Dans le très catholique Padreblog, Laurence Rossignol, ministre des familles, se dit prête à attaquer l’industrie pornographique et en protéger les mineurs. Mais a-t-elle vraiment les moyens techniques et légaux qui peuvent correspondre à son souhait ?

Laurence Rossignol s’exprimait ce lundi dans une confrontation avec un prêtre, sur Padreblog, une plateforme catholique, sur la pornographie. Dans un premier temps, la ministre des familles a lié pornographie et violences faites aux femmes en expliquant que les images créées par les producteurs de porno mettent à mal la dignité des femmes. Elles constituent, selon les mots de la ministre, « une violence faite aux femmes, c’est une autre forme de violence sexuelle [en plus de la prostitution]. »

Laurence Rossignol, contre le porno à tout prix ?

Puis, Mme Rossignol enchaîne sur un sujet épineux qui est celui de l’exposition des enfants aux images pornographiques sur le web. Pour la ministre, les images « violentes » de la pornographie donnent aux enfants « une représentation faussée des rapports homme-femme et de la sexualité. »

Or, comme le souligne l’association Ennocence, très mobilisée sur la question, ce n’est pas seulement une mauvaise image qui est perçue par les enfants exposés trop tôt à la pornographie, mais un traumatisme durable dont les conséquences sont mesurées aujourd’hui par des troubles psychiques importants chez de nombreux enfants.

Mais là où Mme Rossignol semble voir un seul cas de figure, celui de l’enfant regardant de la pornographie, il y en déjà deux à distinguer : le mineur se rendant de son plein gré sur un site pornographique et qui s’expose volontairement à ces images et le mineur qui, en surfant sur des sites peu scrupuleux avec leurs annonceurs, sera exposé malgré lui aux images.

kids-porn-warning.jpg

Or c’est d’abord dans le deuxième cas de figure qu’il existe un traumatisme durable chez l’enfant. Dans le premier cas, il y aurait, dans le pire des cas, la création illusoire d’une sexualité fantasmée chez l’adolescent. La nuance n’est pas mince et constitue pour les parents et les associations deux scénarios peu comparables. Mme Rossignol, de son côté, préfère généraliser.

Car, elle l’avoue rapidement, sa solution est d’interdire à tous les mineurs l’accès aux sites pornographiques. Radicale, l’idée se heurte rapidement à différents problèmes technologiques et politiques, que la ministre énumère rapidement : « liberté d’expression, liberté de création » et bien sûr, sans le dire, Mme Rossignol pense également à la neutralité du net. En citant l’exemple chinois, la ministre semble consentir que la censure n’est pas une solution. Mais il y-a-t-il une solution pour empêcher les mineurs d’accéder à des sites auxquels ils veulent accéder ?

Des solutions dangereuses pour les internautes français

En-dehors du caractère aléatoire du choix de la tranche d’âge — pourquoi les mineurs de 16 ans, disposant de leur maturité sexuelle devraient-ils subir la même règle justifiée pour un enfant de 8 ans ? — l’idée aboutit rapidement à un non-sens.

Mme Rossignol devrait regarder du côté de la Grande Bretagne où les conservateurs ont porté la même idée jusqu’à créer un fichier géant pour s’identifier sur les sites pornographiques. En France, cela pourrait ressembler à un fichier TES (Titres Électroniques Sécurisés) encore plus envahissant, puisqu’il serait lié à l’historique de consultation des sites pornographiques des citoyens. Une API de type France Connect pourrait aussi faire l’affaire, mais pas sûr que l’état souhaite mêler des services comme La Poste ou Ameli à PornHub et autres YouPorn. De même, une intégration de ces services demanderait, selon la situation technique choisie, du travail du côté des sites concernés.

Il faut couper l’accès !

Toutefois, la ministre préfère encore évoquer une autre solution, dans laquelle, chaque internaute souhaitant se rendre sur un site pornographique devrait laisser son numéro de carte bleue sur le site. Un numéro qui serait stocké où ? Comment ? Chiffré ? Anonymisé ? On ne sait pas et Laurence Rossignol non plus. Rien n’empêchera, bien entendu, le mineur de subtiliser la carte de ses parents pour s’inscrire : si aucun prélèvement n’est fait, ce sera ni vu ni connu.

Mais c’est à 3 minutes 25 que la ministre, avant d’être reprise par le prêtre, finit par lâcher, innocemment un « il faut couper l’accès ! ».

Heureusement pour Mme Rossignol, le très bavard curé de Padreblog ne lui laissera pas finir ses aventureuses déclarations sur le web. Notons que malgré son inimitié pour la censure chinoise, la ministre propose donc, pour parfaire son système de vérification de l’âge réel des internautes, la coupure et donc la censure de certains sites pornographiques. 

En réalité, la marge de manœuvre pour créer cette interdiction réelle pour les mineurs est plutôt mince dès lors que l’on souhaite respecter et la loi française et la neutralité du net, la solution britannique étant peu acceptable en l’état. Mais s’il s’agit vraiment d’un problème majeur pour la France, invitons Mme Rossignol à consulter l’idée d’un registre décentralisé et transparent pour les citoyens. Elle pourra peut-être même glisser cette bonne idée à M. Cazeneuve.


Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !