L’arrêt Svensson, sur la légalité des liens hypertextes, est beaucoup plus nuancé que ce que sa conclusion laissait penser. La création d’un lien hypertexte menant vers un contenu protégé est légal, mais seulement selon les circonstances.

Ce jeudi matin, nous rapportions que la CJUE avait jugé conforme à la directive de 2001 sur les droits d’auteur la création de liens hypertextes sans l’autorisation de l’auteur du contenu visé, en prévenant qu’il faudrait attendre de connaître le contenu de la décision pour en mesurer la portée. Or la lecture de l’arrêt Svensson, qui a depuis été publié, oblige à modérer fortement l’enthousiasme.

En effet, contrairement à ce que nous avions (trop) anticipé, la CJUE ne dit pas qu’un lien hypertexte n’est pas en lui-même constitutif d’une « mise à disposition » de l’oeuvre. Elle dit même expressément l’inverse, ce qui est une surprise :

Le fait de fournir, sur un site Internet, des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès sur un autre site, offre aux utilisateurs du premier site un accès direct auxdites œuvres. (…)

Or, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, pour qu’il y ait «acte de communication», il suffit, notamment, qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public de sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité (voir, par analogie, arrêt du 7 décembre 2006, SGAE, C?306/05, Rec. p. I?11519, point 43).

Il s’ensuit que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le fait de fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées doit être qualifié de «mise à disposition» et, par conséquent, d’«acte de communication», au sens de ladite disposition.

Si l’on s’en tient à ce raisonnement, il y a donc bien un droit exclusif à autoriser la création d’un lien hypertexte vers son oeuvre, au nom de la « mise à disposition ». En France, ce droit exclusif de mise à disposition n’est pas reconnu à l’auteur, mais à certains titulaires de droits voisins. Par exemple, les producteurs de disques ont un droit exclusif de « mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage« . Même chose pour les producteurs de vidéos et les chaînes de télévision.

La CJUE reconnaît par ailleurs que la création d’un lien hypertexte constitue un acte de communication au public, qui est cette fois un droit exclusif reconnu également à l’auteur. Mais selon la jurisprudence de la CJUE, il ne faut demander l’autorisation que si la communication s’adresse à un public qui n’était pas déjà visé par une communication précédemment autorisée.

Or sur ce point :

En l’occurrence, il doit être constaté que la mise à disposition des œuvres concernées au moyen d’un lien cliquable, telle celle au principal, ne conduit pas à communiquer les œuvres en question à un public nouveau.

En effet, le public ciblé par la communication initiale était l’ensemble des visiteurs potentiels du site concerné, car, sachant que l’accès aux œuvres sur ce site n’était soumis à aucune mesure restrictive, tous les internautes pouvaient donc y avoir accès librement.

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, lorsque l’ensemble des utilisateurs d’un autre site auxquels les œuvres en cause ont été communiquées au moyen d’un lien cliquable pouvaient directement accéder à ces œuvres sur le site sur lequel celles-ci ont été communiquées initialement, sans intervention du gérant de cet autre site, les utilisateurs du site géré par ce dernier doivent être considérés comme des destinataires potentiels de la communication initiale et donc comme faisant partie du public pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale.

Dès lors, faute de public nouveau, l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas à une communication au public telle que celle au principal.

C’est uniquement « dans l’hypothèse où un lien cliquable permet aux utilisateurs du site sur lequel ce lien se trouve de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée afin d’en restreindre l’accès par le public à ses seuls abonnés et, ainsi, constitue une intervention sans laquelle lesdits utilisateurs ne pourraient pas bénéficier des œuvres diffusées, (qu’il) y a lieu de considérer l’ensemble de ces utilisateurs comme un public nouveau, qui n’a pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de sorte que l’autorisation des titulaires s’impose à une telle communication au public« .

En résumé et sauf erreur d’interprétation de notre part :

  • L’autorisation des producteurs de musique, films, séries TV, émissions TV et autres contenus diffusés par les chaînes de télévision est théoriquement requise pour tout lien menant à leurs contenus, s’il y a « vente, échange ou louage » du lien. Ce pourrait être le cas d’un lien présent sur un site payant.
  • Mais l’autorisation de l’auteur n’est requise que dans le cas où le lien hypertexte permet de communiquer à des internautes un contenu auxquels, sinon, ils n’auraient pas pu accéder librement.

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