Happn repose sur un concept simple : permettre aux gens qui se croisent dans la rue, dans le métro ou à la boulangerie de se rencontrer. Ces Français espèrent tirer leur épingle du jeu sur le marché déjà saturé des applications de rencontre.

Après Jam et PopChef, c’est au tour de Happn de se confier avec son application de rencontre géolocalisée qui vous permet de « rencontrer qui vous croisez ». Une belle promesse, dont Marie Cosnard, Head of Media Relation pour Happn, nous raconte les débuts en janvier 2014 et la rapide croissance depuis, jusqu’à la levée de fonds de 12,5 millions d’euros bouclée ce mois-ci.

Comment comptiez-vous vous positionner sur le marché, au début, quand vous avez eu l’idée de Happn ?

À l’égard de la rencontre en ligne, nous trouvions particulièrement paradoxal de croiser des centaines de gens dans la vie, simplement en marchant, et pourtant de retrouver ces gens le soir devant leur ordinateur, à remplir leur profil, répondre à des questionnaires pendant des heures, ou chatter avec des inconnus virtuels qui peuvent être très loin et qu’ils ne rencontreront peut-être jamais. C’est une perte de temps, et ça ne répond pas au vrai besoin de rencontrer l’autre. Un autre paradoxe c’est que dans les grandes villes, même s’il y a plus de monde, on a plus de mal à rencontrer quelqu’un, il y a plus de célibataires…

Aujourd’hui, on a moins le temps de rencontrer des gens.

C’est l’ultra-connexion qui nous déconnecte ?

Oui, puis il y a le rythme de vie, les occupations, on a moins le temps de rencontrer des gens. Nous avons travaillé avec les technologies qui étaient à notre disposition à cette époque : les smartphones, le GPS, et la possibilité de les utiliser en temps réel. Ce que Happn a apporté c’est cette promesse hyper-simple : pouvoir retrouver les gens que tu as croisés. C’est le scénario parfait : tu es en terrasse, tu vois passer quelqu’un, tu as un coup de foudre, mais ce n’était pas le bon moment parce que tu étais en rendez-vous professionnel par exemple. Avec Happn, si tout se passe bien et que l’autre aussi a Happn, vous pouvez vous retrouver.

Pourtant cela n’empêche pas que des utilisateurs Happn puissent rentrer le soir et passer des heures sur d’autres sites de rencontre ?

Bien sûr. Mais c’est tout de même deux mondes différents, il y a une vraie rupture avec les gros sites de rencontre traditionnels, qui essaient d’ailleurs maintenant de faire aussi leur application mobile. Le côté « web » se meurt : c’est chronophage, ça reste virtuel et surtout mentalement on se sent plus désespéré de devoir s’asseoir et se prendre une heure pour essayer de trouver l’amour… ou de trouver quelqu’un.

Home

Home

La démarche est beaucoup plus contraignante. Le mobile est plus décomplexant, parce que ça s’intègre à la vie et au quotidien des gens. Je ne pense pas qu’il y aura un retour vers les sites. Cela dit les gens peuvent utiliser d’autres applications. Il y a des concepts différents, des applications pour tous les goûts.

Vous avez des chiffres sur ces gens qui téléchargent plusieurs applications de rencontre, sur leurs usages ?

Non, nous n’avons pas de chiffres. Mais nous avons les retours d’utilisateurs, on remarque souvent que cela dépend de la « phase de relation » : les gens qui en ont assez de Tinder et veulent quelque chose d’absolument sérieux se tourneront plutôt vers Meetic, par exemple. Il y a un spectre d’applications assez large pour que les gens choisissent ce qui les intéresse.

C’est toujours aussi linéaire, ou vous avez déjà remarqué des usages détournés de Happn ?

Les gens ne l’utilisent pas pour la moquerie. Mais nous avons déjà vu des journalistes qui s’inscrivaient pour chercher des retours d’utilisateurs, en l’indiquant dans leur profil, et même une fois un restaurant qui essayait de faire sa publicité. On modère ce genre de profils publicitaires quand ils sont signalés !

Secret des données

Justement, vous n’envisagez pas du tout une utilisation commerciale de la géolocalisation ?

Nous ne commercialiserons jamais nos données d’usage et de géolocalisation, nous n’allons jamais louer ou vendre de la data. Mais en interne nous développons effectivement une solution B2B. Pour l’instant nous avons un business model qui repose sur les charmes, où les hommes qui veulent envoyer des charmes peuvent en acheter dans l’application, pour 15 centimes en moyenne.

Le modèle B2B permettrait à des marques de s’adresser à notre audience sur Happn, d’une manière très intégrée, en native advertising, qui apporterait à la fois à l’utilisateur et à la marque. Pas de publicité avec des bannières clinquantes et clignotantes partout !

Vous ne trouvez pas que votre modèle économique, qui fonctionne grâce au nombre de charmes envoyés, est contradictoire avec la promesse d’une histoire qui dure ?

On ne promet pas du tout une rencontre pour la vie, on promet de belles rencontres. Tout ce qu’on promet, en fait, c’est la rencontre, ça s’arrête là. Le business est cyclique : à 18, 25, 28, 30 ans maintenant, les gens vont en général avoir plusieurs relations avant de se poser avec quelqu’un sur le long-terme ou très long-terme. Même si les gens quittent Happn parce qu’ils ont trouvé quelqu’un grâce à l’application ou par d’autres voies, ils peuvent très bien revenir deux mois, cinq mois, six mois, un an, un an et demi plus tard.

Nous ne commercialiserons jamais nos données d’usage et de géolocalisation

Puis nous grandissons vite, nous avons beaucoup d’utilisateurs, mais nous n’avons pas encore touché tout le monde, il y a encore de nouvelles personnes qui vont s’inscrire sans avoir jamais été sur Happn avant, ou de nouveaux célibataires qui vont essayer. Il reste du chemin à faire !

Vous avez tout de même une cible particulière. Vous avez lancé un challenge Studyka, j’ai rencontré plusieurs étudiants de Sciences Po ici… c’est une volonté de cibler les étudiants ?

Oui, dans le sens où les étudiants sont dans une tranche d’âge qui nous intéresse. Le challenge Studyka a vraiment été lancé pour animer la sphère étudiante, pour les faire travailler sur notre communication, au lieu de simplement leur signaler que Happn existe et faire de la publicité.

C’est à la fois une manière de se faire connaître et d’impliquer les jeunes. Bien sûr, les 18-25 ans, c’est clairement une cible qu’on travaille, qui nous intéresse et qui est très prescriptrice. Ils vont en parler, que ce soit pour se plaindre ou parce qu’ils ont découvert Happn et qu’ils aiment bien.

Ashley Madison, l'insolent hacké

Ashley Madison, l’insolent hacké

Le leak du site Ashley Madison a révélé qu’ils auraient eu vingt millions de profils masculins pour 1 492 femmes. Comment gérez-vous ces déséquilibres hommes-femmes ?

La grande différence c’est que Happn est beaucoup plus socialement acceptable que Ashley Madison, on ne trouve pas du tout les mêmes comportements dessus. Puis on sait qu’ils ont menti sur leurs chiffres et sur leur business model. Il y avait énormément de robots du côté des femmes, c’était leur manière de monétiser : les hommes venaient et payaient beaucoup, et c’est comme cela qu’ils sont — étaient, plutôt — rentables.

Notre produit est très largement accepté, il a une image très saine, et plaît autant aux hommes qu’aux femmes. Nous avons un peu plus d’hommes, mais cela reste relativement équilibré. En tous cas nous ne faisons jamais de faux profils ou de robots pour générer de l’activité ou fausser les chiffres.

Malgré tout, vous restez sur un modèle où seuls les hommes sont vos clients puisqu’ils sont les seuls à payer les charmes.

Nous avons gardé ce business model depuis le premier jour, et nous nous sommes calés sur ce qui se faisait traditionnellement dans le monde du dating. Nous n’y avons pas plus réfléchi que cela à ce moment-là. Maintenant nous restons sur la même chose par défaut, mais on envisage de changer. C’est une vraie question.

Vers l’Asie

Vous allez prochainement vous lancer sur le marché asiatique : vous y avez déjà repéré des concurrents ?

L’Asie, c’est encore tout jeune pour nous. Nous avons lancé notre service à Hong Kong il y a quelques semaines. Il y a des concurrents, c’est un domaine dans lequel il y a beaucoup de services différents. Pour l’instant nous allons vraiment nous concentrer sur ce qu’on peut apporter, sur nos promesses car ce qu’on fait, nous sommes les seuls à le proposer, les seuls à faire cette promesse, et à avoir une timeline chronologique avec les profils des utilisateurs qui apparaissent en temps réel.

Pour l’instant, nous ne regardons même pas les concurrents, seulement notre produit, s’il fonctionne et comment l’améliorer. Jusqu’à présent, peu importe les continents, ça a bien marché !

Mettez-vous en avant votre spécificité française quand vous allez à l’international ?

On nous le dit souvent mais non, justement, nous ne le mettons pas tellement en avant. Ça ressort dans des conversations avec des journalistes étrangers, mais pour nous ce n’est qu’un heureux hasard. On aime bien le hasard, chez Happn. C’est peut-être le fait d’être Français qui nous a forgé cette image romantique, mais pour nous, ce n’est pas un argument marketing.

C’est peut-être le fait d’être Français qui nous a forgé cette image romantique, mais pour nous, ce n’est pas un argument marketing.

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