Le Sénat a imposé vendredi au gouvernement un nouvel article du projet de loi numérique, qui ferait obligation à toute plateforme en ligne de déclarer à l’administration fiscale tout revenu obtenu grâce à elle par chacun de ses utilisateurs.

Les vives protestations d’Axelle Lemaire n’y auront rien changé. Vendredi matin, les sénateurs ont refusé de supprimer l’article 23 quater du projet de loi numérique qui avait été ajouté en commission des finances du Sénat, qui obligera toutes les plateformes web à déclarer au fisc l’ensemble des « revenus bruts » perçus par un utilisateur à travers les services qui y sont offerts.

Cela vise par exemple les petites annonces intégrées à Facebook, les chambres louées sur AirBnb, ou les vélos revendus sur Le Bon Coin.

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Le texte, qui devra être confirmé en commission mixte paritaire (CMP), impose que tout « opérateur de plateforme en ligne », qu’il serve ou non d’intermédiaire pour le paiement, devra transmettre annuellement à l’administration fiscale toute une série d’informations sur les activités de chacun de ses utilisateurs « présumés redevables de l’impôt en France » :

  • 1° Pour une personne physique, le nom, le prénom et la date de naissance de l’utilisateur ;
  • 2° Pour une personne morale, la dénomination, l’adresse et le numéro Siren de l’utilisateur ;
  • 3° L’adresse électronique de l’utilisateur ;
  • 4° Le statut de particulier ou de professionnel caractérisant l’utilisateur sur la plateforme ;
  • 5° Le montant total des revenus bruts perçus par l’utilisateur au cours de l’année civile au titre de ses activités sur la plateforme en ligne, ou versés par l’intermédiaire de celle-ci ;
  • 6° La catégorie à laquelle se rattachent les revenus bruts perçus ;
  • 7° Toute autre information définie par décret, à titre facultatif ou obligatoire.

L’obligation est sans exceptions et commence donc dès le premier euro reçu, voire même dès l’inscription sur n’importe quelle plateforme. Il ne précise pas non plus que ces données ne doivent être transmises que si la plateforme en a connaissance, ce qui laisse un flou sur l’éventuelle obligation des plateformes web de collecter toutes les données qu’elles n’ont pas actuellement. Faudra-t-il qu’elles s’assurent de l’identité des utilisateurs pour transmettre les bonnes informations ou fisc, ou que Le Bon Coin, par exemple, se mette à vérifier si un objet mis en vente a bien été vendu au prix annoncé ?

L’amendement vise tout « opérateur de plateforme en ligne », défini comme :

Toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication en ligne reposant sur :

1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service.

C’est pas parce qu’on vend une poussette qu’il faut le déclarer

La secrétaire d’État au numérique Axelle Lemaire a tenté de faire entendre raison au Sénat, qui est aux mains de l’opposition, mais en vain. Les sénateurs sont apparus obsédés par l’idée de tout savoir sur les revenus obtenus par les internautes à travers le Web (peu importe qu’il y ait bénéfice ou non), pour s’assurer qu’ils soient bien déclarés en bonne et due forme à la fin de l’année.

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« L’objectif est louable », a admis Axelle Lemaire, en pointant toutefois du doigt une série de problèmes, en particulier pour la vie privée. « C’est irréaliste et dangereux », a-t-elle lancé, en s’insurgeant contre l’idée que tout ce qui est fait en ligne devrait être connu de l’État. « Ce n’est pas parce que c’est du numérique qu’il faut tout déclarer ! C’est pas parce qu’on vend une poussette qu’il faut le déclarer ».

« Ce que vous proposez est trop complexe, ça ne pourra pas être mis en œuvre », a-t-elle de toute façon prévenu. Les modalités d’application étant laissées à un décret, il est fort probable que même s’il était confirmé en CMP, un tel décret ne verra jamais le jour.

« À l’heure actuelle, il n’y a que deux catégories d’organisations ou d’entités qui ont une obligation de transmission à l’administration : les banques, et les employeurs. Étendre une telle obligation à des plateformes pour tous les secteurs, dans tous les cas de figure, risque de mettre un véritable coup de frein à l’économie collaborative ».


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