La physique des muons, des particules élémentaires plus lourdes que les électrons, présente une anomalie. Celle-ci pourrait être le signe d’une nouvelle physique : une cinquième force fondamentale, une particule additionnelle. Au Fermilab, la mesure de cette anomalie vient de franchir une nouvelle étape importante.

Connaissez-vous les muons ? Laissez-nous vous les présenter : ce sont des particules subatomiques qui s’avèrent être aussi des particules élémentaires — elles sont les plus petits objets connus de la physique, et on n’en connaît pas la composition, d’où la notion de particule fondamentale ou « élémentaire » pour les désigner. Il en existe d’autres de la sorte. Les muons se rapprochent des électrons, mais sont plus lourds, plus instables.

Une cinquième force fondamentale, théorie plus solide depuis 2021

Que ce soient les muons ou les autres particules élémentaires, quatre forces physiques — dites « forces de la nature » ou « forces fondamentales » ou « interactions élémentaires » — agissent sur elles.

Ce sont :

  • la gravité
  • la force nucléaire forte
  • la force nucléaire faible
  • la force électromagnétique

Ces interactions régissent tous les phénomènes physiques de l’Univers, elles gouvernent tout ce que vous observez et connaissez.

Maintenant, imaginons qu’il n’y ait pas seulement quatre forces fondamentales. Qu’il en existe une cinquième, encore méconnue. Cela bouleverserait le Modèle standard de la physique. Il se trouve qu’une hypothèse le suggère. En 2021, elle a même été nourrie par une solide expérimentation qui, mesurant un comportement étrange des muons, indiquait la forte possibilité d’une 5e force fondamentale et de nouvelles particules.

« Nous explorons vraiment de nouveaux territoires »

Cette même équipe de recherche — au Fermilab (Chicago) — vient d’annoncer avoir mesuré encore plus précisément cette anomalie — liée à ce que l’on nomme « moment magnétique du muon ». « Nous explorons vraiment de nouveaux territoires. Nous déterminons le moment magnétique du muon avec une précision inégalée jusqu’à présent », se réjouit Brendan Casey, scientifique sénior au Fermilab, dans ce post du 10 août 2023 (le papier de recherche a été soumis à une revue scientifique, Physical Review Letters).

Muon g-2 Experiment // Source : Reidar Hahn/Fermilab
Muon g-2 Experiment. // Source : Reidar Hahn/Fermilab

Pour cette expérience, les particules sont accélérées dans un anneau (celui sur la photographie ci-dessus), un accélérateur de particules, à une vitesse proche de celle de la lumière. Cela permet de procéder à des mesures de ces particules subatomiques en action, ce qui n’est pas une mince affaire puisque leur durée de vie est de deux millionièmes de seconde.

Mais, pourquoi le « moment magnétique du muon » présente-t-il une anomalie susceptible d’ajouter de nouvelles briques à la physique ? Accrochez vos ceintures subatomiques, il nous faut aller un peu loin dans le monde quantique.

L’écart qui ne voulait pas être mesuré

Les muons ont une sorte petit aimant interne. En présence d’un champ magnétique, cet aimant va se mettre à osciller sur son axe, comme une toupie. La vitesse d’oscillation correspond au fameux « moment magnétique du muon », une mesure agrégée « g ». C’est g qui pose problème. Car comme l’explique le Fermilab en simplifiant, « la théorie prédit que g devrait être égal à 2 ». Or, g n’est pas égal à 2. En soi, à ce stade, ce n’est pas surprenant : on sait que les muons sont perturbés par la « mousse quantique », des particules virtuelles. « Ces particules apparaissent et disparaissent et, comme des ‘partenaires de danse’ subatomiques, saisissent la ‘main’ du muon et modifient la façon dont il interagit avec le champ magnétique », illustre le Fermilab.

Normalement, rien de tout cela n’est embêtant. Le Modèle standard de la physique prend ce problème en compte. En faisant l’inventaire des particules et des forces qui existent, en intégrant cette mousse quantique également, les physiciens doivent être capables de prédire le décalage de g. Cela donne une mesure appelée g-2 (g moins 2).

Le vrai problème arrive ici. Il y a un décalage entre la mesure g-2 prédite… et la mesure g-2 détectée dans l’accélérateur de particules. Utilisons une situation fictive pour mieux comprendre. Vous mettez deux pommes de 200 grammes sur une balance, en sachant pertinemment que cette balance a un bug qui lui fait perdre systématiquement 50 grammes. Vous savez alors, avant même d’observer la mesure, que vous obtiendrez 350 grammes sur l’écran. Maintenant, si vous regardez la mesure finale, et que vous voyez un tout autre chiffre à l’écran, c’est qu’il se passe quelque chose d’inconnu.

« Les physiciens s’enthousiasment par l’existence possible de particules non encore découvertes (…) »

C’est cet élément inconnu qui passionne les physiciens avec les muons. Car ce décalage signifie que quelque chose qui n’est pas encore intégré au modèle standard de la physique est à l’œuvre. Une cinquième force fondamentale, une nouvelle particule. « Les physiciens s’enthousiasment par l’existence possible de particules non encore découvertes qui contribuent à la valeur de g-2 et ouvriraient la voie à l’exploration d’une nouvelle physique », écrit le Fermilab.

On Kim et Meghna Bhattacharya, deux scientifiques postdocs au Fermilab, travaillant sur les calculs de cette expérimentation. // Source : Fermilab
On Kim et Meghna Bhattacharya, deux scientifiques postdocs au Fermilab, travaillant sur les calculs de cette expérimentation. // Source : Fermilab

Raison pour laquelle la précision de la mesure a aussi son importance, pour permettre de poursuivre les travaux. Il faut calculer et comprendre le décalage entre le g-2 prédit et le g-2 réellement mesuré. Les scientifiques de ce laboratoire estiment qu’en 2025, ils pourront obtenir la mesure « finale », la plus précise possible, du moment magnétique du muon. Cette mesure rapprochera encore davantage les physiciens de l’exploration potentielle d’une nouvelle physique.

Le Fermilab a mis en place une recherche de grande ampleur pour parvenir à ces résultats. En 2023, sont impliqués par moins de 200 scientifiques de 33 institutions dans sept pays différents, ainsi que 40 étudiants devenus docteurs grâce à leurs travaux sur ce sujet.

L’hypothèse d’une cinquième force fondamentale remonte à plusieurs années et n’est pas toujours reliée exclusivement aux muons. L’objectif est de trouver une explication à plusieurs phénomènes subatomiques inexpliqués, à mesure les découvertes et installations en physique ouvrent davantage de portes sur ce monde de l’infiniment petit. Cette recherche s’accentue en même temps que les recherches sur la matière noire (postulée, jamais directement observée) et l’énergie noire (liée à l’expansion de l’univers).

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