Des sites comme Allociné ou JeuxVideo.com demandent depuis peu aux internautes de choisir entre un paiement mensuel ou des cookies publicitaires pour accéder à leurs contenus. De quoi s’agit-il ? Et surtout, est-ce légal ? Ce n’est pas si simple.

Est-ce légal de demander aux internautes de payer une petite somme chaque mois, par exemple deux euros, pour ne pas avoir de cookies publicitaires ? C’est en quelque sorte la question qui est en train d’émerger, notamment sur les réseaux sociaux. En effet, des internautes ont été interloqués de voir qu’en se rendant sur des sites, il peut leur être demandé de payer pour échapper à la publicité ciblée.

L’exemple le plus significatif a été partagé par le journaliste Alexandre Laurent, au sujet du site jeuxvideo.com. On y lit deux choix possibles : « accéder au site pour 2€ TTC pendant 1 mois sans cookie publicitaire » ou « accéder au site gratuitement en acceptant les cookies publicitaires ». Impossible, en théorie, de visiter le site sans faire l’un des deux choix. Aucun refus ne semble possible. En tout cas, aucun n’est proposé.

Cette politique mise en place sur jeuxvideo.com s’étend en fait sur d’autres propriétés de Webedia. On retrouve le même panneau en surimpression au moment de la visite d’un site comme Allociné, Ozap, PurePeople, ou encore TerraFemina. Certaines filiales ne sont pas (encore ?) concernées et les montants demandés peuvent varier : dans le cas d’Ozap et TerraFemina, il est question d’un seul euro mensuel.

Bien entendu, pour qui maîtrise un peu l’outil informatique, il est possible de contourner cet écran. Si on bloque les cookies au niveau de son navigateur web et que l’on fait mine de les accepter sur le site, on peut accéder à son contenu. Des extensions permettent aussi de neutraliser certains scripts, pour cacher cet écran. Cela peut toutefois entraîner ensuite des difficultés au niveau de la navigation.

Le cas de jeuxvideo.com n’est pas isolé : ce type d’affichage existe aussi sur Le Monde. Le journaliste Alexandre Léchenet souligne également qu’un tel encart apparaît au moment de la visite du journal. l’internaute doit alors faire un choix semblable : s’abonner (9,99 euros par mois) ou accepter les cookies publicitaires. Dans ce cas, l’accès au site est gratuit — ou du moins il est monnayé autrement.

Bienvenue dans un monde de « cookie walls »

Ces écrans qui imposent deux choix à l’internaute, et pas toujours ceux qu’il souhaite, sont appelés des « cookie walls » (ou murs de traceurs). Ils s’interposent littéralement entre le site et son visiteur en lui demandant de choisir, ou de partir. Or, la question de la licéité de la pratique des cookie walls est discutée. On le voit notamment dans certaines discussions sur les réseaux sociaux, en réaction aux captures.

D’aucuns évoquent ainsi un « chantage aux données personnelles », d’autres se demandent si c’est bien d’équerre avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et, plus spécifiquement, la liberté du consentement. En particulier, l’internaute ne doit pas subir de préjudice s’il donne ou retire son consentement. Or, on pourrait arguer qu’il y a un préjudice, celui-ci de ne pas pouvoir accéder à l’article.

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« Accepter les cookies ? ». Tout dépend lesquels… // Source : Yann Cœuru

Cette incertitude est évoquée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dans une foire aux questions datée du 18 mars. « La mise en œuvre d’un cookie wall est susceptible, dans certains cas et sous certaines conditions, de porter atteinte à la liberté du consentement ». Or, la difficulté tient au fait qu’il est impossible, en l’état actuel des choses, de donner une appréciation générale.

Ces cookies walls ont fleuri ces jours-ci, car les acteurs de la publicité et les sites avaient jusqu’au 31 mars 2021 pour se caler aux préconisations de la CNIL en matière de cookies et outils de traçage. Si ce n’est pas le cas, des contrôles, qui doivent débuter en avril, pourront déboucher sur de possibles sanctions. Selon le Journal du Net, qui a passé en revue les 50 principaux sites, l’usage du cookie wall est encore très minoritaire.

Le site mentionne d’ailleurs le cas du site L’Équipe, qui semble évaluer différentes options, dont le cookie wall. Il revient également sur les cas de Prisma Media et Webedia, assortis de commentaires — en particulier, il est signalé que, dans le cas de Webedia, même si l’on paie les deux euros demandés, par exemple pour Allociné, des affichages publicitaires sont quand même prévus, mais non ciblés.

D’où viennent ces « cookie walls » ?

Initialement, la CNIL était hostile à ces cookies walls. À ses yeux, « l’internaute ne devait pas subir d’inconvénients majeurs en cas d’absence ou de retrait du consentement. La CNIL estimait en particulier que l’accès à un site internet ne pouvait jamais être subordonné à l’acceptation des cookies ». Cette interdiction figurait dans ses lignes directrices sur les cookies et aux traceurs, de juillet 2019.

Mais un an plus tard, en juin 2020, le Conseil d’État a limité le caractère général et absolu d’une interdiction des cookies walls : pour la plus haute instance de l’ordre administratif français, « la CNIL ne peut légalement interdire dans ses lignes directrices les cookie walls ». L’instance a considéré que « la CNIL a excédé ce qu’elle pouvait légalement faire » en la matière.

Contactée à ce sujet, la CNIL nous a fait savoir qu’elle reviendrait prochainement vers nous.

De fait, la CNIL est contrainte de tenir compte de cette réalité. Elle a déclaré s’y conformer strictement. C’est pour cette raison que, dans sa FAQ, elle dit que « la licéité du recours à un cookie wall doit être appréciée au cas par cas ». La CNIL invite en particulier les sites à dire sans détour les conséquences possibles, comme « l’impossibilité d’accéder au contenu ou au service en l’absence de consentement ».

« La licéité du recours à un cookie wall doit être appréciée au cas par cas »

Des vérifications, d’ailleurs, pourraient avoir lieu. Selon un courrier daté du 26 mars de la CNIL au Geste, le lobby des éditeurs de contenus et services en ligne, que Contexte publie, l’autorité de contrôle déclare qu’elle « appliquera les textes en vigueur, tels qu’éclairés par la jurisprudence, pour déterminer au cas par cas si un mur de traceurs est licite ou non.»

« Elle sera dans ce cadre très attentive à l’existence d’alternatives réelles et suffisantes, notamment fournies par le même éditeur, lorsque le refus des traceurs non nécessaires bloque l’accès au service proposé. Elle appréciera, au cas par cas, le caractère libre du consentement des personnes concernées », ajoute-t-elle. En mars, la CNIL a annoncé faire du respect des règles applicables une priorité en 2021.

Il n’en demeure pas moins qu’il existe une sorte de période de flottement, dont les sites profitent sans doute également. En effet, il est à noter que la décision rendue par le Conseil d’État l’a été « sans se prononcer sur le fond de la question ». Le sujet n’apparait donc pas totalement réglé. C’est ce que montre d’ailleurs un autre élément de la lettre de la CNIL au Geste, qui évoque la question européenne.

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Source : Claire Braikeh pour Numerama

La missive fait mention d’une alternative au cookie walls que l’éditeur devrait fournir. Cette piste figure dans des documents de travail sur un futur règlement, ePrivacy. Le Comité européen de protection des données personnelles (CEPD) s’est dit en faveur d’une interdiction explicite des cookie walls dans le règlement ePrivacy. La CNIL est membre du CEPD et a fait logiquement sienne cette orientation.

Or, écrit la CNIL, qui dit attendre une « clarification pérenne », « le CEPD considère que la règlementation devrait prévoir que les utilisateurs doivent se voir proposer une alternative équitable » au cookie wall. Elle ajoute que cette piste figurait toujours dans les derniers travaux du règlement ePrivacy sous l’égide de la présidence portugaise du Conseil de l’UE, qui a pris ses fonctions début 2021.

Sans surprise, l’accueil des internautes à l’égard de ces murs de traceurs est froid, pour ne pas dire glacial. Si les publicitaires cherchent légitimement à toucher une audience et les sites à valoriser leurs contenus, et ainsi de payer les salaires de leur personnel, une crispation du public est à craindre. Suffisante, peut-être, pour pousser plus d’internautes à bloquer les cookies.

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