Les députés UMP ont adopté jeudi lors du vote des crédits « médias » un amendement du député Patrice Martin-Lalande qui revient à retirer 20 millions d’euros d’aide de l’Etat à la presse écrite pour les attribuer au secteur de l’internet et des innovations technologiques. Mais cet amendement qui permet de dénoncer une situation ubuesque de distorsion de concurrence entre la presse papier et la presse numérique n’aurait pas dû être voté. Dès la sortie de l’hémicycle, la majorité a assuré qu’elle allait rectifier « l’erreur », qui était pourtant salutaire.

Très peu de monde le sait. Tout se fait dans une incroyable opacité. En 2008, l’Etat a prévu de distribuer 282 millions d’euros de subventions directes aux journaux et aux magazines français (hors aides indirectes telles que les tarifs postaux préférentiels ou la TVA réduite), dont 20,5 millions d’euros au titre de « l’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale« . Concrètement, c’est une aide qui est reversée sur dossier, dans le secret des délibérations de la Direction du Développement des Médias (DDM), sous la tutelle de Matignon et du ministère de la Culture et de la Communication. Comme le rapportait Arrêt sur Images dans une émission récente (réservé aux abonnés), il se murmure que Le Monde aurait reçu environ 1 million d’euros pour développer son site web, et Libération 400.000 euros. Comme ça, cadeau. Offert par le contribuable.

Bien d’autres journaux de presse traditionnelle en ont profité, sans que quiconque ne sache qui a reçu combien et selon quels critères. Ni Matignon ni le ministère de la Culture n’acceptent de rendre publiques les délibérations.

A l’origine, ces fonds devaient servir à aider les entreprises de presse à suivre le mouvement technologique pour s’équiper en ordinateurs, logiciels d’édition ou autre matériel d’imprimerie nécessaire à la publication sur le papier. Tous les journaux, peu nombreux sur le marché, étaient logés peu ou prou à la même enseigne. Mais aujourd’hui, le fonds est octroyé pour financer la création des sites internet des grands journaux, noyés parmi quantité de nouveaux acteurs qui ne bénéficient d’aucune aide similaire. Ces journaux en profitent pour embaucher des équipes de journalistes, d’infographistes et de techniciens qui leur permettent de créer rapidement une audience et un référencement qui captera les revenus publicitaires, alors que des « pure player » de la presse numérique comme comme Rue89, Agoravox ou MediaPart doivent s’autofinancer et ne bénéficient d’aucune aide directe ou indirecte similaire.

Une concurrence déloyale alimentée par l’Etat

Certains journaux qui devaient bénéficier de ces aides pour porter leurs journaux « d’information politique et générale » sur Internet profitent en réalité des sommes reçues pour créer de toutes pièces de nouveaux sites internet spécialisés, les uns sur les loisirs numériques, les autres sur l’automobile, la santé ou le journalisme citoyen. C’est un cas manifeste de distorsion de concurrence créée par l’Etat, par lequel l’administration favorise certains acteurs au détriment des autres, dans un même marché ouvert.

C’est en partie pour répondre à ce problème de la distorsion de concurrence qu’il a été proposé dans un amendement de Patrice Martin-Lalande (UMP) de supprimer cette aide qui ne bénéficie qu’à un tout petit nombre d’acteurs, déjà puissants, dans un marché où le nombre d’acteurs est désormais virtuellement illimité. A la surprise générale, l’amendement « coup de gueule » a été adopté par la majorité parlementaire. Une bourde pour des députés qui ont tout intérêt à ne pas se mettre la presse traditionnelle et les journalistes à dos.

« C’est une erreur dans le déroulement de la séance, elle sera corrigée lors d’une nouvelle délibération« , s’est empressé de rassurer M. Martin-Lalande auprès de l’AFP dans les couloirs de l’Assemblée Nationale. Il assure que l’amendement devait juste « poser la question de l’utilisation de ces crédits« , pour provoquer un débat qu’il pensait et voulait perdu d’avance. Raté. Les Communistes ont dénoncé « un nouveau coup porté au pluralisme » de la presse et exigé le retrait immédiat de l’amendement, tandis que les socialistes ont demandé que « si erreur il y a, elle soit rectifiée au plus vite« . Une belle unanimité.

Le vote de l’amendement intervient dans le contexte particulièrement délicat, tout aussi opaque, des Etats Généraux de la Presse Ecrite lancés par Nicolas Sarkozy. Ils visent à remettre à plat notamment le financement de la presse en France, sans toucher cependant au principe du subventionnement par l’Etat. L’une des propositions phares attendues de ces Etats généraux devrait être la création d’un « label de qualité » pour la presse certifiée par l’Etat, un projet évoqué en son temps par Renaud Donnedieu de Vabres.


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