Si le mensonge n’a rien à faire dans le soin médical, la transparence en matière de prescription d’un placebo ne fait pas l’unanimité dans le milieu médical. Un débat éthique, sur lequel des recherches se penchent aussi pour essayer d’en tirer des conclusions concrètes.

« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. » Le Code de déontologie médicale est clair : le mensonge n’a pas sa place dans le soin. « La relation médecin-patient repose sur l’alliance thérapeutique qui elle-même se fonde sur une triade ’empathie-chaleur-honnêté’. Le mensonge est donc à bannir », estime Bruno Falissard, psychiatre, professeur de santé publique à l’université Paris-Sud, directeur du CESP (centre de recherche en épidémiologie et santé des populations).

Mais qu’en est-il de toutes les situations où le praticien décide en conscience de prescrire un médicament placebo, c’est-à-dire une substance sans efficacité clinique pour le mal que l’on souhaite traiter, mais dont on attend un effet thérapeutique ? De l’homéopathie pour trouver le sommeil en passant par la vitamine C contre le rhume ou le magnésium pour diminuer le stress, les exemples ne manquent pas. Faut-il pour autant y voir un coup de canif dans la déontologie ? Y a t-il des placebos plus éthiques que d’autres ? Entre éthiciens, chercheurs et cliniciens, les avis divergent malgré le consensus autour de la nécessité de ne pas de mentir au patient.

Le placebo est-il toujours un mensonge ?

La première question à se poser est sans doute : prescrire un placebo est-il forcément synonyme de mensonge ? Pour Patrick Lemoine, psychiatre et auteur de Le mystère du Placebo, la réponse est non : « Souvent le médecin s’illusionne en illusionnant le patient », nous affirme-t-il. Bruno Falissard abonde : « Les médecins s’arrangent parfois avec la réalité et de fait, ils ne mentent pas. Au moment de la prescription, ils font alors preuve d’un doute sur le mode du ‘Qu’est ce qu’on en sait?’ , ‘Après tout, on ne sait jamais ».

Le cas le plus extrême est sans doute celui des homéopathes, complètement convaincus de l’efficacité des granules et solutions qu’ils prescrivent et le font donc en toute bonne foi malgré l’absence de substances actives et d’efficacité clinique prouvée.

Une voie possible : éviter de vanter à l’excès le traitement placebo

Pour Patrick Lemoine, une autre manière courante de prescrire un placebo est de faire preuve d’une semi-transparence en évitant de vanter à l’excès le traitement. « Le médecin pourra dire à son patient des choses comme ‘Je pense que c’est ce qui est le mieux pour vous aujourd’hui’ ou ‘Certains de mes patients prennent ceci, ça semble les aider‘ », expose-t-il. Reste que l’on n’est pas exactement dans une démarche prescriptive, où toutes les options thérapeutiques (y compris une non prescription) seraient présentées au patient afin qu’il exerce son consentement libre et éclairé.

La prescription de placebo fait débat dans le milieu médical. // Source : Canva
La prescription de placebo fait débat dans le milieu médical. // Source : Canva

En outre, la grosse limite à ces pratiques, c’est le primum non nocere (d’abord ne pas nuire) : pour qu’une certaine éthique soit conservée, il est crucial que le placebo prescrit n’ait pas d’effets secondaires délétères et que le rapport bénéfice-risque demeure favorable. Par exemple, prescrire des antibiotiques, que l’on sait inefficaces sur une infection virale, pour une angine virale ou un rhume est évidemment à bannir au vu notamment des risques d’antibiorésistance.

Autre méthode semi-transparente, sans danger et somme toute encore plus éthique puisqu’elle laisse au patient toute son autonomie, la méthode dite de « la mie de pain » : « C’est quelque chose que je propose à mes patients qui doivent se sevrer des antalgiques ou des anxiolytiques », nous explique Patrick Lemoine. « Il s’agit de préparer ses comprimés pour la semaine en en enrobant 6 puis 5, puis 4… dans des boules de mie de pain et de faire 1, puis 2, puis 3 boules de mie sans rien dedans. Ainsi sur la semaine, il y aura des boules contenant le médicament, et d’autres sans rien. C’est un usage du placebo parfaitement éthique et transparent où le patient est parfaitement informé et où il se ‘dupe’ lui-même de manière consciente et volontaire. »

Savoir que l’on prend un placebo ne supprimerait pas son effet

Arrivés là, on peut tout bonnement se demander si administrer un placebo en toute transparence, c’est-à-dire en informant pleinement le patient, pourrait être efficace.

C’est la question à laquelle tente de répondre une équipe de recherche du Laboratoire TIMC à l’Université Grenoble Alpes. Son étude, nommée Placethic, a évalué, sur la prise en charge de la douleur, la différence entre effet d’un placebo « fermé » qui ne dit pas son nom et un placebo « ouvert » où le patient est pleinement informé de ce qu’il prend ainsi que du mode de fonctionnement du placebo.

Les résultats parlent d’eux-mêmes : la différence entre les traitements placebo fermés et ouverts n’est que de 0.7 mm sur une échelle de 100 points pour évaluer la douleur. C’est-à-dire qu’il n’y a presque aucune différence. Nul ne serait donc besoin de mentir ou d’illusionner pour que l’effet placebo opère.

« Le placebo peut soulager des symptômes mais en aucun cas il ne traite une pathologie »

Nicolas Pinsault

« Nous avons réalisé une vidéo afin de pouvoir expliquer de manière claire et détaillée à tous les patients les mécanismes de fonctionnement du placebo et quels sont les effets attendus en termes de soulagement de la douleur », nous explique Nicolas Pinsault, directeur du département de kinésithérapie de l’Université Grenoble-Alpes et responsable de l’étude Placethic. « Effectivement, la connaissance des effets attendus — c’est-à-dire que l’on a crée le sentiment que le symptôme va s’améliorer avec le traitement –, semble permettre au placebo ouvert de contribuer à soulager la douleur aussi bien que le placebo fermé », ajoute-t-il.

En situation de soin non expérimental, cet effet pourrait être optimisé par des effets contextuels connus comme « l’effet blouse blanche », ainsi que comme le signale Nicolas Pinsault une éducation thérapeutique pour apprendre à mieux gérer la douleur. « Le placebo peut soulager des symptômes mais en aucun cas il ne traite une pathologie », rappelle-t-il.

Vers une éthique de la désescalade thérapeutique

Mais ce placebo ouvert est-il vraiment plus éthique ? Pour Bruno Falissard, c’est plus que discutable : « Pour beaucoup de patients, il y a une part de magie dans le placebo, une part d’irrationnel inhérent à l’humain. Et ce placebo ouvert sonne un peu comme une insulte à la part d’irrationnel en nous en donnant l’illusion que le médecin et le patient maitrisent tout quand bien même ce n’est pas le cas. »

« Les médecins se leurrent en pensant que le placebo ouvert serait plus éthique »

Juliette Ferry-Danini

Juliette Ferry-Danini, philosophe de la médecine et spécialiste des questions liées à l’éthique médicale nous émet également un avis négatif pour d’autres raisons : « Les médecins se leurrent en pensant que le placebo ouvert serait plus éthique et font miroiter ses effets sans forcément chercher d’autres solutions, comme un soutien social ou simplement le fait de les rassurer. Ils sont ancrés dans l’idée que dès lors qu’il y a un symptôme, il faut prescrire quelque chose pour y remédier. D’un point de vue éthique, le mieux serait d’aller vers davantage d’éducation et d’autonomisation du patient et aller vers une désescalade thérapeutique. » Une approche plus écologique du soin qui selon Patrick Lemoine convainc de plus en plus ses patients conscients des méfaits de la sur-préscription.

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