A l’heure où la presse écrite traditionnelle peine à trouver un modèle économique pour faire vivre ses rédactions, le journal Libération a présenté aux grands quotidiens nationaux un projet de licence commune, par laquelle une taxe payée par les internautes aux FAI serait répartie entre les sites d’information, selon leur trafic. Mise à jour : pour comprendre en quoi ce projet n’a rien d’une licence globale pour la presse, lisez nos explications complémentaires.

C’est le magazine Challenges qui a révélé l’information. Le journal Libération, propriété d’Edouard de Rothschild, veut rassember les éditeurs de presse et de sites Internet pour répartir entre eux une taxe prélevée sur le chiffre d’affaires des fournisseurs d’accès à Internet. L’idée serait d’ « ajouter aux factures de leurs abonnés au Web une somme forfaitaire de quelques euros : le coût de l’information gratuite« .

« Il s’agit de rectifier les flux d’argent actuels au profit des rédactions, qui sont les auxiliaires du bon fonctionnement de la démocratie« , a expliqué au magazine le directeur de la rédaction de Libération, Laurent Joffrin. Il faudrait alors répartir la somme ainsi prélevée en fonction de la fréquentation du site et de la taille des rédactions. Ce qui risque de favoriser les plus gros, dans ce qui deviendra rapidement un cercle vicieux.

Interrogée par l’AFP, la co-gérante de Libération Nathalie Collin a confirmé les informations de Challenges. Elle a même présenté le projet au Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) le 2 juin dernier. Celui-ci rassemble les plus grands journaux quotidiens français : Le Monde, le Figaro, Libération, L’Equipe, France Soir, La Croix, Les Echos, L’Humanité, Le Journal du Dimanche, La Tribune…

Si taxe il y avait, elle serait ainsi trustée par les gros groupes de presse, qui n’arrivent pas à adapter leur modèle économique et leurs paquebots à l’ère du numérique et des petits navires. « Il y a un intérêt commun des internautes, des éditeurs de presse, mais je pense aussi des fournisseurs d’accès à ce qu’on arrive à trouver un financement » pour les sites informations « qui s’appuient sur des rédactions papiers qui elles même s’appuient sur un vecteur qui perd du chiffre d’affaires d’année en année« , a ainsi estimé Mme Collin.

Le fruit de cette éventuelle taxe n’irait donc pas aux sites Internet qui n’ont pas historiquement de support papier. Ca ne serait pas la première fois que les « pure players » de la presse en ligne seraient ainsi mis de côté. Nous avons déjà eu l’occasion, sur Numerama, de dénoncer le fonctionnement du fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne, distribué sous la tutelle de Matignon et du ministère de la Culture, qui donne aux poids lourds de la presse écrite un avantage concurrentiel pour s’installer sur Internet, où les nouveaux acteurs de la presse n’ont bénéficié d’aucune aide.

Bien que ce fonds soit en principe réservé aux sites qui font de l’ « information politique et générale », il a permis à certains journaux (dont Libération) de monter des sites Internet qui n’ont rien à voir avec l’information politique et générale. S’ils bénéficiaient en plus d’une taxe sur les FAI, à l’instar de France Television et des producteurs de cinéma, la distorsion de concurrence serait encore plus écrasante pour les sites Internet qui ne bénéficient pas de ces aides.

Enfin, sur le fond. A l’heure où des débats de société très importants se nouent sur le filtrage, la neutralité du net, la dangerosité ou non des ondes de téléphonie mobile, l’absence de concurrence entre les opérateurs, le Paquet Télécom…. quelle serait l’indépendance des journaux qui seraient amenés à mordre la main de ceux qui, même indirectement, les nourissent ?

Si la répartition se fait en fonction du trafic généré par chaque quotidien, la tentation ne sera-t-elle pas trop grande (elle l’est déjà) de mettre l’accent sur les articles qui font le plus d’audience, qui sont les plus racoleurs, plutôt que sur les articles pointus, de fond, qui font avancer le débat dans la société mais auprès d’un lectorat plus réduit ?

Et puis surtout, la véritable question : quelle preuve a été faite que les rédactions de la presse écrite traditionnelle sont « les auxiliaires du bon fonctionnement de la démocratie » ?

Faut-il être culotté et imbu de sa profession pour oser écrire que les blogs, les internautes, la société civile dans son ensemble, à l’heure où tous ses membres sont connectés et peuvent communiquer ensemble, ne sont pas les premiers auxiliaires du bon fonctionnement de la démocratie. C’est particulièrement culotté lorsque la presse écrite, depuis trop longtemps, comme le dit Guy Bedos, donne l’impression d’avoir été formée « à l’école hôtelière ». Elle se contente le plus souvent de passer les plats aux femmes et hommes politiques qu’ils invitent, ici pour une interview, là pour une tribune, là pour un bon mot, et de zapper d’un sujet à l’autre sans jamais s’attarder sur les problématiques qui doivent faire débat.

L’avenir de la presse écrite n’est pas une question de modèle économique, c’est une question d’ambition, de talent, et d’honnêteté.

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