministre de l’Économie et des Finances est monté au créneau sans avoir lu au préalable le livre blanc du projet, pour tracer des lignes rouges à ne pas franchir.
« S’il s’agit d’une monnaie souveraine, ça ne peut pas être le cas ! Une société privée ne peut ni ne doit créer une monnaie qui rentrerait en concurrence avec les monnaies des États », lançait-il le 18 juin, lors des questions au gouvernement. Une mise en garde déjà lancée le matin même à la radio et qu’il vient de répéter le 5 septembre dans une interview à La Croix.
Une monnaie numérique publique
Mais cette fois, le locataire de Bercy n’entend plus seulement présenter un profil défensif face à Facebook. Le ministre souhaite être à l’initiative. Dans les colonnes de nos confrères, il plaide ainsi pour « une réflexion sur une monnaie numérique publique émise par les banques centrales ». Il propose que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international en discutent en octobre 2019.
Selon Bruno Le Maire, cette devise « garantirait la sécurité totale des transactions, leur rapidité, leur simplicité et leur gratuité ». Elle pourrait être à la fois une alternative sûre à certains produits financiers « particulièrement risqués », mais aussi une solution offrant « un accès facile aux populations dans les pays peu bancarisés », en réduisant les délais de fonctionnement et le coût des opérations.
Des pays sont déjà sur le coup
Il s’avère qu’un début de réflexion se met en place en France sur l’opportunité de mettre en place une cryptomonnaie d’État. En début d’année, un rapport d’information relative aux monnaies virtuelles produit par deux députés a esquissé l’idée (même si les deux élus ont plaidé pour « une mission plus approfondie sur le sujet »), tout en dressant un panorama international et évoqué diverses perspectives.
Ainsi, les deux parlementaires relèvent des initiatives dans quatre pays (Brésil, Estonie, Japon et Venezuela), tout en notant d’une part l’hétérogénéité des motivations et d’autre part qu’aucun d’entre eux « ne s’est encore officiellement lancé dans le processus » . La Suède est aussi mentionnée, à travers l’E-krona ou le Fedcoin, deux programmes animés par la Banque de Suède.
Le rapport liste plusieurs arguments en faveur d’une cryptomonnaie d’État : participation active au « financement de l’innovation », élimination des « incertitudes comptables et les risques liés à la volatilité des crypto-actifs privés » grâce à la conversion fixe avec l’euro, qui est une monnaie très stable, traçabilité pour combattre son emploi illicite, mais aussi outil de politique monétaire rapide et direct.
Outre Bruno Le Maire, la commission d’enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique, le gouverneur de la Banque de France, son homologue de la Banque d’Italie ou encore le patron de l’instance britannique de régulation de la finance ont également exprimé leurs réserves ou affiché une forte méfiance vis-à-vis de Calibra, au regard du poids considérable qu’a Facebook pour imposer ses services et produits.
Colonisation de la monnaie
C’est ce que relève également Tristan Dissaux, chercheur postdoctorant en économie à l’université libre de Bruxelles. Dans un article intitulé Libra : les dangers du développement d’une monnaie privée, il anticipe un puissant effet de réseau qui fera qu’il sera « de plus en plus intenable de ne pas en être utilisateur » et prédit une adoption « rapide et massive, notamment tirée par les pays en développement ».
« Facebook ne manquera pas de rendre l’usage du Libra pratique et ludique, ce qui l’immiscera dans une part croissante des échanges avec l’élargissement progressif de la gamme de ce qui est payable avec cette monnaie. […] Compte tenu de la puissance de Facebook, il ne faut donc pas sous-estimer son potentiel de colonisation du domaine monétaire ».
C’est pour cela que le sujet a été abordé lors du G7 des ministres des Finances et que les ministres « ont fait part de leur préoccupation et de leur vigilance sur ce sujet », déclare Bruno Le Maire. Un mois plus tôt, en juin, les gouverneurs de banque centrale du G7 ont lancé un groupe de travail sur les règles et les obligations à suivre en cas de cryptomonnaie privée. Les conclusions sont attendues pour octobre.
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