Le réseau social a supprimé les comptes de chercheurs, qui étudiaient la façon dont les publicités politiques étaient partagées sur Facebook. La décision a été fortement critiquée, et les chercheurs estiment que la plateforme les empêche de faire leur travail.

Le 3 août, Facebook publiait un communiqué de presse, intitulé « La recherche ne peut pas être une excuse pour mettre en danger la vie privée ». Dans ce communiqué, le réseau social explique avoir révoqué les accès à sa plateforme à plusieurs chercheurs de la prestigieuse Université de New York. « Pendant des mois, nous avons essayé de travailler avec les chercheurs pour leur fournir les données dont ils avaient besoin. […] Mais aujourd’hui, nous avons bloqué leurs accès, après avoir tenté en vain de leur faire respecter nos termes et conditions d’utilisation », peut-on lire. « Le projet Ad Observatory de l’Université de New York étudiait les publicités politiques, et utilisait des moyens non autorisés pour avoir accès aux données de Facebook. Nous avons pris la décision de stopper leur projet afin de préserver la vie privée des personnes […] ».

Le communiqué de presse n’est pas passé inaperçu. Les questions de vie privée sont prises très au sérieux par les pouvoirs publics et par les utilisateurs, particulièrement depuis les tentatives d’ingérence russes dans la campagne présidentielle américaine de 2016. Mais pourtant, contrairement à ce que le communiqué et Facebook ont pu laisser penser, les chercheurs ne collectaient pas des données privées d’utilisateurs non consentants.

Que s’est-il passé ?

Le projet Ad Observatory, dont les chercheurs mentionnés dans le communiqué de presse de Facebook font partie, a pour but d’analyser les publicités politiques qui apparaissent sur le réseau social. En plus de comprendre qui elles visaient, les chercheurs voulaient également savoir qui payaient pour leur diffusion. Leur but, comme ils l’expliquaient dans un post de blog, était de trouver sur quels critères les personnes visées par ces pubs étaient choisies. Une vaste mission, pour laquelle les chercheurs ont dû mettre au point plusieurs outils.

En effet, aucun des instruments mis au point par Facebook ne permettait de faire de telles analyses. L’outil Ad Library, qui recense les publicités de la plateforme, offre une certaine quantité d’informations sur les entreprises qui paient pour les publicités — mais impossible de savoir comment les personnes qui verront ces publicités sont sélectionnées.

Ad Observer, l’outil créé spécialement par les chercheurs pour analyser les publicités, était capable de fournir toutes ces informations. Mais, comme le précise son site Internet, il devait être installé en tant qu’add-on,  avec le consentement express des utilisateurs de Facebook. À partir de ce moment-là, il était capable de recueillir les données manquantes, telles que la liste des pages likées ou les centres d’intérêt. Cependant, selon les chercheurs, Ad Observer ne collectait ni les noms des personnes, ni leur Facebook ID. Aucune information qui aurait permis de pouvoir les identifier sur Facebook donc, contrairement à ce que le réseau social a déclaré ce 3 août.

Une vingtaine de personnes bloquées

Les données obtenues avec Ad Observer ont été rendues publiques, et ont d’ailleurs permis à des journalistes et à d’autres chercheurs d’enquêter sur des problématiques diverses. Surtout, elles ont permis de mettre en avant certains problèmes de Facebook, comme le fait que les publicités politiques n’étaient pas toujours bien labellisées comme telles, contrairement à ce qui avait été promis; ou encore que les fake news et les articles politiques d’extrême droite ont reçu bien plus de traction sur Facebook que les autres.

Des articles à charge contre Facebook, ce qui rend la nouvelle de la suppression des comptes des chercheurs d’autant plus inquiétante. Laura Edelson, l’une des chercheuses impliquées dans le projet Ad Observatory, estime que la suppression de leurs comptes équivaut à « la fin de tout notre travail. Facebook a également révoqué l’accès à plus d’une vingtaine de personnes, des journalistes et des chercheurs, qui recevaient des données de Facebook grâce à notre projet », regrette-t-elle.« Facebook veut nous faire taire », a-t-elle également déclaré à Bloomberg News, « parce que notre travail montre tous leurs problèmes ».

Des arguments fallacieux

Si les réactions sont aussi véhémentes, c’est aussi et surtout parce que les explications de Facebook sont fallacieuses. Le communiqué de presse mettait en avant le fait que les chercheurs ne respectaient pas les conditions d’utilisations de Facebook, et que la plateforme avait essayé, pendant des mois, de trouver une solution. Le réseau social expliquait également que les chercheurs avaient utilisé les données privées d’utilisateurs de Facebook sans leur consentement. Facebook oublie cependant de préciser que ces utilisateurs ne sont pas des personnes, mais les pages publiques qui ont payé pour les publicités.

Les informations de ces pages publiques étaient en accès libres, et Ad Observer les a observées et collectées. Et les seules informations provenant de personnes et d’utilisateurs lambdas de la plateforme ont été obtenues avec leur consentement, comme l’expliquait déjà Laura Edelson il y a quelques mois.

L’hypocrisie de la décision de Facebook a été largement critiquée sur les réseaux sociaux par les chercheurs et les journalistes. « Facebook choisit de couper l’accès à des chercheurs plutôt qu’aux data brokers de Bridgetree », a notamment relevé David Carroll, un spécialiste des médias américains.

La nouvelle a même été commentée par des politiques américains : Amy Klobuchar, la sénatrice démocrate du Minnesota, a déclaré qu’elle trouvait la décision de Facebook « très inquiétante ». Le chef de la sécurité du navigateur Mozilla, Marshall Erwin, s’est également fendu d’un post de blog pour expliquer que les arguments de Facebook étaient fallacieux. «  Facebook affirme que cette décision a été prise pour protéger la vie privée des utilisateurs, mais selon nous, cet argument ne tient pas la route ». Pour l’instant, Facebook n’a pas fait plus de commentaire sur sa décision, et ne semble pas prêt à revenir dessus.

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