Des astronomes ont découvert six galaxies extrêmement vieilles autour d’un trou noir supermassif. Une découverte qui aide à comprendre comment ces objets gigantesques peuvent grandir aussi rapidement dans les premiers temps après le Big Bang.

Les trous noirs sont souvent vus comme des sortes d’aspirateurs cosmiques qui attirent à eux l’ensemble de la matière alentour pour grossir encore et encore. Un schéma assez concret et parlant, mais pas tout à fait exact, puisque l’objet lui-même ne peut attirer que ce qui est relativement proche de lui (quelques dizaines d’années-lumière tout au plus). En revanche, il y a autour de ces objets des filaments constitués entre autres de matière noire qui attirent la matière vers le centre.

Quiconque a déjà vu une simulation de l’Univers peut comprendre cette analogie, puisqu’en dézoomant loin au-delà des clusters de galaxies, il est possible d’observer une structure qui ressemble à un filet ou à une toile sans fin. Les liens qui lient les amas de galaxies, au centre desquels on trouve typiquement des trous noirs, sont des filaments cosmiques. Et pour la première fois, des chercheurs ont découvert des galaxies piégées dans un de ces filaments. Ils décrivent leur découverte dans une étude publiée dans Astronomy & Astrophysics le 1er octobre 2020. « Nous sommes les premiers à avoir identifié ces galaxies directement dans la toile, assure l’auteur principal, Marco Mignoli de l’observatoire de Bologne. Mais de nombreuses équipes poursuivent la même chasse et ce type de découverte devrait se multiplier dans les années à venir. »

Les six galaxies identifiées se trouvent à proximité d’un trou noir supermassif, un objet difficile à imaginer dont la masse est estimée à un milliard de masses solaires. Un milliard de Soleils ! « C’est une découverte très intéressante, ajoute Nicole Nesvadba, chargée de recherche CNRS à l’Observatoire de Nice Côte d’Azur, qui n’a pas participé à l’étude. C’est très rare de voir des galaxies aussi lointaines avec nos moyens actuels, c’est l’aboutissement d’une énorme quantité de travail ! »

Black holes and revelations

La présence de galaxies devrait aider à répondre à une question essentielle : comment ces objets aussi gros peuvent-ils exister ? «Il y a tellement de choses que nous ignorons à propos des trous noirs supermassifs, reconnaît Marco Mignoli, mais les choses se compliquent encore plus lorsqu’il s’agit d’objets nés dans un Univers jeune. »

C’est le cas de l’astre gigantesque observé ici. Il s’est formé lorsque l’Univers n’avait pas encore un milliard d’années, c’est-à-dire à son échelle, dans sa jeunesse alors que le Big Bang venait tout juste de se produire. Or, aucun modèle n’est entièrement satisfaisant pour expliquer comment des trous noirs peuvent grandir autant et amasser autant de matière en aussi peu de temps. La présence de ces galaxies donne quelques indices et tout ça est lié aux filaments cosmiques.

Cette toile est assez facile à visualiser avec les nombreuses (et très jolies) représentations connues, mais difficile à saisir tant les échelles sont gigantesques. Les toiles qui relient les différents amas sont en réalité des clusters de galaxies liés entre eux avec du gaz et de la matière noire sur des distances impressionnantes. Par exemple, une de ces structures a été découverte en 2015 entre les constellations d’Hercule et de la Couronne Boréale. Nommée tout simplement le Grand mur d’Hercule-Couronne Boréale, il s’agit d’un filament formé de plusieurs milliards de galaxies et s’étendant sur pas moins de 10 milliards d’années-lumière. Ce qui en fait la plus grosse structure connue dans l’Univers observable.

L’existence de ces filaments est liée au Big Bang, puisque dans les premières millisecondes de l’Univers, la « soupe » de particules élémentaires était présente en si grande quantité dans un espace si petit que cela a créé une pression, une « onde de choc » qui a provoqué le gonflement de l’espace lui-même. Une telle organisation de la matière a formé les galaxies qui se sont multipliées ensuite dans ce motif qui crée une sorte de toile, maintenue ainsi grâce à la matière noire qui représente une part non négligeable de sa masse, sachant que la matière noire comprendrait 85% de la masse de l’Univers. Et ces structures si riches en gaz et en galaxies seraient les principales suspectes pour savoir ce qui apporte autant de « carburant » aux trous noirs. Elles rassemblent tellement de matière qu’elles pourraient aider à comprendre comment des trous noirs supermassifs grossissent autant.

Des filaments qui apportent la matière vers le centre

Cette étude apporte la première preuve concrète que des trous noirs se trouvent au centre des structures de filaments, y compris dans les phases les plus précoces de l’Univers, et qu’il y a des galaxies actives à proximité. Des trous noirs pourraient donc devenir très massifs en à peine quelques centaines de millions d’années puisqu’ils sont au centre de plusieurs fils de la toile. Pour les lectrices et lecteurs parisiens, imaginez le trou noir comme la station Châtelet : les filaments seraient les lignes de métro qui emmènent les voyageurs (la matière) jusqu’au centre. Jusqu’à ce que ce centre grossisse pour atteindre cette masse inconcevable d’un milliard de masses solaires (ou un nombre beaucoup trop élevé de voyageurs pour poursuivre la comparaison).

« C’est une théorie séduisante, nuance Nicole Nesvadba. Mais il y a une limite fondamentale à ne pas dépasser dans la quantité de matière qu’un trou noir peut absorber rapidement. S’il chauffe trop, et trop rapidement, il rejette de la matière vers l’extérieur. » Pour faire une analogie gastronomique, le trou noir devrait « vomir » en avalant trop vite ce buffet à volonté, donc la question de sa croissance reste sans certitude aujourd’hui.

Si cette découverte a été rendue possible, c’est grâce aux évolutions des moyens d’observation. Les auteurs se sont servis du Very Large Telescope au Chili qui permet d’observer des astres très lointains. Mais ils espèrent aller encore plus loin bientôt avec le Télescope géant européen (ou Extremely Large Telescope) en cours de construction également au Chili et qui devrait entrer en service en 2024.

Pour Nicole Nesvadba, la prochaine génération de satellites sera cruciale pour en savoir plus sur ces galaxies lointaines et les filaments cosmiques : « Le gaz qu’on trouve en grande quantité là-bas, est beaucoup moins dense dans les régions plus proches de l’Univers. Donc il faut aller chercher loin pour l’observer. »

« L’astronomie est une science expérimentale, assure Marco Mignoli. Et chaque nouvelle innovation mène inévitablement à une meilleure compréhension des arguments scientifiques, mais aussi à la découverte de nouvelles frontières. »


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