L’histoire de Beatriz Flamini a fait le tour des médias à la mi-avril 2023. Cette athlète espagnole de 50 ans a passé 510 jours dans une grotte, à 70 mètres de profondeur, totalement isolée. Certes, il s’agit là d’un record dorénavant inscrit au Guiness Book. Mais cet isolement constitue aussi une expérience scientifique et, au cœur de celle-ci, la question de notre approche du temps.
« Au 65e jour, j’ai arrêté de compter et j’ai perdu la perception du temps », a déclaré Beatriz Flamini. Venu le moment de sortir de la grotte, quand ses amis et collègues sont arrivés, elle n’avait pas conscience que l’on était au 500e jour : pour elle, à ce stade, elle n’avait passé que 160-170 jours. Comment expliquer que notre cerveau finit par perdre la notion du temps dans de telles circonstances ? La psychologue Ruth Ogden s’est penchée sur la question et livrait quelques explications dans The Conversation, le 20 avril.
500 jours vécus en 160 jours
Si la notion du temps s’est perdue pour Ruth Ogden, c’est peut-être déjà tout bonnement parce que cette notion même n’était pas totalement pertinente dans le contexte de cette grotte : elle a donné peu à peu moins d’importance au passage du temps.
Mais le phénomène est plus profond encore : le temps n’est pas qu’une affaire d’horloge. « Nos actions, nos émotions et les changements dans notre environnement peuvent avoir des effets considérables sur la manière dont notre esprit appréhende le temps », explique Ruth Ogden.
Pour suivre le temps qui passe, notre mode de vie, en société, est rempli de signaux. Il y a bien sûr nos montres ou bien l’heure sur les appareils électroniques, mais aussi le Soleil, nos activités personnelles et professionnelles, les interactions sociales. Dans la grotte, ces signaux du passage du temps étaient absents. « Il est donc possible que Flamini se soit davantage appuyée sur des processus psychologiques pour surveiller le temps », ajoute Ogden.
Mais quels mécanismes psychologiques peuvent-ils bien prendre le relai ? Selon la psychologue, il y a en premier lieu les souvenirs, qui servent de marqueurs temporels. « Si nous ne savons pas depuis combien de temps nous faisons quelque chose, nous utilisons le nombre de souvenirs formés pendant l’événement comme indice du temps qui s’est écoulé », explique-t-elle. Raison pour laquelle on se souvient plus facilement d’une semaine ou d’un weekend où il s’est passé beaucoup de choses, que d’une semaine ou d’un weekend relativement monotone ou banal. De même, plus un événement nous marque, plus on a l’impression qu’il a duré longtemps.
Dans la grotte, il ne se passait pas grand-chose à proprement parler et l’athlète ne disposait pas d’informations sur le monde extérieur ni sur ses proches. Elle lisait des livres — une soixantaine sur une liseuse –, tricotait, peignait, et patientait simplement dans le silence. De fait, le nombre de souvenirs marquants était moindre. La sensation du temps qui passe s’est réduite au point où les 500 jours ont semblé passer comme 160 jours.
Comme le précise Ogden, ces explications s’appliquent en l’occurrence à un isolement volontaire. « La capacité de Flamini à s’affranchir du temps a peut-être été renforcée par son désir profond d’atteindre son objectif de 500 jours. Après tout, c’est elle qui a décidé d’entrer dans la grotte et elle pouvait en sortir si elle le souhaitait. » En cas d’enfermement contraint, la perception peut totalement s’inverser : « Les prisonniers de guerre et les personnes purgeant des peines de prison rapportent souvent que la surveillance du temps qui passe peut devenir une obsession. Il semblerait que nous ne puissions vraiment lâcher le temps que lorsque nous le contrôlons », contrebalance Ogden.
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