La Wii U reste l’un des plus grands rendez-vous manqués de Nintendo. Entre vision brouillée, communication catastrophique et pari technologique mal compris, la console a failli plonger le constructeur dans une crise majeure. Retour sur un échec aussi instructif que fascinant.

C’est une histoire de chute vertigineuse comme l’industrie du jeu vidéo en connaît peu. Rembobinons : 2006, Nintendo est intouchable. La DS imprime de l’argent et la Wii pulvérise les records culturels et commerciaux en démocratisant le motion gaming. Avec ces deux machines, la firme de Kyoto a réussi l’impossible : transformer le jeu vidéo en une activité de salon intergénérationnelle, dépassant le cercle fermé des « gamers ». Fort de cette dynamique, Nintendo tente alors un pari technologique ambitieux pour rassurer sa base historique tout en conservant le grand public : la Wii U. La promesse ? Un gameplay asymétrique révolutionnaire. Mais, en réalité, un malentendu mondial a failli coûter sa peau au constructeur.

Mais alors, comment passe-t-on de la console la plus vendue de sa génération à l’un des plus gros accidents industriels du secteur ? Ce revers est si marquant qu’il figure aujourd’hui en bonne place dans Flops?!, l’exposition parisienne dédiée aux ratés de l’Histoire, que Numerama a pu visiter en octobre.

Une communication désastreuse : « C’est un accessoire pour la Wii ? »

L’histoire de la débâcle commence dès la présentation. E3 2011 : Nintendo dévoile sa nouvelle machine. Sur le papier, l’idée de l’héritage est logique. Mais, dans les faits, personne ne comprend ce qui est montré. La conférence se concentre quasi exclusivement sur le GamePad, cette fameuse « mablette ». La console elle-même est invisible.

La Wii U à l'exposition Flops?!. // Source : Numerama
La Wii U à l’exposition Flops?!. // Source : Numerama

Le nom, « Wii U », sonne aux oreilles du grand public (et même de la presse spécialisée) comme une « Wii Plus », une simple mise à jour ou un périphérique coûteux pour la console qu’ils possèdent déjà. Nintendo reconnaîtra plus tard que cette communication fut un désastre. Entre un message brouillé et une proposition de valeur floue, le ver était dans le fruit avant même la sortie en novembre 2012.

Passé l’effet de nouveauté, les défauts de conception sautent aux yeux. Le GamePad est lourd, fait « jouet », et son autonomie d’environ cinq heures est ridicule pour une session de jeu sérieuse. Pire encore : la promesse du jeu asymétrique s’effondre techniquement, la console ne pouvant gérer qu’un seul GamePad à la fois. Même les propres studios de Nintendo peinent à justifier l’existence du second écran. Trop souvent, le GamePad ne sert que de carte déportée ou d’inventaire, là où l’on nous promettait une révolution du gameplay.

Un timing mal choisi pour la Wii U

Le timing est, lui aussi, fatal. Sortie fin 2012, la Wii U arrive avec un an d’avance sur la PS4 et la Xbox One. Elle se vend comme la première console HD de Nintendo (la Wii étant une console SD), mais se retrouve instantanément obsolète face aux monstres de puissance de Sony et Microsoft, qui bénéficient d’architectures modernes faciles à programmer. Résultat : les éditeurs tiers fuient, laissant Nintendo seul pour alimenter un parc de consoles famélique.

Rapidement, les chiffres font mal. Malgré des pépites indéniables (Mario Kart 8, Splatoon, Super Mario 3D World), les ventes ne décollent jamais. La Wii U terminera sa course avec 13,56 millions d’unités vendues. Pour donner un ordre d’idée, il aura fallu quatre mois à la Switch 2 pour atteindre ce score. Les conséquences financières sont lourdes : entre 2013 et 2014, Nintendo enregistre des pertes colossales (170 millions d’euros). L’action dévisse, les investisseurs s’affolent, et certains analystes prédisent la fin de Nintendo en tant que constructeur hardware (à la SEGA). C’est une période sombre, marquée également par le décès tragique de son patron Satoru Iwata en 2015.

Satoru Iwata en 2011.  // Source : Official GDC
Satoru Iwata en 2011. // Source : Official GDC

La Wii U : le prototype de la Switch

Pourtant, c’est au cœur de cette débâcle que se dessine l’avenir. En coulisses, dès 2016, les rumeurs enflent autour d’un gros projet. Et tous les éléments introduits par la Wii U ne seraient pas à jeter. La Wii U avait introduit une fonctionnalité majeure : le Off-TV Play. Les joueurs adoraient pouvoir continuer leur partie sur le GamePad pendant que la télévision était occupée. Le concept était là, mais il était limité par un « fil invisible » qui obligeait à rester dans le salon.

En 2017, bingo. La Switch est lancée : elle n’est autre que l’aboutissement de cette idée, débarrassée de ses contraintes techniques. La Wii U a ainsi donné deux grandes leçons à Nintendo : d’abord, une leçon marketing. Le nom est simple, clair et différent. Le message est limpide : « Tu joues où tu veux, quand tu veux », et la démonstration immédiate : on montre la console, on montre la transformation, et ça suffit. Un produit doit être compréhensible en une seconde, et ça, Nintendo l’a bien compris.

La Nintendo Switch 2 n'a qu'un seul coloris.  // Source : Nino Barbey pour Numerama
La Nintendo Switch 2. // Source : Numerama

Avec le recul, la Wii U n’a pas été un échec inutile. Elle a servi de prototype grandeur nature. Elle a permis à Nintendo de comprendre ce que les joueurs voulaient (jouer partout) et ce qu’ils ne voulaient pas (une technologie lourde et incompréhensible). La preuve que la leçon a été retenue ? La prudence marketing actuelle de Nintendo. Après le succès phénoménal de la Switch, pas de nom hasardeux pour la suite : on parle de « Switch 2 », une première historique. La Wii U est morte pour que la Switch puisse vivre. Et au vu des records historiques de cette dernière, c’était sans doute le prix à payer. Un rappel que, parfois, un flop n’est pas une fin.

Cet article existe grâce à

Les abonnés Numerama+ offrent les ressources nécessaires à la production d’une information de qualité et permettent à Numerama de rester gratuit.

Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l’I.A, contenus exclusifs et plus encore. Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci

Il y a une bonne raison de ne pas s'abonner à

Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.

Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :

  • 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
  • 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
  • 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.

Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

S'abonner à Numerama+
Toute l'actu tech en un clien d'oeil

Toute l'actu tech en un clin d'œil

Ajoutez Numerama à votre écran d'accueil et restez connectés au futur !


Pour ne rien manquer de l’actualité, suivez Numerama sur Google !