La justice peut-elle être un investissement comme un autre ? Aux États-Unis comme en France, des startups se montent pour permettre à des investisseurs de parier sur les chances de succès d’une plainte déposée par un tiers. Parfois-même, avec l’aide d’intelligences artificielles pour évaluer les chances de succès.

C’est un nouveau business qui s’ouvre, et qui pourrait inspirer de plus en plus de startups : parier sur les chances de succès d’une procédure judiciaire envisagée par un plaignant, et financer l’action civile en exigeant une part substantielle des dommages et intérêts éventuellement obtenus. Selon Biz Journals, une petite poignée de startups existent aux États-Unis sur ce marché du Litigation Finance (ou « financement de litiges »), qui pèserait déjà 3 milliards de dollars.

Deux des pionniers sont les startups LexShares ou TrialFunder. Toutes les deux fonctionnent sur la base d’un financement coopératif. Les internautes se voient présenter différentes affaires sur lesquelles ils peuvent investir et s’ils réunissent ensemble les fonds suffisants, la plainte est enclenchée, prise en charge par des cabinets d’avocats, et les bénéfices éventuels sont alors redistribués entre tous (victimes, avocats, financiers).

trialnfunder

Sur TrialFunder, vous pouvez miser sur le procès d’une victime de morsure par chien, ou sur les secouristes du 11 septembre qui demandent indemnisation.

Ces deux startups diffèrent surtout par leur ligne éditoriale, ou stratégique. TrialFunder finance de petites affaires du quotidien en levant quelques milliers de dollars pour permettre à des employés d’attaquer leur entreprise aux prud’hommes, à des victimes de racisme de poursuivre un agresseur, ou encore au client d’un magasin de poursuivre ce dernier qui n’avait pas signalé la présence d’une butée qui a causé un accident.

Le site affiche de beaux succès comme une plainte contre le géant Home Depot qui s’est résolue à l’amiable en générant un retour sur investissement de 170 %, ou cette affaire de brutalité policière qui a fait gagner 147 % de gains, pour un investissement collectif de 20 000 dollars.

De son côté, LexShares s’attaque à de plus gros poissons. Le site a ainsi obtenu 1 million de dollars pour la plainte d’un lanceur d’alerte qui veut attaquer et prouver de fausses déclarations faites par une société cotée, 175 000 dollars sur une entreprise qui accuse son fournisseur de lui avoir fourni des logiciels piratés, 600 000 dollars contre une entreprise qui aurait commercialisé un produit dangereux pour les consommateurs, etc.

Sur le site, toutes les plaintes proposées aux investisseurs ont reçu 100 % de leur investissement, preuve que l’entreprise est plutôt en recherche de plaintes à soutenir qu’en recherche d’internautes prêts à investir. La plateforme retient 10 % de frais de mise en relation entre les plaignants et les investisseurs.

lexshares

Des plaintes sur lesquelles les internautes ont misé sur LexShares.

Mais sur ce marché naissant arrive un nouvel acteur soutenu par le prestigieux fonds d’investissement Y Combinator, Legalist. L’entreprise a été fondée par deux étudiants de Harvard, Eva Shang et Christian Haigh, qui apportent certaines particularités par rapport à leurs concurrents existants.

Tout d’abord, Legalist ne demande pas l’aide des internautes pour financer les plaintes. Quand on dispose du soutien de Y Combinator, on peut s’en passer, et garder pour soi l’ensemble des bénéfices générés par les procédures qui aboutissent à un règlement amiable ou une condamnation civile.

Mais ensuite, pour limiter les risques, Legalist affirme utiliser une base de données de millions d’affaires enregistrées en jurisprudence, et un algorithme qui réalise une première étude de cette jurisprudence pour dégager les chances de succès d’une plainte, et aider les investisseurs à choisir où investir. La décision finale reste humaine, mais l’intelligence artificielle est utilisée pour réaliser un premier filtrage et un travail de veille juridique — on commence déjà à trouver ce type d’IA dans des bureaux d’avocats.

La startup pense miser entre 50 000 et 500 000 dollars selon les affaires, et espère gagner 50 % de plus que ses investissements en moyenne. Un ratio qui ferait pâlir d’envie plus d’un banquier.

legalist

En France ? WeClaim présent sur le marché

En France, ce type de startups est encore rare, mais il en existe au moins une, montée par l’entreprise Litigation Group. WeClaim, basée à Paris, propose de financer les poursuites que veulent entamer des internautes, si le dossier les convainc des chances de succès. L’entreprise mandate un avocat pour mener les négociations, et prend ensuite 25 % HT des sommes obtenues en cas de résolution amiable.

weclaim

Le fonctionnement du service est légèrement différent de ses homologues américains puisqu’il ne permet pas de financer n’importe quelle procédure judiciaire, mais uniquement les types de litiges que la plateforme a identifiés, avec des procédures rodées. On pourra ainsi demander l’aide de WeClaim pour obtenir une indemnité après avoir manqué un vol d’avion, pour se faire rembourser le trop-payé sur un loyer, récupérer le dépôt de garantie d’un loyer, faire condamner l’État pour une procédure judiciaire qui traîne trop en longueur, etc.

Fin 2015, le Conseil national des barreaux (CNB) a adopté une résolution sur le financement des procès par des tiers, qui ne s’oppose pas à cette pratique montante, qu’il voit même comme un progrès pour l’accès à la justice. Il souhaite néanmoins que la pratique soit encadrée dans le code civil en précisant que « le financeur ne peut, directement ou indirectement, conduire le litige » et « ne peut, notamment, choisir l’argumentation développée, ni imposer au bénéficiaire de faire, d’accepter ou de refuser une offre de transaction ».

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