Cinq ans après les premières puces gravées en 5 nm (par TSMC et Samsung), le fondeur SMIC annonce être lui aussi capable de descendre à ce niveau de gravure. Un exploit politique et technologique, mais qui cache plusieurs concessions majeures.

Alors que l’administration américaine multiplie les sanctions pour ralentir l’industrie technologique chinoise, le fondeur national SMIC vient de franchir une ligne que beaucoup pensaient infranchissable sans aide occidentale : la gravure en 5 nanomètres. Nos confrères de Hardware & Co racontent que la future Kirin 9030 Pro de Huawei pourrait être la première puce gravée en 5 nm DUV par un fondeur chinois.

Sur le papier, l’exploit est impressionnant. Il y a encore trois ans, les experts s’accordaient sur le fait que la Chine resterait bloquée au 14 nm. Elle a finalement réussi à atteindre le 7 nm au moment de la sortie du Huawei Mate 60 Pro, avec plusieurs concessions. La résilience de Beijing a été sous-estimée : la Chine veut devenir un géant des puces, malgré un accès très difficile, pour ne pas dire impossible, à certaines machines.

Avec la Kirin 9030 Pro, la Chine envoie un nouveau message fort au reste du monde, tout en bloquant toujours sur de nombreux aspects. TSMC et Samsung n’ont pas de souci à se faire, mais surveillent probablement SMIC avec une grande attention.

La Chine sait graver en 5 nm, mais le fait beaucoup plus difficilement que les autres

Pour comprendre la nuance, il faut regarder le calendrier : Apple a sorti sa première puce 5 nm, l’Apple A14, en 2020. Aujourd’hui, TSMC et Samsung produisent massivement en 3 nm et préparent déjà le 2 nm pour 2026. La Chine a donc, au moins, cinq ans de retard. Sa méthode est aussi différente, d’autant plus que la gravure d’une puce est généralement très marketing : toute la puce n’est pas gravée aussi finement.

Pour graver aussi finement, l’industrie mondiale utilise des machines à ultraviolets extrêmes (EUV) fabriquées par une seule entreprise au monde : le néerlandais ASML. Or, ces machines sont sous embargo : la Chine n’a pas le droit d’en acheter et, aux dernières nouvelles, n’en possède pas :

Comment SMIC peut-il graver en 5 nanomètres sans machines à EUV ? Le Chinois recycle des machines de précédente génération (DUV – Deep Ultraviolet), tout en innovant pour réduire la gravure. Sa méthode consiste à augmenter le nombre d’étapes pour arriver à un résultat similaire :

  • La méthode normale (EUV), utilisée par TSMC et Samsung : le laser est si précis qu’il dessine le circuit en une poignée de passages (environ 9 couches d’exposition).
  • La méthode chinoise (DUV) : le laser est trop « gros » pour les traits demandés. Les ingénieurs doivent donc exposer la plaque de silicium plusieurs fois (jusqu’à quatre fois pour une seule couche pour affiner le trait par soustraction. SMIC doit probablement enchaîner plus de 34 opérations, avec des risques plus importants d’erreurs, pour le même résultat.

SMIC peut revendiquer une gravure en 5 nanomètres, mais son rendement est sans doute très mauvais. Une grande partie de la production finit assurément à la poubelle, avec des coûts de fabrication logiquement plus grands. Graver en 5 nm dans ces conditions n’a aucun sens, à part pour l’image. On peut aussi imaginer que les puces sont moins performantes que leurs équivalentes gravées en EUV : les transistors peuvent être moins efficaces. Nous l’avons notamment constaté lors de notre test du Huawei Pura 80 Pro, gravé en 7 nm : ses performances sont plus proches des téléphones de 2021 que des iPhone/Galaxy de 2025.

L'écran bord à bord du Huawei Pura 80 Pro est un des plus beaux du marché. Les bordures sont symétriques et incurvées sur les quatre bords.
Le Huawei Pura 80 Pro est une merveille hardware avec un logiciel bridé et une puce un peu ancienne. // Source : Numerama

La Chine envoie dans tous les cas un message très fort : elle n’a besoin de personne pour graver des puces

Malgré ces défauts techniques et ce coût exorbitant, le symbole politique est dévastateur pour les États-Unis. L’objectif de l’embargo était de figer la Chine technologiquement : il n’a réussi qu’à la ralentir et, pire, à la forcer à devenir autonome. Les modèles d’IA de DeepSeek, toujours plus puissants malgré des serveurs moins puissants, s’ajoutent aussi à la montée en puissance chinoise.

Huawei, que l’on disait mort sur le marché du smartphone premium, parvient aujourd’hui à sortir des appareils qui, s’ils ne battent pas les iPhone 17 sur les performances bruts, offrent une expérience utilisateur fluide. Le consommateur chinois ne voit pas les 34 étapes de gravure laborieuses : il voit juste un téléphone plus chinois que jamais, avec de bonnes performances et plusieurs innovations, en photo et en charge. Toute l’industrie chinoise pourrait un jour en bénéficier, mais si elle continue de travailler avec Qualcomm ou MediaTek aujourd’hui.

Le plafond de verre du 3 nm

Si le 5 nm est possible en utilisant de vieilles machines, le mur du 3 nm semble physiquement infranchissable sans passer à l’EUV. Huawei revendique officiellement le 3 nm pour 2026, mais la physique a ses limites. Beaucoup doutent de la faisabilité de cet exploit avec la technologie DUV. La Chine peut-elle réussir à cloner les machines EUV d’ASML ? Ou est-elle condamnée à rester à ce stade, à moins de pouvoir travailler avec d’autres entreprises ? Pour l’heure, SMIC envoie surtout un message : la Chine ne doit être sous-estimée sur aucun secteur, y compris les semi-conducteurs.

Source : Numerama

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