Cela fait déjà plusieurs années que le débat de la légitimité d’un régime de licence légale pour la musique sur Internet se pose. Nous y avions nous-même apporté une pierre en publiant en février 2004 la proposition d’une Licence de Diffusion Culturelle (LDC), qui a fait naître de très vives réactions.
L’ADAMI, jointe à la Spedidam, a publié sa propre proposition, mutée depuis en « licence globale », et soutenue entre autres par certains députés du Parti Socialiste.
Et voici que Retspan publie aujourd’hui un communiqué baptisé « Licence légale : désavantages et inconvénients« . A leur crédit, pour excuser quelque peu le retard dans la réflexion, le communiqué serait un « extrait actualisé d’un mémorandum remis fin 2004 aux ministères de l’Economie, de l’Industrie et de la Culture« .
Un mémorandum qui en dit long sur les lacunes des membres de Retpsan.
Le communiqué (.pdf) attaque huit points de la licence légale, dont il faut rappeler qu’il s’agit d’un mécanisme juridique qui vise à légaliser entre autres le P2P, moyennant rétribution des auteurs, compositeurs, artistes-interprètes et éditeurs par des prélèvements indirects.
1. Une légalisation bancale et partielle
Retspan fustige la licence légale sur le principe que « légaliser le téléchargement n’aurait aucun sens si on continue à interdire la libre distribution de contenus soumis au droit d’auteur« . Dit autrement, si on autorise le téléchargement, il faut autoriser l’upload, ce que ne fait pas la licence légale.
C’est vrai, mais la réflexion est totalement obsolète. Dans leur proposition renouvelée de « licence globale », les organisations d’artistes-interprètes demandent justement que l’upload comme le download soient légalisés. Les amendements à la transposition de l’EUCD déposés par le PS vont dans ce sens.
2. Beaucoup de problèmes non résolus
Plusieurs points soulevés ici par Retspan. Tout d’abord, l’association note que l’instauration d’une licence légale « ne laissera pas aux créateurs le droit de s’opposer à ce que leurs œuvres se retrouvent sur les réseaux P2P« . Il s’agirait, toujours selon l’association, d’un « aspect fondamental du droit d’auteur« . Ce point montre une totale ignorance de Retspan face aux fondements philosophiques, sociétaux et économiques du droit d’auteur. L’œuvre n’appartient pas à l’auteur, mais à la société. C’est la société, par le droit d’auteur (par la loi, par la volonté du peuple), qui accorde ensuite à l’auteur un « privilège » temporaire avec des droits bien définis sur son œuvre. Même s’il s’agit du rêve des industries culturelles, il ne faut pas faire une règle de l’exception.
Pire incompréhension encore. Pour Retspan, « les internautes ne peuvent pas réquisitionner le travail d’autrui sans autorisation« . Or c’est bien cette autorisation qui est obtenue avec la licence légale. C’est bien pour cela que l’on parle de licence. Et si elle est dite « légale », c’est parce que son existence est imposée par la loi. Auteurs et producteurs ont obligation d’autoriser. Mais l’autorisation existe toujours. Le régime est exactement celui qui régit les radios depuis 1985. Les producteurs sont obligés de les autoriser à passer leurs disques…
Autre point, la licence légale n’empêcherait pas la diffusion de pre-releases, c’est-à-dire « la diffusion sur Internet de films et d’albums de musique avant leur date officielle de sortie« . C’est tout à fait juste et imparable, mais il ne s’agit pas là d’une limitation de la licence légale. Encore une fois, il y a incompréhension sur ce qu’est la licence légale. La licence légale ne remplacerait pas le régime actuel du droit d’auteur sur Internet, elle viendrait simplement le compléter. Rien n’empêche les majors, licence légale ou non, de continuer à lutter (juridiquement s’il le faut) contre la diffusion des pre-releases.
3. Difficulté de comptabiliser avec précision les téléchargements
C’est là sans doute le point le plus débattu à propos de la légalisation des téléchargements contre rémunération. Comment reconnaître et comptabiliser les contenus téléchargés, pour répartir au mieux l’argent récolté ? « La mise en place d’un système fiable et complet de surveillance des réseaux P2P non contrôlés est théoriquement possible, mais un tel système serait très complexe, aurait un coût exhorbitant et demanderait beaucoup de maintenance« , conteste Retspan. C’est sans doute vrai, mais c’est oublier qu’aucun travail véritablement sérieux n’a encore jamais été effectué sur le sujet, par des ingénieurs qualifiés (mieux vaut sans doute enterrer l’idée de la licence légale avant que les génies ne découvrent la solution ?). C’est surtout oublier que la radio, encore une fois, fournit à la filière musicale une manne d’argent considérable, répartie très injustement entre les artistes, par voies de sondages. Par extrapolation statistiques, les sociétés de gestion calculent ceux de leurs artistes susceptibles d’être passés le plus de fois en radio, et ce sont eux qui toucheront le plus.
Un système équivalent de sondage est totalement imaginable sur Internet, mais surtout, il serait beaucoup plus efficace et juste grâce à l’utilisation de techniques diverses de surveillance (lesquelles n’ont pas besoin d’être nominatives). Il faut noter que ce ne sont pas les internautes qui refusent ces outils de compatibilisation, mais les sociétés de gestion, qui si les systèmes devenaient trop précis et automatisés, auraient bien du mal à justifier le maintien à leur niveau actuel de frais de gestion excessivement élevés (lesquels servent à payer le personnel, les dirigeants et le parc immobilier).
4. Un problème géographique inévitable
« Comment prendre en considération les téléchargements réalisés depuis l’étranger vers la France, ou inversement depuis la France vers l’étranger ? Qui paye quoi« .
Encore une fois, totale méconnaissance du droit d’auteur et de sa gestion. Tout d’abord, les problèmes d’incompatibilités avec le droit international ont été adressés par la proposition de « licence globale », qui passe semble-t-il le fameux test des trois étapes. Mais surtout, les sociétés de gestion sont liées entre elles par des accords de réciprocité. Il en existe près de 300 rien qu’entre les différentes sociétés européennes. Ces accords font que l’argent perçu par la Sacem pour un artiste belge sera versé à son homologue la Sabam, et réciproquement. Si les Belges n’ont pas de licence légale, les français ne touchent rien sur les téléchargements… c’est-à-dire ni plus ni moins qu’actuellement.
5. Aucune garantie en terme de qualité de service
Avec un P2P légalisé, « on continuera à trouver des contenus dégradés« , projette Retspan (MP3 mal encodés, fakes, fichiers corrompus…). Impossible à prédire est l’avenir, mais il y a des arguments forts pour penser qu’au contraire, la licence légale favoriserait une amélioration de la qualité des contenus :
– Les sites de liens, qui ont pour rôle de filtrer et sélectionner les contenus, notamment en fonction de leur qualité, sont aujourd’hui placés dans le noir par leur illégalité. Une licence légale les mettrait à la lumière. Chacun pourrait, sur son blog, sur son site personnel, sur un site à grande écoute, fournir des liens de téléchargements par P2P, sans risquer la moindre condamnation. Ce filtrage légalisé ne pourrait qu’augmenter le nombre de fichiers de qualité certifiée par les internautes eux-mêmes.
– Les producteurs eux-mêmes auraient tout intérêt à diffuser leurs contenus gratuitement pour que les internautes les lisent et les diffusent. Plus ils sont populaires, plus ils ont de chances de récolter une partie importante de la redevance perçue au titre de la licence légale. Ce seront donc les producteurs eux-mêmes qui fourniront les contenus, et non plus quelques « releasers du dimanche ».
6. Un système de taxation injuste
« On ne dénombre aujourd’hui ‘que’ 3 à 4 millions d’utilisateurs réguliers de réseaux P2P en France, sur plus de 25 millions d’internautes réguliers. La création d’une taxe sur les abonnements à Internet afin de compenser la contrefaçon numérique serait donc une taxe non justifiée pour environ 85% des internautes« .
Très juste, mais c’est oublier que l’échange de fichiers par P2P est encore illégal en France, et que sa légalisation entraînerait probablement une demande beaucoup plus forte, ainsi qu’une croissance forte de la qualité des services (puisque les plateformes réalisées professionnellement pourraient se développer sans rougir). C’est oublier aussi que le P2P est récent (5 années environ). Et c’est oublier surtout que la licence légale n’est pas réservée qu’au P2P, mais aussi, par exemple, au podcasting. Plus globalement, à l’ensemble de la diffusion des œuvres sur Internet. Qui croit vraiment que seul 15% des internautes souhaitent avoir accès librement à des œuvres musicales ou cinématographiques ?
Enfin, il faut peut-être revoir la culture comme un service public à part entière. Est-on choqué de payer pour entretenir l’école municipale lorsque l’on a pas d’enfant ?
7. Un frein important au développement des plateformes légales
« Mettre en place une licence légale ‘libre’ reviendrait à sacrifier littéralement les plateformes légales de téléchargement« .
Un tel raisonnement est, excusez du peu, totalement stupide. Nous l’appelons le « syndrôme du steak-frites ». Ca n’est parce que vous pouvez vous préparer un steak-frites à la maison que vous n’irez pas en commander un dans le restaurant du coin. Vous pouvez y préférer le cadre, le sourire de la serveuse ou le digestif. La gratuité ne retire pas toute sa valeur au payant. Le prix n’est qu’un argument parmi d’autres, il n’est pas une fin en soi.
Par ailleurs les plateformes légales ne seraient en rien gênées par la licence légale. Elles ne touchent déjà rien ou presque. Itunes n’existe que pour faire vendre de l’iPod. Virgin, en France, touche seulement 1 centime lorsqu’il vend un morceau 99 centimes d’euros. Heurterait-on vraiment son business model en lui retirant ce petit centime ?
La question de la mort des plateformes légales est une fausse question.
8. L’imbroglio multimédia
Avec le problème de la comptabilisation des téléchargements (auxquels il faudrait d’ailleurs préférer la notion de « lectures »), cette question de l’imbroglio est la plus pertinente, et la plus dérangeante pour les défenseurs de la licence légale. « En toute logique, l’argent collecté par une licence légale ‘libre’ ne devrait pas revenir qu’aux ayants droits de la musique, mais aussi aux producteurs et éditeurs de films, de logiciels, de jeux vidéo, et même d’œuvres littéraires. Sachant que tous ces intervenants ont des revendications et des modes de financement différents, on voit mal comment un compromis durable pourrait être trouvé au niveau de la répartition des sommes collectées…« , proclame ainsi Retspan.
Et c’est vrai : tous ces intervenants ont des revendications et des modes de financement différents. C’est justement pour cela qu’il faut commencer par la musique, qui dispose du régime le plus adaptable à la licence légale (il a fait ses preuves pour la radio).
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