Un rapport commandé par l’Hadopi pour évaluer les modèles économiques du piratage conclut que les plus gros sites de streaming et de téléchargement direct en France gagneraient jusqu’à 36 millions d’euros par an, pour un marché global du piratage (hors P2P) évalué entre 51 et 72,5 millions d’euros. Des chiffres qui paraissent largement surévalués lorsqu’on les compare à ce qu’a gagné MegaUpload, l’ancien leader du marché.

La Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des Droits sur Internet (Hadopi) a publié lundi un long rapport commandé à l’IDATE, riche de 136 pages, à propos du « modèle économique de sites ou services de streaming et de téléchargement illégal de contenus illicites« . Le rapport (.pdf) vise à déterminer le volume des flux financiers du piratage, pour donner de la légitimité à la politique voulue par l’Hadopi. Comme nous l’avions indiqué en fin d’année dernière, l’autorité administrative qui rejette le filtrage ou le blocage des sites sur internet est en effet favorable à une coupure des flux financiers qui permettent aux sites pirates d’exister.

Dans son rapport, l’IDATE conclut que « au final, le marché total de la consommation de services et sites de contenus en streaming et téléchargement direct (hors P2P), dans le périmètre de l’étude, sur un an glissant de contenus vidéos et musiques est donc de l’ordre de 51 à 72,5 million EUR en France« . L’essentiel du marché serait constitué par les sites de streaming, qui généreraient entre 40,9 et 58,5 millions d’euros en France. Les sites de téléchargement direct gagneraient entre 11,7 et 18,36 millions d’euros, tandis que les sites de liens qui référencent les contenus piratés rapporteraient 6,2 à 7,33 millions d’euros.

Aussi selon l’IDATE, « les plus gros sites de streaming [illégaux] pouvaient générer près de 2 à 3 millions d’euros par mois en France« , soit au minimum 24 millions d’euros par an, contre « 1 à 2 millions d’euros par mois par mois pour un gros site de téléchargement direct« , soit au minimum 12 millions d’euros par an.

Des sommes hallucinantes qui justifient de s’attaquer durement au piratage à vocation commerciale.

Sauf que.

D’elle-même, l’IDATE note dans le cours de son étude que « les utilisateurs français représentent environ 10 % des utilisateurs totaux de MegaVideo-MegaUpload dans le monde« . Or le dossier d’accusation contre MegaUpload dit très officiellement que l’empire Mega n’a empoché « que » 175 millions de dollars de recettes entre septembre 2005 et fin 2011, pour toutes ses activités sur l’ensemble du globe, en allant de MegaUpload à MegaVideo en passant par MegaPorn et quelques autres services.

Si la France comptait pour 10 % des utilisateurs de Mega, les internautes français ont donc généré autour de 17,5 millions de dollars de recette en cinq ans. Il paraît dès lors très (très !) exagéré d’affirmer que les plus gros sites de sites de streaming en France génèrent au minimum 24 millions d’euros par an.

Lorsque que l’on voit que l’IDATE se base pour son étude sur des chiffres fournis par Alexa, à la fiabilité douteuse, ou que le cabinet extrapole à l’ensemble du marché les données (non vérifiées) d’un seul acteur, on comprend que l’étude est totalement bidon dans ses conclusions. « La méthodologie et les analyses retenues ainsi que et les résultats obtenus sont de la seule responsabilité de l’IDATE et n’engagent pas la Haute Autorité« , prévient d’ailleurs le document.

Mais qu’importe la réalité des chiffres pour l’Hadopi, qui croit que s’attaquer aux liens financiers du piratage va suffire à le combattre. Comme l’avaient cru ceux qui ont abattu en leurs temps les éditeurs commerciaux de Napster et Kazaa, et qui n’ont fait que donner naissance aux projets open-source eMule ou BitTorrent.

L’histoire de la lutte contre le piratage n’est qu’une éternelle répétition des mêmes erreurs : celle de ne pas voir que la solution est dans la construction de l’offre et non dans la pénalisation de la demande.


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