Lorsque vous demandez aux joueurs quelle est leur vieille console préférée, ou plus généralement à des joueurs autour de la quarantaine d’années quelle est leur console de cœur, deux noms reviennent très souvent : la Mega Drive, et potentiellement plus encore, la Super Nintendo. Un choix qui peut s’expliquer par une évolution plus glorieuse de la firme kyotoïte en tant que constructeur de consoles de jeux vidéo, en comparaison de son grand rival des années 1980 et (surtout) 1990 qui connaîtra par la suite un déclin supersonique, à l’image de sa mascotte.
Alors certes, il y a un petit peu de subjectivité – pour ne pas dire de partialité – dans ce constat, mais dans les souvenirs et surtout le cœur de beaucoup de joueurs, la Super Nintendo garde une image très particulière. D’un point de vue pragmatique, on en retient l’image d’une machine qui enchaîna les hits et resta le plus gros succès commercial de sa génération en dépit d’une concurrence qui n’avait jamais été aussi féroce et tentait constamment de la tourner en dérision. Si l’on raisonne avec le cœur, on en retient surtout l’image de la meilleure console que Nintendo ait jamais conçue, sans fausse note et transformant avec brio l’essai déjà prodigieux d’une Famicom/NES qui avait popularisé l’arcade à la maison et fait du jeu vidéo quelque chose de plus mainstream et familial. Et enfin, si l’on y rajoute un soupçon de mauvaise foi, c’est tout simplement la reine des consoles, celle qui restera indétrônable, pour ne pas dire étonnamment indémodable, tant son héritage demeure omniprésent de nos jours.

Un retard assumé pour mieux accélérer
Nous sommes en 1988. Conscient de l’impossibilité de rivaliser avec le succès fou de la première console de Nintendo (la NES, appelée Famicom au Japon), Sega frappe le premier en dévoilant sa première console 16-bit bien avant son concurrent. La Mega Drive est née, et autant couper court à toute forme de suspense : elle va très bien concurrencer sa rivale, qui n’en est à l’époque qu’à ses balbutiements. Parce que vous l’aurez compris, il faudra attendre le 21 novembre 1990, il y a 35 ans jour pour jour donc, pour que Nintendo commercialise une Super Famicom qui se sera faite attendre. Pas d’internet à l’époque pour alimenter des rumeurs, pas de leaks, juste des photos de prototypes relayées dans des magazines dont le rythme de publication (souvent mensuel) entretenait autant l’engouement que la patience des joueurs ; on n’en est pas à vous dire que c’était mieux avant, mais quand même, sur certains aspects, c’était peut-être plus sain.

Le retard de Nintendo est à l’époque conséquent, tant la priorité semblait axée en interne sur le développement de la Game Boy (sortie en avril 1989 au Japon), un tour de force phénoménal qui l’installa à l’époque sur un trône des fabricants de console portable dont il n’est toujours pas redescendu. Une autre société concurrente, NEC, avait en effet dégainé avant même Sega en commercialisant la PC-Engine (elle aussi dotée d’un processeur graphique 16 bits) dès octobre 1987. Le fait est que Nintendo a quelque chose que les autres n’ont pas : Super Mario. La franchise Super Mario Bros., sur Famicom/NES, représente alors déjà plus de 50 millions de jeux vendus dans le monde, et en prenant le temps de proposer sa nouvelle génération de console avec un nouveau Super Mario inédit, Nintendo s’assure un démarrage canon. Ce sera le cas : les 300 000 copies prévues pour le day one sont écoulées en quelques heures sur tout l’archipel japonais.


En ayant pris soin de continuer d’alimenter la Famicom/NES jusqu’à la fin des années 80 et même au début des années 90, Nintendo a ainsi pris un risque payant. À l’image de Donkey Kong Jr. dans Super Mario Kart, qui deviendra un des plus gros succès de la machine, la Super Nintendo met peut-être du temps à démarrer, mais une fois lancée, plus rien ne peut l’arrêter. Super Mario World (sous-titré Super Mario Bros. 4 sur sa boîte japonaise), puisque c’est ainsi qu’il s’intitule, est un véritable coup de maître signé du duo Shigeru Miyamoto / Takashi Tezuka. Il n’y a que deux titres de lancement, l’autre étant une nouvelle licence visant à témoigner des performances bluffantes de la Super Famicom en termes d’impression de 3D et de vitesse : F-Zero. Si cette licence ne sera jamais qu’une franchise culte avec une forte communauté de fans, mais incapable de conquérir le grand public, elle permet de compléter un line-up de lancement d’apparence maigre et simpliste, mais pourtant d’une efficacité redoutable.

Mario, Zelda, et une manette révolutionnaire
Dès ses débuts, la Super Famicom séduit, de par ses deux uniques cartouches. Super Mario World fascine grâce à son tout nouvel univers et plus de 70 niveaux hyper variés à travers une carte remplie d’embranchements et de sorties cachées. Il fait aussi sensation avec l’arrivée de l’adorable dinosaure Yoshi, ainsi que d’autres nouvelles mécaniques qui améliorent une base de gameplay que l’on pensait déjà accomplie avec Super Mario Bros. 3, mais transcendée par une nouvelle manette qui fera école. En effet, hormis de rares irréductibles (y compris Nintendo eux-mêmes jusqu’au pad Classic Pro de la Wii !), le concept de la manette à quatre boutons disposés en diagonale avec des gâchettes sur le dessus devient la nouvelle référence, et constitue la base d’ergonomie de toutes les manettes de jeux vidéo encore de nos jours.

Quant à F-Zero, s’il est moins coloré et plus sérieux, il est tout simplement le proof of concept d’une machine supposée en mettre plein la vue. Porté par le mythique Mode 7, mode graphique permettant de faire pivoter un décor et de donner une illusion de perspective en trois dimensions, il révolutionne le jeu de course sur consoles, et servira de base à d’innombrables succès de la console, Super Mario Kart en tête. Vous savez, ce jeu qui est grosso modo à l’origine de la philosophie « party game en local » de Nintendo, sans lequel nous ne connaîtrions sans doute pas Mario Party, et surtout, sans qui la licence Mario Kart ne serait pas la machine à imprimer des billets qu’elle est aujourd’hui — ses itérations se vendant mieux que celles pourtant fort lucratives de Super Mario.

Cependant, la Super Nintendo n’est pas qu’un début tonitruant avec deux jeux phares. C’est une succession de titres de légende qui, encore aujourd’hui, marquent les esprits presque plus que tout autre épisode des franchises auxquelles ils appartiennent. Une tendance qui va naître un an plus tard (jour pour jour, joyeux 34ème anniversaire à lui du coup) avec The Legend of Zelda: A Link to the Past, 3ème épisode d’une licence au succès moins impactant que Mario mais à la maîtrise d’ensemble sans égal. Celui que l’on surnomme Zelda 3 fit par la suite l’objet d’une publicité non moins légendaire, vantant son incroyable durée de vie, qui hantera une génération entière d’enfants, d’adolescents et de parents.

Le hardware et les licences maison au top
La suite prend donc la forme d’un enchaînement infaillible de jeux restés dans la légende. Relativement modeste même en comparaison de Zelda né la même année, Metroid accouche aussi de son troisième volet, et lui aussi continue de hanter les mémoires. Super Metroid est un chef-d’œuvre unanimement reconnu comme tel, et on le considère aujourd’hui assez universellement comme la base évidente du genre metroidvania (disons qu’elle en est la mère et que Castlevania: Symphony of the Night, paru en 1997, en est le père). Donkey Kong renaît également avec une formule plus occidentale grâce à la trilogie Donkey Kong Country, claque visuelle phénoménale qui donnera ses lettres de noblesse au studio Rare.

Même au niveau de ses licences maison, Nintendo décide d’envoyer du bois et de faire preuve d’une maîtrise d’un hardware dont il arrive à dépasser les limites grâce à des puces additionnelles incluses dans ses cartouches. Ainsi naît Star Fox en 1993 : s’il n’a plus trop d’intérêt aujourd’hui, il proposait de la vraie 3D en temps réel grâce au révolutionnaire Super FX qu’il embarquait et que sa boîte affichait avec fierté. Et surtout, en guise de chant du cygne ou presque, Nintendo enfonçait une ultime fois le clou à l’été 1995 avec l’exceptionnel Super Mario World 2: Yoshi’s Island, lui carrément boosté par une évolution de cette puce appelée désormais Super FX 2. À l’époque, les publicités n’hésitaient pas à le vendre (à raison) comme encore meilleur que les jeux disponibles sur la toute jeune PlayStation, en dépit d’un hardware en retard d’une génération.

Fort d’une image très solide en dépit des efforts colossaux de Sega pour le dénigrer (aujourd’hui, on n’aurait pas peur de parler de harcèlement), Nintendo rattrape son retard au fil des années au niveau des ventes. Qu’on soit clair : la Mega Drive fut un succès, le plus gros de l’histoire du constructeur basé à Tokyo, et gagnera même cette bataille sur le territoire américain, là où elle était baptisée Genesis et où son marketing fut le plus agressif. Une attitude qui déplaira à la maison-mère, probablement plus soucieuse de respecter un minimum son adversaire, et dont la pauvre Saturn paiera bien malgré elle les conséquences à partir de 1994.

Une image qui va au-delà de Nintendo
En plus d’être une machine à hits maison, la Super Nintendo constitue la terre d’accueil idéale pour tous les développeurs et éditeurs. Cela peut sembler fou aujourd’hui compte tenu du retard pris par Nintendo et de la difficulté (que la Switch 2 tente d’estomper) pour les tiers à proposer des productions de qualité ailleurs que sur PC, PlayStation et Xbox, mais, dans les années 1990, les meilleurs jeux Capcom, Konami, Square ou Enix (pour ne citer qu’eux) étaient sur Super Nintendo. C’est sur cette machine que Street Fighter II (5ème meilleure vente de la console avec 6,3 millions d’unités) fait exploser la popularité du versus fighting, que Mega Man ou Castlevania poursuivent leur essor après plusieurs succès sur NES, et surtout, au Japon, que la popularité de Dragon Quest et de Final Fantasy atteint des sommets suffisants pour commencer à envisager de les commercialiser en Occident. D’une manière générale, la Super Nintendo est d’ailleurs vue comme LA console du RPG, avec de petites références sorties dans nos contrées comme Mystic Quest Legend ou Secret of Mana, sachant qu’un mythe comme Chrono Trigger (1995) avait même réussi à s’introduire sur le sol américain.

En effet, là aussi, lorsque vous demandez aux fans d’une licence comme Final Fantasy quel est leur favori, l’épisode VI revient souvent. Considéré par certains comme le plus grand J-RPG de tous les temps, il est sublimé par une bande originale magistrale. L’un des plus beaux chef-d’œuvre de Nobuo Uematsu doit en partie sa notoriété au processeur sonore de la Super Nintendo, le SPC700, un petit circuit intégré de rien du tout mais aux allures de game changer, et reconnu là encore comme d’une qualité supérieure à la concurrence. Ce petit miracle de l’électronique fut conçu chez Sony (mais sans l’accord de la firme) par un certain Ken Kutaragi, l’homme qui concevra ensuite la PlayStation, projet issu d’une mésentente légendaire entre Nintendo et Sony, très lourde en conséquences. Probablement le seul véritable échec notable de cette période dorée pour Nintendo.

Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin, et à partir de 1996, la Super Nintendo déclina et se devait de dérouler le tapis rouge à la Nintendo 64, qui ne connut pas le même succès, bien que bidant moins que la Game Cube quelques années plus tard. Dès le début des années 2000, la Super Nintendo restait dans les mémoires, comme en témoigne la quantité hallucinantes de hits de la machine portés sur Game Boy Advance au début du XXIè siècle : les deux Super Mario World, la trilogie Donkey Kong Country, Zelda III, ou même les trois Final Fantasy d’une console dont les qualités graphiques inspirent aujourd’hui d’innombrables jeux indépendants misant sur la 2D. Le courant néo-rétro puise en grande partie son inspiration dans cette ère dorée, tout comme même des éditeurs majeurs de l’industrie en quête de restaurer leur gloire d’antan à travers des remakes en 2D-HD à l’allure de… jeux Super Nintendo en haute définition, tout simplement. La marque d’une (très) grande.
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