C’était il y a 60 ans : Syncom 3 était lancé depuis Cap Canaveral. Le satellite de télécommunication furieusement rétro, avec sa forme de cylindre d’environ 70 cm de diamètre, ses antennes sur le côté et sa tuyère dessous, avait de grandes ambitions : se placer en orbite géostationnaire, ou GEO. Une première.
Le principe : atteindre 35 786 km d’altitude et trouver la bonne inclinaison pour pouvoir suivre la rotation de la Terre en permanence. L’engin se trouve ainsi toujours au même point dans le ciel, puisque sa révolution est strictement la même que celle de la planète. Depuis Syncom 3, d’autres ont tenté l’expérience et on trouve aujourd’hui plus de 300 engins sur cette orbite.
« Pendant des décennies, ce type de satellite a été extrêmement populaire pour les télécommunications, raconte Pacôme Revillon, président du cabinet de conseil Novaspace. C’était la norme même, entre les besoins pour diffuser une chaîne de télévision, puis plus tard pour fournir le Wi-Fi aux avions, aux bateaux, ou aux villages reculés en Afrique par exemple. »
Un secteur concurrencé par l’orbite basse
Pourtant, le secteur connaît une crise actuellement avec l’essor d’autres satellites, placés eux en orbite basse, ou LEO. Les communications passent alors par des engins plus simples à mettre en orbite, plus proches, mais aussi plus nombreux à travers les constellations comme Starlink ou OneWeb, pour ne citer que les plus connues.
Dernier témoignage en date de ces changements profonds pour le secteur : un rachat annoncé en avril dernier, celui d’IntelSat cédé à SES pour 3,1 milliards de dollars. Les deux opérateurs, autrefois concurrents dans les satellites en GEO, ne feront bientôt plus qu’un, ce qui se produit après plusieurs années de difficultés. En 2020, Intelsat avait dû placer plusieurs de ses filiales en faillite, tandis que SES, leader sur le marché, a commencé en 2021 à se diversifier et à fournir des services grâce à des satellites en orbite moyenne également.
Désormais, la nouvelle société fusionnée combine une centaine de satellites en GEO, ainsi que la constellation de SES nommée O3b, située en orbite moyenne. « Ce à quoi on assiste, c’est un mouvement défensif, décrypte Pacôme Revillon. Le marché brasse encore des milliards de dollars de chiffre d’affaires, mais il est en contraction. Il faut se regrouper pour atteindre une taille critique, ou se diversifier, et les acteurs historiques en sont conscients. »
Pourtant, les avantages des satellites en GEO sont nombreux. Ils sont visibles sur de très larges régions et semblent immobiles dans le ciel. Par conséquent, il suffit de pointer les antennes dans la même direction sans besoin de réglage pour capter une chaîne de télé sur tout un pays, voire au-delà si besoin.
De même, leur immobilité rend plus facile un suivi pour des satellites météorologiques. Ils scrutent la même région en permanence, avec plusieurs spectres d’images, ce qui aide à suivre les évolutions climatiques, y compris lorsque la situation change rapidement, pendant une tempête par exemple.
En revanche, les satellites en orbite basse offrent d’autres avantages qui corrigent les défauts de leurs homologues en GEO. Le premier étant la latence. L’information arrive bien plus rapidement lorsque le satellite est à 400 km d’altitude plutôt qu’à 36 000, ce qui est beaucoup plus pratique pour des communications en vidéo, par exemple.
Le fait d’avoir des satellites plus proches est aussi intéressant pour l’observation de la Terre. Si la surveillance depuis l’orbite haute est permanente, elle souffre aussi d’un manque flagrant de résolution, corrigé par les engins plus proches et donc plus précis.
Et si un seul satellite en LEO ne peut pas fournir ces services efficacement, en équipe, ils sont plus forts ! C’est ainsi que les constellations de satellites sont capables d’apporter à la fois une précision dans l’information, une rapidité, mais aussi une continuité en installant un réseau sans interruption.
« C’est réellement une technologie de rupture, assure Pacôme Revillon. Les promoteurs en orbite basse ont un gros volume de capacité qu’ils fournissent pour le même prix. Mais en plus, les terminaux pour la réception des données sont plus petits et plus légers. »
Roue de secours et Eurovision
Résultat, les constellations en LEO grignotent peu à peu les parts de marché des GEO. L’orbite géostationnaire est donc reléguée au rang de roue de secours, pour assurer la continuité en cas de défaillance plus bas. Là où l’utilisation des GEO est encore intéressante, c’est uniquement pour des diffusions télévisées sur un très grand territoire. Par exemple, pour les Jeux olympiques ou même l’Eurovision, lorsque le programme est distribué sur plusieurs pays, voire plusieurs continents simultanément. Mais au-delà de ces quelques exceptions, il existe peu de domaines que les LEO ne puissent pas dominer.
Mais est-ce pour autant la fin totale des satellites sur cette orbite ? Pas forcément, pour Pacôme Revillon : « Il existe des débouchés. Notamment dans la combinaison entre LEO et GEO. Des systèmes multi-orbites sont en discussion, ce qui permettrait de réduire le nombre de satellites en LEO. Mais c’est une innovation encore en cours, qui nécessiterait d’importants changements d’architecture et de technologies, donc ce n’est pas pour tout de suite. »
Parmi les projets envisagés : IRIS², une constellation de satellites européens. Elle fournirait des services de télécommunications sécurisés, afin de rendre l’Union européenne moins dépendante des services étrangers, notamment pour les échanges diplomatiques et militaires. Une constellation très complexe et très chère à mettre en place, bien au-delà des prévisions, avec 12 milliards d’euros de budget selon les industriels… le double de ce que prévoyait la Commission européenne ! Un coût qui, selon certains eurodéputés, serait gonflé artificiellement par les industriels ayant peur de l’absence de bénéfice à cause de la concurrence des constellations en LEO, encore elles…
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