« Parler est un réseau social impartial, centré sur la liberté d’expression et la protection des droits de ses utilisateurs », peut-on lire sur la description officielle de l’application. « Lisez l’actualité, parlez librement », vante le site officiel, qui permet d’accéder à la version pour ordinateur de ce « Twitter » alternatif, prisé des conservateurs américains. Ils ont été une dizaine de personnalités publiques, depuis la mi-juin 2020, à utiliser Twitter pour faire la promotion de Parler et inviter leurs abonnés à les suivre.
Le 22 juillet 2020, l’ancienne députée du Front national, Marion Maréchal-Le Pen, a annoncé elle aussi qu’elle s’y était créé un compte officiel, pour « contourner la censure de Twitter ».
Pourtant derrière la notion de « liberté d’expression » se cache en fait une tolérance assumée de la plateforme pour les propos racistes, antisémites et xénophobes. Numerama a pu constater que de nombreuses publications de membres de Parler contenaient des propos qui sont punis par la loi américaine, notamment d’incitation à la haine raciale.
Des personnalités d’extrême droite mises en avant
Il suffit de quelques clics pour se créer un compte sur le réseau social américain, qui ne demande pas de preuve de votre identité réelle, mais oblige toutefois l’utilisation d’un numéro de téléphone valide, avec une authentification à double facteur par défaut.
Lorsque l’on s’inscrit, les comptes que le réseau social nous propose de suivre sont tous des personnalités politiques de droite ou d’extrême droite : beaucoup de membres de l’entourage de Donald Trump y sont présents, certains arborant des badges « certifiés », comme son fils Eric ou un compte appelé TeamTrump. Ces suggestions ne sont pas le fruit d’un algorithme, ce sont des comptes épinglés volontairement par l’équipe de Parler ; même lorsque l’on choisit de les suivre, elles ne sont pas remplacées par d’autres suggestions, et restent affichées à droite de l’interface sur ordinateur.
En plus de ces comptes politiques, on trouve des médias d’extrême droite comme Breitbart News (432 000 abonnés) ou Zero Hedge, un site d’analyse financière adepte du partage de théories du complot (qui est désigné comme « média partenaire » de Parler), et des polémistes comme Laura Loomer, une militante de l’alt-right américaine qui a été bannie de Twitter en 2018 (elle avait 200 000 followers sur Twitter, elle en a désormais 384 000 sur Parler). Puis beaucoup, beaucoup de comptes d’anonymes.
Incitation à la haine, racisme, antisémitisme
En à peine une heure passée sur la plateforme, Numerama a pu observer un nombre impressionnant de commentaires antisémites, racistes, publiés sur le mode de la « parole décomplexée ». Le hashtag #WhiteGenocide est par exemple utilisé pour s’inquiéter du Grand Remplacement (une théorie complotiste de l’extrême droite qui assure qu’il existerait un système délibéré visant à remplacer la population blanche, notamment européenne, par des personnes racisées ou originaires de pays d’Afrique) et d’autres conspirations sur l’oppression fantasmée des populations blanches.
La communauté juive est également ciblée par de nombreux mèmes antisémites : un utilisateur affirme que les juifs seraient « derrière les fake news » et publie un trombinoscope de journalistes américains affublés d’une étoile bleue. « Les juifs sont malhonnêtes », affirme un autre. « Voici des preuves que ‘l’holocauste’ n’était qu’un immense hoax (arnaque, ndlr) », enchaîne un troisième en ajoutant un lien vers un site en français négationniste. Un dernier partage tout simplement un montage vidéo de soldats nazis commandés par Hitler avec un message : « Il est temps de répliquer », en ajoutant les mots-dièses #juifs et #blacklivesmatter, véritable appel à la violence et la haine.
Comme sur tous les réseaux sociaux, il est possible de signaler les messages : Parler propose plusieurs critères à sélectionner, mais prévient aussi que si les contenus n’enfreignent pas les règles de la communauté, « vous pouvez cacher ou bloquer le créateur du contenu ». Dans ses règles, on peut pourtant lire comme « conseil » : « N’utilisez pas de langage ou de visuel qui suggèrent que des gens devraient mourir », qui ne sont, de toute évidence, pas respectées.
Les personnes LGBT+ sont beaucoup moins ciblées — la majeure partie des discussions tournant autour des questions raciales et de religion — mais certains messages, toujours en ligne au moment où nous écrivons ces lignes, dénoncent quand même la « suprématie homosexuelle » des personnes LGBT+ qui « ruine[raient] la société ».
Donner un pourboire aux « influenceurs » de Parler
Parler n’est pas qu’un réseau social de discussion ; il existe une fonctionnalité qui permet de soutenir financièrement un utilisateur ou une utilisatrice considérée comme « influenceur » en lui versant de la monnaie virtuelle (représentée par le sigle P), que l’on se procure en dépensant de l’argent réel en rentrant ses coordonnées bancaires dans l’app.
À la différence de Twitter, les publications sur Parler ne sont pas publiques : si vous n’avez pas de compte, vous ne pouvez pas les voir — ou intégrer les messages ailleurs sur le web.
L’application « d’actualité » la plus téléchargée aux US
Alors qu’elle existe depuis mi-2018, Parler connaît un succès fulgurant depuis cet été 2020. Elle est arrivée au sommet des applications les plus téléchargées des catégories « actualité » des App Store (iOS) et Google Play Store (Android) aux États-Unis le 25 juin. Sur la plateforme AppAnnie, qui agrège les données relatives aux applications, on observe même que l’app est petit à petit en train de se hisser dans le top 50 des apps les plus téléchargées, tout court, outre Atlantique.
D’après Business Insider, Parler aurait déjà été téléchargée 1 million de fois, avec un pic record de 40 000 installations sur la journée du 24 juin, et 100 000 en une semaine. Sur la plateforme, on peut voir que certaines personnalités sont suivies par plus de 400 000 personnes.
John Matze, le fondateur et CEO de Parler, s’est vanté de cette performance sur son réseau social le 26 juin 2020, assurant qu’il s’agissait d’une « victoire de la communauté de la liberté d’expression contre les tyrans de la tech », visant clairement Facebook et Twitter. « Nous, le peuple, ne voulons pas qu’on nous dise quoi penser, nous ne voulons pas être manipulés, et nous voulons que nos données soient privées. Nous rejetons le technofascisme et ceux qui pensent qu’ils sont les seuls arbitres de la vérité. Nous rejetons leurs éditorialistes subjectifs, leurs fact-chekeurs et la censure. »
Alors que Facebook et Twitter commencent à durcir leurs conditions de modération, Parler fait office de refuge pour des internautes qui se disent « censurés ». Donald Trump a récemment vu plusieurs de ses tweets être signalés officiellement comme douteux par Twitter ; s’ils n’ont pas été supprimés et peuvent toujours être lus, ils sont désormais masqués. Le président des États-Unis, adepte des théories du complot et du partage d’informations volontaires mensongères, a pris cette modération comme un affront. Pour l’instant, il n’a pas encore de compte personnel officiel sur Parler.
Cet article a été publié initialement le 26 juin 2020 et mis à jour le 23 juillet 2020.
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